Âge de la retraite des femmes : les Suisses voteront-ils une deuxième fois ?
Les citoyennes et les citoyens suisses voteront-ils une deuxième fois à propos du relèvement de l’âge de la retraite des femmes de 64 à 65 ans ? Cette hypothèse n’est pas totalement exclue, du fait qu’avant la votation de septembre 2022, des chiffres trompeurs avaient été publiés.
À l’époque, l’avenir financier de l’Assurance vieillesse et survivants (AVS), la part publique du régime des retraites, avait été présentée de manière beaucoup trop négative, les prévisions étant de 4 milliards de francs de déficit en 2033 (1 euro = 0,95 franc suisse), ce qui est considérable.
Deux recours à gauche
Comme ces prévisions ont été l’une des principales raisons du résultat serré (50,5 % de « oui »), en septembre 2022, à propos du relèvement de l’âge de la retraite des femmes, les Femmes socialistes et les Verts ont déposé des recours contre le résultat de la votation. Leur démarche est légitime, car la brochure distribuée aux citoyens avant la votation contenait des formules erronées.
Il appartiendra au Tribunal fédéral, la plus haute instance judiciaire du pays, de dire si le scrutin sera répété ou non, Selon un sondage publié par Le Temps, seuls 39 % des Helvètes (mais 53 % des Romands) sont pour un retour aux urnes ; un expert estime qu’en cas de nouveau scrutin, le résultat serait à nouveau très serré.
Nouvelle arnaque
Ces prévisions erronées auront d’autres conséquences. Elles montreront tout d’abord que la 13e rente AVS, adoptée par le peuple le 3 mars dernier, est parfaitement supportable financièrement, contrairement à ce qu’affirment une partie de la droite et du patronat, qui font tout pour freiner sa mise en œuvre, alors que cette rente supplémentaire devrait entrer en vigueur en 2026. Ensuite, ces erreurs devraient inciter le peuple suisse à rejeter, le 22 septembre prochain, la révision de la loi sur la prévoyance professionnelle (le volet privé du système des retraites, dit le «2e pilier»).
Celle-ci est une arnaque. Cette « réforme » encourage la baisse des rentes qui frappe le 2e pilier depuis quinze ans, en réduisant fortement le taux de conversion, lequel permet de définir sa rente au moment de la retraite. Les baisses de rentes iraient jusqu’à 3 200 francs par année. Elles toucheraient surtout les professions à salaire moyen. En parallèle, la révision revoit à la hausse les déductions obligatoires. Il en coûterait jusqu’à 2 400 francs de plus par an aux salariés, de sorte que les revenus nets diminueraient encore, dans un contexte de hausse généralisée des prix.
Ces atteintes aux droits des travailleurs et des travailleuses devraient favoriser un « non » dans les urnes le 22 septembre, de même que le fait que la « réforme » est aussi contestée, pour d’autres raisons, par huit organisations économiques, dont la puissante Gastrosuisse (hôtellerie-restauration) et le Centre patronal romand.
Augmenter la part du public
Même s’il ne faut jamais crier victoire trop vite, il y a de relativement bonnes chances pour que la « réforme » du 2e pilier soit rejetée par le peuple. Après avoir obtenu une 13e rente AVS et refusé l’augmentation de l’âge de la retraite à 66 ans, le 3 mars dernier, la gauche politique et syndicale réussirait un triplé historique. Il faudra alors songer aux suites à donner à ces victoires.
Dans l’absolu, il conviendrait de supprimer le 2e pilier au profit d’un régime des retraites fondé exclusivement sur la seule AVS publique, solution qui serait plus sociale que le système actuel, mais la faisabilité d’une telle réforme se pose. On peut en revanche imaginer un rééquilibrage des rapports entre le 2e pilier et l’AVS, au profit de celle-ci. Dans L’Affaire du siècle. Le 2e pilier et les assureurs (Alphil, 2023), le journaliste Pietro Boschetti a montré que dans l’AVS, 100 francs de cotisation financent 99 francs de rente, contre 76 seulement dans le 2e pilier, où les frais administratifs sont bien plus importants.
Via les conventions collectives
La lutte doit non seulement se poursuivre sur les plans parlementaire et législatif, mais aussi au niveau des branches économiques, via les conventions collectives de travail (CCT). Dans la construction, les travailleurs peuvent prendre leur retraite à partir de 60 ans. Dans différentes branches de l’artisanat, il est aussi possible de quitter la vie active avant 65 ans, tandis que dans l’horlogerie, une rente-pont permet de prendre sa retraite à 64 ans.
Dans l’horlogerie toujours, une solution originale a été développée : la retraite progressive, qui permet aux salariés de réduire leur temps de travail durant les deux années qui précèdent l’âge légal de la retraite, pour ne plus travailler que trois jours par semaine (payés quatre) lorsqu’ils ont 64 ans. Ces modèles méritent d’être développés. Mais cela suppose des luttes et une amélioration du taux de syndicalisation : 70 % dans le bâtiment, contre… 15 % en moyenne nationale !
Cet article de notre ami Jean-Claude Rennwald (ancien député PS au Conseil national suisse, militant socialiste et syndical) a été publié dans le n°317 (septembre 24) de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).