L’Amérique latine : continent rebelle !
Du Brésil de Lula (malgré les déceptions
que sa politique bien modérée a
légitimement provoqué) au Venezuela de
Chavez en passant par la Bolivie, l’Argentine,
l’Uruguay, le Salvador, Cuba ou le Nicaragua
des sandinistes, nous souhaitons revenir
dans ce numéro sur cette dynamique latinoaméricaine
et sur les ingrédients du succès
de la gauche dans ces pays à l’heure où les
socialistes français et européens peinent à
redessiner une alternative aux politiques
libérales.
Dans le contexte d’une crise sans précédent
du libéralisme mondialisé et de ses grandes
institutions internationales (FMI, OMC,
Banque Mondiale) le sous-continent latino-américain
est en effet un pôle d’espoir et de
résistance pour tous les militants
internationalistes. Pour paraphraser l’écrivain
Romain Rolland, qui en 1917, au moment où
éclatait la Révolution russe, écrivait « une
lueur d’espoir s’est levée à l’est », nous
pourrions aujourd’hui dire la même chose à
propos du continent de Bolivar et Allende.
L’Amérique latine, il faut le rappeler pour
comprendre le contexte actuel, fut un
laboratoire des politiques libérales du FMI
(que certains socialistes prétendent vouloir
mettre au service des peuples...) et de l’OMC.
Dictatures militaires, dérégulation et ouverture
totale des marchés, privatisation des services
publics, baisse drastique des budgets
sociaux et éducatifs et alignement total sur
l’impérialisme nord américain ont marqué les
États latino-américains au cours des années
70, 80 et 90. Ces politiques, dont le Chili de
Pinochet fut le laboratoire principal, ont
aggravé les inégalités sociales et ont même
conduit un État comme l’Argentine,
longtemps présenté comme l’élève modèle du
FMI, à la faillite pure et simple en 2001 !
Ce libéralisme brutal a bien sûr entraîné de
vastes mobilisations populaires et sociales et
une redéfinition du logiciel de la gauche.
Partout la sociale-démocratie traditionnelle
avait échoué à relayer politiquement les
aspirations à la résistance et à la rupture
avec la logique capitaliste... Pire, elle s’y était
parfois violemment opposée, allant jusqu’à
réprimer dans le sang les manifestations
populaires... En 1989, alors que le Mur de
Berlin s’apprêtait enfin à tomber, le peuple
vénézuélien descendait dans la rue pour dire
son refus du libéralisme et de la misère qu’il
engendrait. Le gouvernement social-démocrate
de l’époque avait réagi en faisant
tirer sur les manifestants, causant plus de
3000 morts ! Une partie de la gauche n’avait
donc malheureusement pas saisi qu’il était
temps de redéfinir un projet de
transformation sociale en s’appuyant sur le
rejet des politiques libérales qui montait un
peu partout. Non, 1989 n’était pas la fin de
l’histoire, au contraire un chapitre nouveau
s’ouvrait : celui de la reconquête socialiste.
L’aspiration de tout un continent à une
alternative sociale, politique et culturelle a
donc nécessité l’émergence d’une gauche
diverse plongeant ses racines dans les luttes
contre les dictatures militaires mais prenant
en compte le rejet massif des politiques
néolibérales. C’est en s’appuyant sur la force
des mouvements sociaux, le besoin de
participation populaire et la soif de
démocratie que la gauche latino-américaine
est parvenue à se renouveler en profondeur
et à gagner presque toutes les élections
quand, dans le même temps, les socialistes
européens les perdaient presque toutes. Le
cycle a été ouvert par les victoires de Chavez
en 1998 et 2000, s’est poursuivi avec le Brésil
et l’Argentine en 2002, l’Uruguay en 2004, la
Bolivie en 2005, le Paraguay en 2008 et
continue en beauté au Salvador tout
récemment. Seuls le Mexique et la Colombie
(combien de temps ?) résistent encore à cette
magnifique vague de gauche qui emporte
tout sur son passage et montre la voie aux
progressistes du monde entier !
Dans les débats en cours sur la refondation
de la gauche, face aux échecs cuisants de la
sociale-démocratie européenne et la faillite
du communisme bureaucratique en URSS, le
laboratoire sud-américain est à étudier de
près pour tous ceux qui n’ont pas renoncé à
changer radicalement la société et qui ne se
résignent pas au monde tel qu’il est.
Il y a là de belles leçons à méditer pour que
le socialisme démocratique redevienne enfin
un espoir pour les peuples en Europe et en
France, et que le vent de l’Histoire souffle de
nouveau à gauche ! ::
Par Julien Guérin (CNA)