« Nous pouvons. C’est notre liberté ». Ces mots, inspirés de John Steinbeck, terminent le dernier ouvrage, peut-être l’un des plus forts, de François Ruffin : "Leur Folie, nos vies. La bataille de l’après" (éditions Les liens qui libèrent, 2020).

Rédigé durant le confinement, l’essai consacre de longs développements à la crise sanitaire. Les conséquences du coronavirus y sont décortiquées, décryptées, loin du discours médiatique dominant, avec un focus sur la partie immergée de l’iceberg – la crise vue par les salariés les plus vulnérables – et des analyses souvent décalées et pertinentes, par exemple sur le confinement comme nouvelle rupture avec la nature. Les témoignages des « serfs » des temps modernes y tiennent une large place (mention spéciale au beau récit de Mathieu sur son amie Julie et sa maman, p. 57).

Raconter et proposer

Au-delà, le journaliste devenu homme politique, à travers ces lignes, tire les leçons des échecs passés, notamment post-2008, et appelle expressément à la rupture. Entre deux dénonciations de l’exécutif et ses politiques iniques, il trace autour de quelques thématiques (l’économie, la démocratie, la santé, l’Europe, l’agriculture, etc.) et plusieurs « mesures de justice » (nationalisations, référendum constitutionnel, barrières aux frontières, encadrement des revenus [et des patrimoines ?], couverture sociale universelle), autant de briques posées pour un socle programmatique commun, les grandes lignes d’une société rénovée.

Ces propositions politiques paraissent parfois un peu « noyées » au milieu des récits émouvants et instructifs de l’année 2020. Mais François Ruffin a probablement raison d’entremêler les deux exercices : notre bulletin de vote a-t-il d’autre fin que de changer la vie de Lucie, pressurée par le système (p. 260), et de ses deux enfants, aux chances de réussite « blessées » par une société au service des filles et des fils de privilégiés ?

Un ouvrage roboratif et indispensable, donc, avant de reprendre la main sur l’« État colonisé », procéder à la « démolition avant travaux » et changer, en « ayant des couilles » – et des ovaires – la société tant qu’il en est encore temps : « C’est l’heure du choix. [...] Les Français doivent trancher, dans la clarté. »

Cet article de notre camarde Arno Lafaye-Moses a été publié dans le n°281 (janvier 2021) de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).