C.Autain : "nous avons besoin d’un outil nouveau"
La députée de Seine-Saint-Denis est une des figures de proue de l’Association pour une République écologique et sociale (l’APRES), le regroupement institué par les cadres politiques nationaux de la LFI « purgés » par l’appareil mélenchonien au moment de la constitution du Nouveau Front populaire (NFP). Avec nos ami.es Danielle Simonnet, Raquel Garrido, Alexis Corbière et Hendrick Davi, elle appelle de ses vœux la création d’une nouvelle force, alliant radicalité programmatique et exigence démocratique, et qui serait l’aile marchante du NFP. Nous sommes en parfait accord avec elle sur cette perspective. Nous lui avons demandé d’approfondir un certain nombre de points pour nos lectrices et nos lecteurs.
D&S : Peux-tu nous rappeler les raisons de la création de l’APRES ?
Clémentine Autain : Écartés de la direction de LFI mise en place par cooptation fin 2022, Alexis Corbière, Danielle Simonnet, Hendrik Davi, Raquel Garrido et moi-même avons défendu des partis-pris communs sur un certain nombre de sujets. Nous nous étions déjà retrouvés pour défendre le besoin de cohérence entre nos principes et nos prises de position dans l’affaire Quatennens. Nous avons plaidé pour la démocratie interne et le pluralisme ainsi que pour le respect, le rôle et l’écoute des syndicats, notamment au moment de la réforme des retraites. Nous avons assumé de qualifier le Hamas d’organisation terroriste après le 7 octobre, et avons manifesté, avec François Ruffin, à Strasbourg contre l’antisémitisme. Nous avons inlassablement soutenu le rassemblement des gauches et des écologistes qui nous apparaît comme un impératif dans le cadre de la tripolarisation de la vie politique, pour faire face à l’extrême droite et gagner. Nous avons contesté le profil politique de LFI qui nous apparaissait parfois inutilement clivant et brutal. Et je note aujourd’hui avec tristesse que la récente enquête d’Ipsos sur la perception de LFI nous dit que 72 % des personnes interrogées estiment que le parti de Jean-Luc Mélenchon attise la violence (contre 60 % il y a un an) et 69 % qu’il représente un danger pour la démocratie (contre 57 % l’an passé). Le RN apparaît plus attaché à la démocratie que LFI ! La diabolisation orchestrée par les médias dominants pèse lourd dans cette perception, mais elle n’explique pas tout. Nous aurions pu faire mieux.
Sur toutes ces batailles avec la direction LFI, je vous renvoie à l’excellent texte de Danielle Simonnet dans Regards*. À force de nous retrouver à défendre les mêmes points de vue et être mis à l’écart par la direction, nous avions décidé de mettre en commun nos forces dans une association pour discuter, élaborer, agir ensemble et fédérer. Il existe au sein de LFI des partis comme le POI, REV ou GES : rien de très original donc, même si j’ai vu que Jean-Luc Mélenchon et les siens ont ensuite prétexté la date de notre création formelle d’association, antérieure à la purge, pour raconter que nous voulions ainsi fomenter l’explosion de l’intérieur de LFI ! C’est tout bonnement ridicule.
On nous a souvent dit qu’il fallait laver notre linge sale en famille. Mais nous n’avons jamais trouvé la buanderie. Nous associer est apparu comme une évidence, le moyen d’être plus audibles et utiles. Mais la dissolution, puis la purge ont précipité les choses et modifié l’objet de notre association. Finalement, l’APRES est un mouvement en dehors de LFI, qui a pour ambition de garder la volonté de transformation sociale et écologiste portée par les Insoumis, tout en faisant vivre la culture de l’union et en se donnant pour objectif un fonctionnement démocratique.
D&S : Dans un entretien à Mediapart, tu as expliqué qu’il fallait « entamer un processus de création d’une nouvelle force politique ». Peux-tu nous en dire plus sur ce projet ? Sur les rythmes envisagés ? Sur son utilité dans la situation actuelle ? Sur son orientation politique ?
