Un #metoo pour sauver l’espèce humaine
Lors de la Convention nationale de la GDS, en mars dernier, des camarades ont présenté une stimulante contribution au débat. L’abondance des matières et l’aggravation de la crise politique en ont repoussé la publication dans nos colonnes. Voilà enfin chose faite.
Tout le monde sait depuis au moins cinquante ans – le rapport Meadows significativement intitulé « Les limites de la croissance » date de 1972 – que nous sommes assis sur une Terre dont les ressources sont connues et limitées. C’est un trésor qui a mis des millénaires à se constituer et, quand nous « tapons » dedans, les réserves diminuent.
Mettre fin au déni
S’il existe un débat pour savoir s’il faut nommer « anthropocène » ou « capitalocène » l’ère à laquelle nous vivons, et quelles bornes temporelles on doit lui donner, nous optons pour le second terme1. En tout état de cause, peu importe. Si l’on continue à puiser dans les ressources, à cette vitesse, nous serons réduits d’ici deux ou trois générations à respirer avec des bouteilles à oxygène et les plus riches auront leur abri.
Le modèle de production-consommation, imposé par une idéologie économique toute puissante, conduit à outrepasser les besoins des uns, sans satisfaire ceux des autres et en mettant en danger la santé, et même la survie de toutes tous. Beaucoup sont persuadés qu’il est impossible d’en sortir car il permet d’assurer la croissance, l’emploi, le progrès. Et surtout l’enrichissement infini des détenteurs du capital. Mais, problème : cette impasse productiviste, extractiviste et consumériste nous conduit à la destruction des conditions même de notre existence. La nature est quelquefois cruelle sous forme d’épidémie, de tremblement de terre, d’éruption volcanique, mais l’espèce humaine est bien son pire ennemi.
Le triomphe de l’ultralibéralisme, après la chute du mur de Berlin, nous a précipités dans une mondialisation des échanges visant à se servir des pays pauvres pour produire encore plus à des coûts dérisoires, et maintenir au passage la domination capitaliste sur les travailleurs des pays du Nord au nom de la compétitivité. Problème : cette exploitation des énergies carbonées pour prolonger la grande fête compromet notre avenir plus rapidement que prévu.
Le déni politique
L’aveuglement et le dogmatisme d’une grande partie de la classe politique, y compris parfois à gauche, nourrissent un discours indigent, pas du tout à la hauteur des enjeux : « Pas d’écologie punitive, juste une écologie incitative » et il faudrait continuer à croire que la bonne volonté des puissants y suffira !
Emmanuel Macron a pensé d’abord à effacer un clivage politique, s’en remettant au bon sens et au sens du vent. Il soutient toujours les grandes entreprises et la finance mondialisée pour nous endormir sur l’importance vitale de ce qui est en train de se jouer. Toutes ces belles âmes espèrent que nous continuerons encore longtemps à nous battre pour le pouvoir d’achat et le prix de l’essence (éléments essentiels par ailleurs), mais pas pour le climat et… notre survie.
Pourtant, il est urgent d’ouvrir les yeux et d’affronter les défis qui se dressent devant nous en proposant des méthodes fermes pour rendre ce monde pérenne.
Aux dires de certains, notre salut ne pourra venir que d’une solution technologique pour assouvir des besoins non pas vitaux, car ceux-là sont globalement à notre portée, mais des besoins superficiels proposés par le marché.
En clair, le marché a pris le pas sur les valeurs qui nous font « faire société » : « avoir » plutôt qu’« être ». Ou, comme l’analyse la philosophe Émilie Hache, « produire » plutôt que « générer »2.
Le monde s’impose des contraintes qui ne correspondent à rien dans l’univers. Croissance, performance, compétition sont des concepts qui ne sont là que pour justifier notre incapacité à réagir malgré des siècles de soi-disant « progrès ».
Emmanuel Macron, encore lui, accompagné de sa cohorte de sachants financiers, n’a aucune connaissance de la France profonde. Quand il a été piégé par le Covid-19, il a fait marcher la planche à billets pour éviter la révolution et quand les marchés financiers ont trouvé que cela commençait à bien faire, il a mis le holà en tapant sur les retraites et a envoyé son ministre Le Maire au charbon. Ajoutons à cela que les géants du numérique, de la tech, espèrent nous épater avec leurs solutions (l’IA, la géo-ingénierie…) et nous disent qu’il ne faut pas s’inquiéter. Qu’ils ont les solutions pour nous sauver.
