GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

International – Europe

Palestine : des chiffres dont on parle bien peu

La manière de présenter (mettre en relief ou laisser dans l’ombre) et de traiter (tri, associations et dissociations des éléments recueillis) les données démographiques n’est pas sans incidences sur la perception et la compréhension des réalités d’un pays ou d’une région.

Les chercher et les observer par-delà les différences de statuts dits juridiques tant des personnes que des territoires ne pourrait-il pas ouvrir des perspectives plus engageantes que celles dénoncées par B’Tselem1, dans son dernier appel à dons ? « En mars 2021 – pour la quatrième fois en deux ans –, les Palestiniens assisteront à des élections lors desquelles ceux qui ont des droits politiques décideront de leur propre sort ainsi que du sort des Palestiniens privés de droits vivant sous le contrôle du gouvernement israélien ».

Cette association milite en faveur d’un futur « qui garantisse les droits humains, la démocratie, la liberté et l’égalité pour tous ceux – Israéliens comme Palestiniens – vivant sur ce bout de terre situé entre le Jourdain et la Méditerranée ». Car au présent, les colons votent, participent même au gouvernement, contrôlant le territoire sur lequel ils vivent ; les Palestiniens, vivant sur le même territoire, n’ont pas voix au chapitre. Peut-être n’est-il pas inutile de rappeler qu’au présent également, ils constituent cependant la majorité des habitants vivant sur la Palestine mandataire, territoire d’avant 1948 ?

Démographie

Si le rêve de se débarrasser complètement des populations autochtones reste vivace dans bien des têtes israéliennes, d’autres prétendent faire preuve de réalisme politique en affirmant que leur projet se contenterait d’en accepter une proportion dans la limite de 20 % au maximum. Mais eux aussi demeurent fort éloignés des réalités.

Selon Jean-Paul Chagnollaud et Sid-Ahmed Souiah, l’équilibre démographique était quasiment atteint dès 20082 : 5 302 910 Palestiniens d’Israël, de Gaza et de Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, pour 5 478 200 Juifs israéliens. À noter que ces chiffres font abstraction des Palestiniens de la diaspora, qui sont au moins de 5 500 000.

Haim Bresheeth-Žabner met à jour une part de ces évaluations pour 2014 : les statistiques israéliennes recensaient alors 6 219 200 Juifs israéliens pour 1 752 700 Palestiniens d’Israël, qui sont plus de 6 200 000 si l’on y ajoute les Palestiniens invisibles de Gaza et de Cisjordanie. Il précise que le nombre de juifs est surestimé, car il inclut près de 400 000 chrétiens orthodoxes venus de l’ancienne Union soviétique, ouvertement chrétiens, afin de gonfler les chiffres3.

Mazin Qumsiyeh, dans sa lettre d’information, va plus loin, et se risque à une projection dans l’avenir : « Alors que des centaines de milliers d’Israéliens partent à l’étranger (ils sont actuellement 300 000 en Allemagne), la majorité palestinienne vivant sous contrôle israélien passera de 52 % actuellement à 65 % en 2048 »4.

Fragmentations

Une manière de masquer les données qui dérangent consiste à fragmenter de multiples manières les chiffres compromettants : les Palestiniens sont ainsi répartis entre Palestiniens ainsi nommés d’une part, et ceux appelés Arabes de 1948 de l’autre ; les Palestiniens sont à leur tour présents soit comme habitants de Cisjordanie (subdivisée en trois zones de statuts différents), soit comme prisonniers du camp de concentration à ciel ouvert de Gaza, soit encore comme résidents de Jérusalem dont la situation est très précaire ; quant aux citoyens de 2e  classe, ils sont recensés en fonction de critères religieux, musulmans, chrétiens et druzes étant comptés séparément. Nul doute que face à chacune de ces entités prise séparément, le conglomérat officiellement juif (un terme qu’il serait peut-être plus exact d’appeler « non-arabe », dans la mesure où il comprend des chrétiens, et aussi parce que les immigrants juifs provenant de pays arabophones ont été soumis à une politique de désarabisation accélérée) semble majoritaire. Mais comment interdire de faire des additions ?

La fragmentation forcenée des terres palestiniennes vise à concentrer et cantonner les Palestiniens dans de petits îlots facilement contrôlables, qui ne sont pas sans rappeler les « hameaux stratégiques » mis en place lors de la guerre du Vietnam, ou encore les réserves indiennes des États-Unis d’Amérique. Mais, en Amérique, le déséquilibre des forces était considérable (environ 300 000 indiens face à 30 millions de colons avides de terres à l’aube des guerres indiennes) et n’est en rien comparable à celui existant en Asie occidentale ; et, en Asie du Sud-Est, les hameaux précités n’ont pas modifié l’issue du conflit.

S’il est possible de jongler avec les chiffres, ces jongleries  ne parviennent cependant pas à masquer les réalités démographiques, politiques et sociales du terrain. Raisonner à partir de chiffres partiels ne peut conduire qu’à des impasses.

Ce qui mériterait peut-être d’être pris en considération aussi bien par les acteurs politiques en scène sur place que par les médias dominants qui pourraient plus chercher à informer qu’à modeler leur public.

Cet article de notre ami Philippe Lewandowski a été publié dans le n°281 (janvier 2021) de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).

1.B’Tselem : Centre d’information israélien pour les Droits de l’homme dans les Territoires occupés, https://www.btselem.org/about_btselem.

2.Pierre Blanc, Jean-Paul Chagnollaud et Sid-Ahmed Souiah, Atlas des Palestiniens, Autrement, 2011, p. 24.

3.Haim Bresheeth-Žabner, An army like no other, 2020, Londres, p. 348.

4. Mazin Qumsieh, « Our collective

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