Darcos veut aussi tuer la médecine du travail
Le projet de «modernisation de la médecine du travail
», élaboré début 2009 par le MEDEF, a été rejeté
en septembre par la totalité des syndicats. Les 9 mois
de négociation et les 8 séances de discussion entre les partenaires
sociaux sur un protocole commandité par Xavier
Bertrand, alors ministre du travail, se soldent par un échec.
La proposition très cohérente du MEDEF visait à détruire
les fondements actuels de la prévention des risques professionnels
issus de la loi Croizat de 1946. Mais le gouvernement
et la majorité UMP de l’Assemblée ont l’intention
proclamée de reprendre ce projet du Medef.
Il s’agit de « démédicaliser » la seule spécialité médicale dont
l’objet est le lien entre la santé et le travail. Le Medef veut
prendre prétexte de la pénurie (organisée) de médecins du travail
en organisant leur remplacement par des infirmiers, sans
statut protégé et sans compétence médicale. Il propose de transférer
ces missions aux directeurs des services interentreprises
de santé au travail (SST), c’est-à-dire aux Conseils
d’Administration composés majoritairement d’employeurs
(2/3) ; les « commissions de contrôle » seraient dépossédées de
leurs prérogatives, notamment en ce qui concerne le droit d’opposition
à la mutation ou au licenciement des médecins du travail,
alors qu’au contraire ce droit d’opposition doit être étendu
de façon à ce que tout « Intervenant en Prévention des Risques
Professionnels » bénéficie d’un statut de « salarié protégé ».
L’indépendance professionnelle exige que les préventeurs
soient à l’abri des pressions de ceux qui les paient. Le MEDEF
propose une « prévention » sans examen médical des salariés,
en espaçant les visites tous les 4 ou 3 ans, avec des aménagements
de cette règle en fonction des ressources médicales, des
bassins régionaux d’emploi, et de la nature du salariat (précaires,
intérimaires, salariés de particuliers employeurs). Il prévoit
le remplacement des obligations réglementaires par des
recommandations facultatives, et la disparition des « quotas »
(maximum de salariés ou d’entreprises en charge ou d’examens
pratiqués par médecin du travail plein temps). L’aptitude et
l’inaptitude seraient définies du point de vue patronal.
Actuellement ces notions n’ont pas de définition légale, le
médecin du travail les apprécie au cas par cas, en fonction des
risques pour la santé que le salarié encourt du fait de son poste
de travail. Le MEDEF propose une définition écrite dépendant
exclusivement de la capacité du salarié à effectuer la totalité des
tâches prescrites. Cette définition binaire a le mérite d’une
«simplicité» radicale (apte ou inapte) mais revient à supprimer
toute notion d’aménagement de poste et d’adaptation des tâches
à l’homme.
Pire : le MEDEF prévoit que le médecin-conseil déclenche une
procédure obligatoire de retour au travail pendant l’arrêt de travail.
L’employeur serait libéré de ses obligations de reclassement
dès la visite de reprise. Après cette visite unique, et dans
un délai de 21 jours (pendant lesquels l’indemnisation resterait
à la charge de l’assurance maladie), le salarié déclaré inapte
selon les critères du MEDEF serait licencié. Les voies de
recours, aujourd’hui possibles auprès de l’inspection du travail,
seraient renvoyées à des dispositions non précisées.
UNE ALTERNATIVE À DARCOS ET AU MEDEF
Au lieu d’aller dans le sens du Medef, il faut inverser la démographie
des médecins du travail. Le gouvernement doit
prendre des mesures pour assurer rapidement les moyens d’un
réel exercice préventif moderne pour tous les salariés (des
entreprises du secteur privé et du secteur public.). La pluridisciplinarité
des actions préventives est indispensable : c’est aux
professionnels, dans les SST, de concevoir et d’organiser cette
dernière, sous la coordination du médecin du travail. Service
public, ils doivent aussi obtenir des garanties d’indépendance
totale vis-à-vis des employeurs.
La définition de l’aptitude et de l’inaptitude questionne non
seulement des principes médicaux, déontologiques et éthiques
mais également les principes juridiques (responsabilité patronale
ou validité des contrats de travail). La direction, la gestion,
la gouvernance, le contrôle social des SST relèvent de l’ordre
public social, de la loi : la santé ne peut être négociée et faire
l’objet d’un contrat. La médecine du travail doit être indépendante.
Les employeurs sont responsables des risques professionnels
et doivent assurer les coûts de leur prévention
médicale et technique en fonction du nombre de salariés qui y
sont exposés. Le financement de la prévention des risques professionnels
doit être, comme l’a voulu le législateur de 1946,
déconnecté de tout système assurantiel, fût-il celui de la sécurité
sociale.