Dossier spécial sur le sommet de Copenhague
Le sommet de Copenhague fait l’objet d’une couverture
médiatique exceptionnelle. A droite, comme à gauche,
tout le monde semble mobilisé par cet évènement politique
planétaire. Comme si la perception de la possible finitude
du monde permettait de dépasser les clivages politiques. C’est
d’ailleurs la lecture proposée par Le Figaro : « l’écologie, par
delà les clivages politiques »(1).
Cette présentation médiatique complaisante efface le fait que ce
sont bien les développements de l’économie capitaliste qui ont
conduit le monde à cette situation. Les contradictions de ce système
seront des obstacles forts pour trouver de réelles solutions.
Comme toute question politique, la question environnementale
n’existe pas de manière « abstraite » mais est la traduction
concrète d’affrontements d’intérêts contradictoires.
LA QUESTION ENVIRONNEMENTALE
S’IMPOSE DANS L’AGENDA POLITIQUE
A gauche, la question environnementale rencontre généralement
deux types d’attitudes : les « passionnés », qui y voient la
lutte politique fondamentale du XXIe siècle, et les « agacés »,
par cette folie médiatique qui fait oublier à certains la réalité
sociale. La question environnementale devrait pourtant mobiliser
tout le monde car il y a bien une évolution problématique du
climat.
Les travaux du Groupe intergouvernemental sur l’évolution du
climat (GIEC) montrent qu’une hausse des températures est
prévisible dans les années à venir et que cette hausse résulte très
probablement de l’augmentation du CO2, fruit de l’activité
humaine. Les concentrations de gaz carbonique dans l’atmosphère
ont en effet augmenté très fortement avec le développement
du capitalisme : 379 ppm (2) en 2005 contre 280 ppm
avant l’ère industrielle (1750). C’est donc principalement le
résultat de l’activité économique des pays dits « développés ».
Le GIEC constate que le réchauffement du système climatique
s’observe concrètement : à travers l’accroissement accéléré des
températures moyennes mondiales de l’atmosphère (la vitesse
moyenne du réchauffement au cours des cinquante dernières
années – 0,13°C par décennie – est environ le double de ce
qu’elle a été sur les cent dernières) et de l’océan, la fonte généralisée
de la neige et de la glace, et l’élévation du niveau moyen
mondial de la mer (+17 cm au cours du XXe siècle). Une augmentation
du nombre des cyclones tropicaux intenses est observée
depuis 1970.
Pour le GIEC, les impacts du changement climatique se traduiront
dans au moins cinq domaines : des phénomènes climatiques
aggravés, un bouleversement de nombreux écosystèmes,
des crises agricoles, des dangers sanitaires, des déplacements de
population (en lien avec la hausse du niveau des océans).
Si la majorité des scientifiques se sont ralliés à l’analyse générale
du GIEC, il faut souligner cependant l’existence d’une
minorité scientifique qui postule que le réchauffement climatique
est une évolution naturelle cyclique et qui n’a rien à voir
avec la hausse du CO2. Il n’est jamais évident pour le politique
de se positionner dans un débat scientifique mais force est de
constater que les travaux du GIEC font l’objet d’une large
approbation dans la communauté scientifique. De plus, même
une partie de ceux qui contestent le lien de cause à effet « CO2 – réchauffement climatique », ne conteste pas l’existence de ce
réchauffement et des dangers qu’il comporte.
De toute façon, la question environnementale ne peut être
réduite à une question de carbone et de réchauffement climatique.
D’abord parce que les gaz à effet de serre (GES) sont
constitués de rejets de dioxyde de carbone (CO2) (77 % des
émissions anthropiques totales en 2004), mais aussi de méthane
(CH4), de protoxyde d’azote (N2O) et de différents gaz frigorigènes
(HFC, PFC et SF6). Ensuite, parce qu’un des grands défis
pour le système économique sera de trouver des alternatives
face à des ressources naturelles en cours d’épuisement à court /
moyen terme. Également, parce que la biodiversité est mise à
mal par l’exploitation acharnée des espaces ruraux à certains
endroits de la planète. Enfin, parce que tous ces problèmes
environnementaux (pollution atmosphérique mais aussi de
l’eau et de la terre) mettent en péril la santé des individus sur
cette terre. Il y a donc bien une question environnementale
incontournable à l’agenda politique de ces prochaines années.
