Il y a 30 ans... la révolution sandiniste au Nicaragua
Au début des années 1970, le Nicaragua
est un des pays les plus pauvres du
monde. Il est dominé depuis des décennies
par une famille de grands propriétaires
terriens, les Somoza, soutenus par les États-
Unis. Comme dans toute dictature, la
violence politique est omniprésente et la
Guardia Nacional (GN) fait régner la terreur.
Un tremblement de terre extrêmement brutalaccable encore davantage le peuple
nicaraguayen en 1972, tandis que l’aide
internationale est totalement détournée par
le pouvoir somoziste corrompu jusqu’à la
moelle. La révolte commence à gronder...
C’est face à ce pouvoir soutenu à bout de
bras par l’impérialisme que s’est constitué le
Frente Sandinista de Liberacion Nacional
(FSLN), du nom du général Augusto Sandino
qui combattit l’occupation américaine de
1927 à 1933. Il s’agit à l’origine d’un
mouvement nationaliste et guérilleriste,
fondé par Carlos Fonseca et par Tomas Borge
en 1961, mais il se structure progressivement
dans les villes, auprès des étudiants et dans
le monde ouvrier. En 1969, le Frente publie
son programme progressiste, caractéristique
de ces pays pauvres sous domination néocoloniale
(réforme agraire, égalité statutaire,
lutte contre la corruption), mais le mouvement
est presque totalement démantelé par la GN
en quelques mois. Le FSLN se reconstruit
alors patiemment et s’enfouit dans la
clandestinité. Il n’en sort partiellement qu’en
1974 pour se lancer dans une stratégie
double de guérilla rurale et d’organisation
des masses urbaines. Les affrontements
s’intensifient de 1974 à 1977. Parallèlement,
le débat de tendance s’exacerbe dans le
FSLN : aux partisans de la « guerre populaire
prolongée » répondent une tendance plus
ouvriériste et le courant des frères Ortega,
insistant sur l’importance de l’insurrection.
Malgré cette division, la répression assure au
Front une sympathie de plus en plus forte de
la part des travailleurs nicaraguayens.
À partir de fin 1977, c’est le dernier acte. Le
courant insurrectionnel du Frente lance son
« offensive d’octobre » contre le pouvoir
somoziste. En 1978, le sud du pays se
soulève contre la dictature. L’État aux abois
redouble de violence, mais chaque massacre
de civils engage de nouvelles couches dans la
lutte. L’année 1979 est décisive : le FSLN se
réunifie sur la ligne de la prise immédiate du
pouvoir ; les États d’Amérique centrale
soutiennent le mouvement d’émancipation,
ce qui isole davantage le régime en place ; la
grève générale est lancée dans les villes.
Somoza, qui n’a pas hésité à bombarder son
propre peuple, est finalement lâché par les
États-Unis après l’assassinat en direct à la
télé d’un journaliste américain par la Garde
Nationale. Il quitte le pays tandis que les
sandinistes marchent sur la capitale Managua.
Le 19 juillet 1979, la « Junte de reconstruction
nationale » prend le pouvoir et proclame ses
premières mesures : expropriations des grands
propriétaires, réforme agraire, nationalisations
des ressources naturelles... La révolution est
victorieuse, enfin ! Elle va rapidement se lancer
dans les tâches de l’heure : reconstruction
matérielle, redistribution, lutte contre
l’analphabétisme...
Cette révolution dégénéra rapidement. Mais
que ceux qui voient dans toute révolution le
prologue à la victoire des forces
réactionnaires ne se réjouissent pas trop
vite. Certes, les sandinistes ont fait des
erreurs en hésitant à avancer hardiment vers
la transformation sociale, tout en étant
frileux sur les questions démocratiques. Pour
autant, c’est bien l’impérialisme qui a
intoxiqué de l’extérieur ce grand mouvement
d’émancipation nationale et sociale. Le
Nicaragua, pillé par les Somoza dans la
passé et sortant exsangue de la révolution, a
dû subir dès 1979 l’embargo des États-Unis,
puis supporter une contre-révolution armée,
financée par la CIA. Les « Contras »,
véritables bandes fascistes, ont saboté l’effort
de reconstruction et ont surtout réussi à
démoraliser les travailleurs, qui ne voyaient
pas leur vie changer tant que cela. En 1990,
les sandinistes perdent les élections
présidentielles et la droite libérale, soutenue
par les Américains, reprend le pouvoir
jusqu’en 2006. Il y a deux ans, Daniel Ortega
a été réélu, après son 1er succès de 1984.
Mais le FSLN a-t-il appris de ses erreurs ? Ne
s’est-il pas institutionnalisé au point de ne
plus représenter une alternative authentique
face à la droite ? Seul l’avenir nous le dira. ::
Par Jean-François Claudon (75)