CA : Je suis convaincue que nous avons besoin d’un outil organisationnel nouveau qui soit à la fois bien campé à gauche et déterminé à faire vivre l’union – et pas seulement au moment où il faut sauver les sièges des député.es. Beaucoup ont quitté LFI en colère contre son fonctionnement gazeux et clanique, et/ou contre certaines positions de Jean-Luc Mélenchon et de la direction, sans pour autant avoir pris leurs distances avec une gauche de rupture, ni avoir envie de prendre leur carte au PS ou chez les Écologistes. Certain.es d’entre eux/elles aimeraient trouver un espace pour militer de façon pérenne. D’autres, nouvellement engagé.es ou issu.es du mouvement social, se sont impliqué.es dans la campagne des législatives du NFP et espèrent la création d’une nouvelle force pour s’engager durablement. Des mouvements politiques comme Génération.s, Picardie debout !, la GDS ou encore Ensemble! s’interrogent sur l’opportunité de mutualiser leurs forces. La GES et Alternative communiste réfléchissent aussi à leur avenir. Coopérer avec d’autres, c’est se donner les moyens de faire grandir la voix de l’union sur la base d’un projet de rupture, et d’être à la table de l’union avec les quatre grands partis. C’est se donner les moyens de peser pour que le NFP se structure, se transforme pour s’ouvrir au mouvement social et citoyen, et perdure.
Je suis convaincue que l’agrégation de toutes ces énergies nous permettrait de constituer une force ciment du NFP, ouverte sur la société, avec une capacité d’attraction de nouveaux profils militants. Mais attention : il ne s’agit pas dans mon esprit d’une addition de petites organisations déjà existantes, mais d’une dynamique politique nouvelle qui emporte, dès le départ, au-delà de nos rangs. Nous avons besoin de souffle, de bousculer nos formes, d’interroger notre langage. Ce travail suppose de penser contre nous-mêmes.
D&S : Même si plus d’une vingtaine de formations ont rejoint le Nouveau Front populaire, seuls quatre partis ont réellement voix au chapitre. Comment associer les autres forces ? Et quelle place pour la nouvelle force politique au cœur du NFP ?
CA : Mutualiser dans un même espace, d’abord fédératif, de petites organisations qui ont les mêmes ambitions, c’est s’assurer d’avoir voix au chapitre. Mais la question de la place de plus petites forces reste entière. Je pense que le NFP ne peut pas rester un simple cartel. Il doit se doter de différents espaces d’échanges, d’action et de décision pour inclure, là où il reste aujourd’hui simplement animé par un petit nombre de dirigeants des quatre formations.
D&S : L’aspiration à l’unité est majoritaire à gauche. Celles et ceux qui n’ont que leur force de travail pour vivre, celles et ceux qui créent les richesses sans en recevoir la part qu’ils et elles méritent, ont besoin de cette unité. C'est vrai aussi pour les luttes écologistes, féministes, antiracistes...Comment faire émerger la parole de celles et ceux d'en bas pour que cette unité ne soit pas malmenée ou brisée comme trop souvent ?
CA : Il faut favoriser leur implication. Cela suppose par exemple d’accepter les adhésions directes au NFP. Et de créer des collectifs NFP partout pour qu’ils fassent vivre concrètement l’union, qu’ils mènent des actions de proximité à même d’aller chercher celles et ceux qui sont à distance de la politique aujourd’hui. Cela suppose encore de mettre clairement en débat la parité sociale, c’est-à-dire la mesure radicale qui garantirait une diversité réelle des profils dans nos candidatures aux élections. Cela suppose de se donner les moyens de la formation des militant.es.