QU'ATTENDRE DE LA CONFÉRENCE
DE COPENHAGUE ?
Pour limiter l’emballement de la machine climatique, les scientifiques
recommandent de limiter le réchauffement moyen de la
planète de 2°C. La réussite du sommet de Copenhague sera
donc jugée sur cette capacité qu’auront les négociateurs à engager
leurs États en faveur d’objectifs de réduction de gaz à effet
de serre, sur les outils mis en œuvre pour y arriver et les moyens
pour contrôler la réalité de la mise en œuvre.
Mais ce n'est pas la première fois qu'il y a un sommet mondial.
Il y a déjà eu Kyoto notamment. Or, les résultats sont pour le
moins « mitigés ».
A ces conférences, les représentants de chaque pays défendent
les intérêts de leurs grandes entreprises nationales. Or, voilà
qu'on demande à ces mêmes « grands dirigeants du monde » de
trouver un accord sur le climat, ce qui reviendrait à établir des
règles écologiques sur la production. On demande donc à ceux
qui ont dérèglementé l'économie mondiale d'établir de nouvelles
règles. Et ces règles pourraient même devenir des
contraintes sur la rentabilité des entreprises. Alors d'emblée, si
les grands dirigeants affichent des « intentions », il ne faudrait
pas non plus que ces accords nuisent à la compétitivité des économies
de leur pays.
Certes, l'Union Européenne s’est déjà engagée à réduire ses
émissions de gaz à effet de serre d’au moins 20 % d’ici 2020, et
de 30 % si un accord international peut être trouvé. Les engagements
européens, pourtant encore insuffisants, sont dépendants
de la lutte économique avec les autres blocs de
l’économie capitaliste mondiale.
Obama, quant à lui, semble vouloir d'un accord mondial mais se
trouve dans une situation précaire, pris dans les contradictions
du modèle de développement de son pays. La seule reconnaissance
du changement climatique est déjà considérée comme
une avancée ! B. Obama doit affronter les « lobbys » des
grandes entreprises qui ont, pour une part, financé sa campagne
électorale. Il a également fort à faire avec le congrès américain
qui ne votera pas facilement des restrictions au productivisme
étatsunien.
Que dire aussi de la Russie (et de l'ancien bloc soviétique), seul
bloc de pays au monde à avoir baissé de manière substantielle
ses émissions de GES depuis 1990. En effet, entre 1990 et
aujourd'hui, il y a eu le démantèlement de l'économie de
l'URSS, et le volume de production à chuté d'environ 30 %,
autant que leurs émissions de GES.
Enfin, les économies de tous les pays qui se développent à grande
vitesse, l'Inde, la Chine en tête deviennent aussi polluantes
que les États-Unis (bien que la pollution par habitant reste plus
de 10 fois moindre). C'est pourquoi la Chine, acteur incontournable de Copenhague du fait de la nouvelle envergure de son
économie, veut bien d'un accord... s'il n'est pas chiffré. Ou bien,
s'il est chiffré, qu'il ne soit pas contraignant. Autrement dit, si
les objectifs de réduction d'émission de GES ne sont pas
atteints, il n'y aura aucune sanction. Cela peut revenir à « je
m'engage... à pas grand-chose » .
Avant même que la conférence ne débute, il semble donc assez
hypothétique d'aboutir à un accord qui réponde aux enjeux
posés par le groupe d'experts du GIEC.
ASSEZ DE LA CROISSANCE VERTE !
La crise environnementale impose une restructuration complète
de la production. Mais les grands sommets internationaux
(G8, G20, OMC...) se traduisent systématiquement pour l’instant
par des accords de renforcement de la mondialisation néolibérale.
