Revenir aux fondamentaux, et vite ! #1
Le dossier du dossier de septembre de la revue Démocratie&Socialisme est intitulé "Revenir aux fondamentaux, et vite ! ". Nous publions ici l'introduction à ce dossier.
Avec la Saint-Sylvestre, la rentrée scolaire et politique est le moment de lʼannée où il est de bon ton de faire le point. Si, à Démocratie & Socialisme, nous avons décidé de sacrifier à cet usage en précisant à nouveaux frais nos convictions les plus profondes, cʼest parce que nous estimons, à entendre les uns et les autres, quʼà lʼaube dʼune recomposition de la gauche qui se fait toujours attendre, nombre de fondamentaux de notre camp ne semblent plus aller de soi...
Dès le début de la vague néo-libérale, le patronat, la droite et lʼensemble de leurs relais médiatiques avaient mené la bataille pour imposer LEURS mots dans le débat public. Cʼest ainsi que la « dette » a supplanté les investissements publics, que la vague notion dʼ« équité » a remplacé la quête de lʼégalité, et que les fameuses « charges » sʼefforcent de faire oublier la dimension fondamentalement subversive des cotisations sociales. Comme le disait Jaurès, grand connaisseur de la réaction, « quand les hommes ne peuvent changer les choses, ils changent les mots ».
En bon apôtre de la disruption, Macron et ses directeurs de comʼ tentent maintenant de changer, non plus les mots, mais leur sens. Dans le cas des retraites, « universel » signifie en réalité « individualisé jusquʼà lʼextrême ». Quant à la violence policière, elle existe naturellement – qui peut le nier ? –, mais elle nʼest pas « violente ». Rien à voir, en tout cas, avec les agissements de ces hordes de Gilets jaunes !
Une gauche déboussolée
Il est dans la nature du camp dʼen face de déformer la réalité. La droite représente politiquement une toute petite minorité, constituée des possesseurs des moyens de production, des débris des anciennes classes indépendantes et dʼune forme dʼaristocratie salariale profitant de la mondialisation libérale. En démocratie, elle ne peut sʼimposer quʼen mobilisant frauduleusement une partie des nôtres – ce qui lui est malheureusement rendue aisé par le quasi-monopole de fait des grands moyens dʼinformation et de communication dont elle dispose.
Il est en revanche beaucoup plus difficile dʼaccepter que les mots perdent leur sens dans la bouche des dirigeants qui se revendiquent de la gauche et du salariat. Les sociaux-libéraux, en raison de leur appartenance de classe plus qu’ambiguë, étaient déjà depuis longtemps des adeptes des glissements sémantiques. Est ensuite arrivée la France insoumise qui, profitant du désarroi causé par le désastreux quinquennat de Hollande, entendait, derrière Jean-Luc Mélenchon, revisiter les catégories héritées du « vieux » mouvement ouvrier afin de mobiliser la masse des « gens » qui ne sʼy reconnaissaient pas ou plus. La situation sʼest encore dégradée avec la survenue de Macron qui, en bouleversant le panorama à gauche, a fragilisé la compréhension commune cimentant depuis des décennies, malgré les divergences, notre camp politique
La cacophonie sʼest donc imposée à gauche. Les plus « populistes » au sein de la FI rêvent de rompre définitivement tout ancrage avec le mouvement ouvrier pour voguer vers ce peuple introuvable ou, en tout état de cause, de plus en plus ingrat avec ses porte-parole autoproclamés. Il y en a dʼautres qui veulent dépasser le clivage droite-gauche au nom dʼune urgence climatique quʼils ne relient plus au combat pour un autre monde. Dʼautres récusent le « progrès », forcément taxé de productivisme, pour défendre, si ce nʼest la « décroissance », au moins une « sobriété » fort peu parlante pour les salariés les plus pauvres qui, eux, nʼont pas la chance de surconsommer. Dʼautres encore, persuadés quʼil est funeste de prendre le pouvoir, ne croient plus quʼaux utopies concrètes et autres niches de radicalité. Dʼautres, soucieux de la place des produits made in France dans la compétition mondiale, veulent – dʼaccord en cela avec Macron – transférer sur lʼimpôt le financement de la protection sociale. Et la liste pourrait se prolonger...
Notre sélection
Il nous est paru nécessaire dʼintervenir. Non pour mettre un terme définitif aux discussions du haut de notre tour dʼivoire, mais dans un souci de clarté et de cohérence. Nous avons fait le choix, dans les pages qui suivent, de nous concentrer sur quatre débats qui traversent toute la gauche et dans lesquels il nous semble que notre réflexion apporte une réelle plus-value : le dilemme entre « peuple » et classe, le problème de la « décroissance », la question du financement de la protection sociale et notre conception de lʼunité.