Oui, à gauche, l’aspiration à l’unité est majoritaire. Mais nous savons que le rassemblement est très fragile. La candidature visiblement décidée de Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle menace l’union à court terme, parce qu’elle ne peut pas fédérer le NFP. La partie modérée du PS, minoritaire aujourd’hui mais agissante, rêve d’une union de la gauche qui n’en est pas une, c’est-à-dire sans LFI et sans grande clarté vis-à-vis de la macronie. Elle contribue à fragiliser le NFP.
Si le NFP ne se dote pas de cadres de dialogue et de décision, si les forces déterminées à le faire vivre restent éclatées, si nous n’arrivons pas à mettre en place de nouveaux lieux d’implication des militant.es et sympathisant.es qui ne sont pas membres d’un des quatre grands partis, alors nous risquons d’échouer. Or, avec le RN en embuscade, et l’urgence tant sociale qu’écologique, nous n’avons pas le droit de reproduire l’échec de la NUPES.
D&S : Comment conçois-tu les relations entre les partis de gauche et les mouvements sociaux, et en particulier les relations partis-syndicats ? Et plus largement comment envisages-tu la question démocratique aussi bien dans la société que dans les partis ?
CA : Initialement, je viens du mouvement social. J’ai démarré mon engagement en créant avec d’autres Mix-Cité, une association féministe, et en co-animant la Fondation Copernic. C’était dans les années 1990. J’ai été marquée par le mouvement de novembre-décembre 1995 et les discours de Pierre Bourdieu. La tonalité ambiante était au primat du social sur le politique. Je suis formatée par le respect du mouvement syndical et associatif, sa non-instrumentalisation par le politique. Je suis donc attachée à l’indépendance des syndicats et à leur rôle spécifique dans la défense du monde du travail. Et si nous arrivons à gouverner, il faut des forces qui poussent à la mobilisation dans la rue et ailleurs, de façon autonome par rapport au pouvoir en place. C’est la condition de changements profonds.
Notre période est marquée structurellement par le déclin numérique à la fois des partis et des syndicats – même s’il y a conjoncturellement un regain aujourd’hui –, par les dégâts du néolibéralisme sur l’engagement de masse, et par l’affrontement avec l’extrême droite. C’est pourquoi la coopération entre partis et syndicats doit être repensée. L’idée de Front populaire porte en elle ce besoin d’agir ensemble, dans le respect du rôle de chacun. Je suis donc favorable à ce que l’on cherche davantage de liens et d’actions communes entre le NFP et le mouvement social. Je vois bien les réticences, mais je pense qu’il faut travailler à les surmonter. Il en va de l’intérêt de celles et ceux qui nous défendons.
Si nous n’arrivons pas à prendre le pouvoir, la lutte syndicale va devenir de plus en plus difficile, voire quasiment impossible. Si nous y arrivons, nous aurons besoin d’un mouvement social fort et actif. Nos intérêts convergent.
Quant à la question démocratique, elle me paraît essentielle. D’abord nous ne pouvons pas ambitionner une société plus démocratique, avec une VIe République, sans chercher à la faire vivre pour nous-mêmes. Ensuite, elle est vertueuse. Ce n’est pas simplement par principe que je suis démocrate. C’est aussi parce que je crois plus efficace cette méthode. Je vous renvoie aux développements lumineux à ce sujet de mon ami Hendrik Davi dans son essai Le capital, c’est nous. La démocratie reste une utopie. Il faut donc tendre vers elle. Et ce n’est pas qu’une question institutionnelle, de cadre formel. C’est une culture, un état d’esprit, une veille permanente. Nous crevons aujourd’hui de l’autoritarisme des puissants. La gauche doit être crédible sur cet enjeu majeur. En finir avec une forme de virilisme du pouvoir fait partie de l’équation.
Propos recueillis le 3 septembre par Éric Thouzeau et publiés dans le numéro 317 (septembre 24) de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale.
* https://regards.fr/comprendre-la-purge-lfi-daniele-simonnet (de larges extraits de ce texte important ont été publiés dans le D&S 316, juillet-août 2024, NdR)