C'est pourquoi la « croissance verte » risque bien de
n’être qu’une simple transformation de façade du capitalisme
financier. Il suffit de voir l’évolution rapide des stratégies de
communication : tous les produits deviennent « verts », la
même voiture autrefois rapide et confortable est aujourd’hui
«écolo », et même Mc Donald a désormais un logo vert !
La croissance verte n’est alors qu’une nouvelle étape de la marchandisation
du monde. Les instruments dont se sont dotés les
États jusqu’à présent en sont une illustration parfaite. Le protocole
de Kyoto a permis de mettre en place un grand marché du
carbone sous la forme d’un marché de droits d’émissions et
d’un marché d’échange de crédits d’émission. C’est une extension
de ces marchés qui est visé à Copenhague, notamment avec
un développement spécifique pour traiter de la déforestation.
C’est en fait une nouvelle étape dans le fonctionnement de la
concurrence capitaliste qui se joue au niveau mondial : les
grands groupes cherchent à maîtriser aux plus vite la gestion de
nouvelles énergies. Les firmes multinationales élaborent de
nouvelles stratégies. Profiter au maximum de leur quasi monopole
sur les marchés actuels en exploitant au maximum les ressources,
pour pouvoir, une fois que ses ressources ne seront plus
exploitables, basculer sur les nouveaux marchés « verts ».
Elles cherchent également à devenir propriétaires de nouvelles
ressources naturelles (labellisation de plantes appartenant au
patrimoine de certaines civilisations) pour préparer de futurs
monopoles sur ces marchés au fort potentiel de croissance.
LIER L’ÉCOLOGIE ET LE SOCIAL :
UNE VERSION RENOUVELÉE DU SOCIALISME
« La simultanéité de l’explosion des déséquilibres financiers,
sociaux, agricoles, écologiques, n’est pas un hasard, mais le
signe des limites atteintes par un système qui a imposé la
logique de rentabilité à court terme à l’ensemble des sociétés au
profit d’une minorité, et qui a soumis ou tenté de soumettre
l’ensemble des champs de la vie sociale à la logique de profit ».
Pendant longtemps la nature fut une donnée pour les êtres
humains. De l’histoire de la nature, l’homme était exclu. Le
développement de l’activité humaine modifie aujourd’hui le
fonctionnement même de la nature : les humains deviennent
producteurs de l’histoire de la nature… et peut-être même de sa
fin. La question environnementale est une façon nouvelle mais
répétée d’interroger le modèle de production de nos sociétés
capitalistes. Nouvelle, car est posée la finitude de notre monde.
Il ne s’agit pas d’un catastrophisme millénariste, mais la poursuite
et la généralisation du modèle économique des pays développés
n’est pas soutenable (5 planètes, c’est ce qu’il faudrait à
l’humanité si tout le monde adoptait le mode de production des
États-Unis).
Face à cela, la prise de conscience des individus est nécessaire
mais loin d’être suffisante. Il faut prendre garde aux discours
moralisateurs qui tendent à rendre responsables les individus
des dégâts d’un système économique qui ne profite qu’à
quelques-uns. Ainsi, quand le député vert Yves Cochet défend
l’idée d’une réduction des allocations familiales à partir du troisième
enfant, on voit bien les dérives qui se préparent et qui
empêcheront de trouver de réelles solutions. Ce n’est pas en
limitant le nombre d’enfants en France qu’on construira une
nouvelle politique environnementale ! De même, la fiscalité
écologique peut-être un outil intéressant, si ce n’est pas, comme
en France, un outil de taxation des consommateurs (donc des
salariés) au profit des entreprises. Sous couvert d’urgence climatique,
ce sont des mesures d’injustice sociale qui sont en préparation,
et qui en plus ne résoudront pas les problèmes
environnementaux !
Il est temps de reconsidérer les liens entre la nature et l’homme.
Par exemple, le travail le dimanche est non seulement une
catastrophe sociale à l’efficacité économique douteuse, mais
également un danger environnemental. Des usines, des lieux de
travail, des commerces ouverts tous les jours, c’est toujours
plus de consommation d’énergie.