Faut-il les croire ?
Résultat, il devient toujours plus difficile de menacer idéologiquement le système dans lequel nous vivons et nous sommes confrontés à deux dangers extrêmes : l’accroissement sans fin des inégalités et la survie de notre espèce. Et il faut mener les deux combats de front, car la lutte pour une planète habitable ne peut pas être pensée indépendamment du combat anticapitaliste. Et réciproquement.
Et c’est ce que nous explique la génération qui vient. Regardez les Gilets jaunes : leur combat était juste, mais il n’a pas abouti. Le combat des paysans était juste, mais ce sont les productivistes qui l’emportent pour l’heure au détriment d’une alimentation saine et abordable pour toutes tous.
Alors cette nouvelle génération (appelée éco-terroriste par le gouvernement) se radicalise. Ce qui montre à quel point c’est cette sorte de contestation qui fait peur au pouvoir, alors que le mouvement social est en difficulté pour initier des mobilisations massives, a fortiori une grève générale, et que la répression s’abat sans retenue. Le pouvoir connaît parfaitement les contre-récits qui font basculer l’opinion. Et sa mainmise sur les grands médias lui facilite désormais grandement le travail.
Quel est l’intérêt d’une société où la majorité des innovations ne servirait qu’à réparer les méfaits des innovations précédentes (capter le CO2, l’enfouir ou le déporter ailleurs, alors qu’il faut tout simplement le diminuer drastiquement) ?
La radicalisation de cette partie conscientisée de la jeunesse nous exhorte à aller plus vite et à s’attaquer au problème de fond, la survie de l’humain. Elle nous dit que l’or de demain, c’est l’eau ; que la biodiversité doit être protégée coûte que coûte. Des réactions violentes se manifestent, pour l’instant en nombre limité, mais plus nous allons approcher de la catastrophe écologique, plus il y en aura. Le capitalisme ne s’amendera pas lui-même en devenant frugal et sobre.
Un sondage de la revue Lancet affirme que 56 % des jeunes de 16 à 25 ans considèrent que l’humanité est condamnée, que 75 % jugent le futur effrayant et que 40 % ne veulent pas avoir d’enfants par peur du dérèglement climatique.
Le pouvoir est ailleurs que dans nos institutions démocratiques
Le désintérêt pour la politique vient d’un réflexe de consommateur. Quand nous commandons un bien, nous le voulons dans les 24 heures et s’il ne convient pas nous le renvoyons. La politique ne peut se satisfaire de cette méthode. Les abstentions records annoncent une société sans engagement politique qui laisse la voie libre au pouvoir économique3.
La politique demande de réfléchir à un programme qui respecte le bien commun, des lois communes. Cette politique repose sur le compromis, la négociation et le temps long car, une fois élu, le politique est là pour la durée du mandat, voire plus. Mais le besoin de consommer coûte que coûte ne supporte plus cet état du temps long et la démocratie s’en trouve menacée. Menacée parce qu’elle s’est laissée rongée de l’intérieur par les grands intérêts économiques et les régimes autoritaires qui ne cessent de progresser (en 2020, un sondage IFOP, montrait que 20 % des Françaises et des Français se disaient favorables à l’élection du général De Villiers à la tête du pays). Menacée et dévitalisée parce que de nombreux citoyennes et citoyens ne croient plus du tout en la possibilité de changer leur vie par l’engagement en politique, et a fortiori par le vote.
Depuis la forfaiture du TCE, rejeté par les urnes en mai 2005, mais finalement imposé par l’adoption parlementaire du traité de Lisbonne en février 2008, beaucoup ont compris que leur voix ne comptait pas. Que le pouvoir est ailleurs que dans nos institutions démocratiques.