Aujourd’hui, l’économie est devenue une fin en soi, qui utilise
la terre et les hommes comme des outils à sa disposition pour
maximiser la production de plus-value. Répondre à la question
environnementale, c’est en fait répondre également à la question
sociale par une action politique commune visant à renverser
la pyramide capitaliste : l’économie ne doit plus être une
finalité mais retrouver sa place d’outil, développé dans la sphère
naturelle, en vue de satisfaire de façon pérenne des besoins
humains réels.
PROPRIÉTÉ PUBLIQUE ET RELOCALISATION
DES ACTIVITÉS DE PRODUCTION !
L’urgence environnementale impose la construction de nouveaux
outils collectifs qui seront également des instruments de
justice sociale.
La crise de l’humanité est d’abord une crise de direction. Les
questions sociales et économiques ont conduit à la création
d’institutions internationales pour organiser la coordination à
l’échelle de la planète. La question environnementale élargit le
champ de cet espace politique international en gestation. Mais,
cet espace politique ne sera réellement efficace que lorsque les
peuples dans un premier temps, le salariat dans un second
temps, auront pu prendre leur place dans ce domaine où se règle
leur destinée. Cet objectif de démocratisation des institutions
internationales doit être au centre des préoccupations du socialisme.
Autour d’un enjeu central qui est celui de l’énergie,
l’agenda politique environnemental impose de travailler en
priorité deux axes : une redéfinition de la propriété publique et
une relocalisation des moyens de production.
La gestion de la production énergétique va ainsi devenir un
objet de lutte géopolitique intense, alors que la fin du pétrole
s’annonce à moyen terme. La création d’un vaste pôle public de
l’énergie est une réponse à la libéralisation débridée de ces dernières
années. Avec EDF, GDF-Suez, Areva, la France dispose
à elle seule d’outils importants pour jouer un rôle au niveau
mondial dans la production énergétique et infléchir les choix
faits (il est temps de préparer notamment un plan de moyen
terme pour sortir du nucléaire). Encore faut-il que ces entreprises
retournent dans le giron public ! Car la main invisible du
marché risque de conduire à des dégâts bien visibles !
Cette question de la propriété publique doit d’ailleurs s’ouvrir à
un cadre plus large : au-delà de la propriété d’un outil de production,
la propriété publique des « biens communs » comme
l’air ou l’eau doit être posée afin de se prémunir de toute privatisation
de ces espaces indispensables à la vie.
La relocalisation des moyens est aussi indispensable pour restreindre
la mobilité des marchandises (et non pas des personnes
!), source d’une pollution croissante. Cette relocalisation
aura plusieurs effets. La proximité producteurs – consommateurs
devrait entraîner une amélioration de la qualité des produits
(et de leur longévité !). La hausse de prix consécutive à
cette amélioration de la qualité posera nécessairement la question
du pouvoir d’achat, donc des salaires, donc du partage des
richesses et du temps de travail. De plus, la proximité des
centres de production devrait faciliter un retour des pouvoirs de
régulation : les responsables de la production, présents physiquement
sur leur territoire de diffusion seront sous la pression
directe des salariés, des citoyens. De même, les autorités politiques
pourront plus aisément s’inscrire dans une politique
d’orientation de ces activités de production.
Bien évidemment, tout ce travail de transformation du fonctionnement
du système économique doit se passer dans une
logique multipolaire à l’échelle internationale. C’est-à-dire
qu’une réelle politique d’accompagnement des pays du Sud,
ateliers du Nord pour le moment, est indispensable afin de leur
permettre également un développement autonome ou organisé à
l’échelle continentale.
L’urgence écologique nécessite de bousculer le système de production
et de redéfinir un nouveau modèle, qui ne sera viable
que si la question sociale s’en trouve fondamentalement améliorée,
partout dans le monde. L’éclairage nouveau de l’environnement
nous ramène à un problème politique classique !
Simon Thouzeau et David Torrès