Quand la consommation prend le pas sur la politique
L’exemple le plus flagrant est le Brexit. Cet épisode a été un véritable exemple de laboratoire. Pour faire basculer les opinions, des informations d’une simplicité confondante ont inondé les réseaux sociaux (exemple : 350 millions de livres étaient versés chaque semaine par le Royaume-Uni à l’Union européenne). Des bus circulaient pour dire que cet argent serait mieux investi dans le système de santé britannique… et au final en 2022, 57 % des Britanniques pensent avoir été trompés et regrettent leur départ de l’UE.
Autre exemple : pour se donner bonne conscience, des politiques nous assurent que l’on émet, en France, beaucoup moins de CO2 que les autres grâce au nucléaire, ce qui nous dispenserait de prendre des décisions courageuses pour le climat. Nous le paierons très cher. Et comme d’habitude ce sont les plus pauvres qui paieront le plus.
Comment sortir collectivement du modèle imposé par le capitalisme ?
Il faut de toute urgence arrêter l’escalade de la violence policière et des provocations qui ne serviront qu’à justifier la mise en place d’un régime autoritaire. Lutter contre nos réflexes de consommateurs, accepter de sortir d’un monde virtuel qui pointe. Des millions d’humains quittent le monde réel pour investir un monde virtuel et finissent par quitter l’humanité.
Il semble évident que des esprits étriqués préfèrent voir le monde s’écrouler plutôt que quitter la fête capitalistique à laquelle ils croient participer. Mais une espèce qui se maintient en permanence au bord de l’apocalypse peut-elle bâtir une société viable ?
Cela risque d’être très compliqué car, peu à peu, l’être humain s’est adapté à cette forme d’organisation et préfère rester dans le déni. Il faut donc, sans relâche, lutter contre le marchand de sable néo-libéral qui tente de nous endormir. Car si le capitalisme persiste dans ses excès, comment pourrait avoir lieu la bifurcation radicale, pourtant nécessaire ?
Cette situation doit aussi être remise en question en acceptant l’idée que notre vie est reliée aux autres êtres vivants et à la nature, et en cessant de nous croire fondamentalement distincts de la nature au nom d’une prétendue supériorité ontologique.
Nous arrivons dans une ère « numérico-écologique » dont l’objectif ultime est l’homme parfait, et qui est clairement liée à une idéologie très droitière, comme le comportement d’Elon Musk le montre chaque jour davantage4. Les technocrates, financés par le capitalisme, veulent nous assurer que tous nos problèmes ne sont que des équations qui n’ont pas encore été résolues. Tout l’enjeu est de savoir s’ils pourront les résoudre avant que notre monde ne se dégrade trop fortement.
Le système actuel a réussi le plus difficile, empêcher les gens de se poser les questions et saper notre libre arbitre et notre volonté de comprendre ce qui nous arrive. La majorité d’entre nous est affolée par la crainte de la récession, d’appauvrissement et du déclassement. La grande démission qui a pointé le bout de son nez Iors du Covid-19 serait-elle prémonitoire d’un nouvel élan avant la grande rébellion ? Faut-il se désengager, refuser de jouer le jeu bien huilé du système ? Bifurquer et refuser la consommation de masse ? Faut-il revenir à l’esprit du contrat social initial, celui de Rousseau, selon lequel la marche de l’humanité doit tendre vers le progrès humain ? Faut-il bâtir un nouveau récit, imaginer le monde que nous voulons, donner un but politique au sens philosophique de nos luttes ?
Autant de questions auxquelles il va falloir répondre rapidement.
Cette contribution de nos camarades Jean-Pierre Coté, Bernard Motto-Ross et Marie Motto-Ross est à retrouver dans le n°317 (septembre 24) de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).
1. « Anthropocène ou capitalocène ? », podcast de France culture, 11 octobre 2021.
2. Émilie Hache, De la génération, La Découverte, 2024. Lire sur Mediapart son entretien avec Joseph Confavreux .
3. Julia Cagé, Le prix de la démocratie, Fayard, 2018.
4. David Chavalarias, « Avec X, Musk s’est acheté une arène d’influence et s’est placé au centre », entretien avec François Bougon, www.mediapart.fr, 21 août 2024.
« Le présent d’ordinaire nous blesse. Nous le cachons à notre vue parce qu’il nous afflige. »
Blaise Pascal