GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Libertés

Discriminations syndicales dans la FP territoriale

Il ne fait pas bon être délégué syndical aujourd’hui, mais comme hier, le métier si j’ose dire a ses risques, en particulier dans la Fonction publique territoriale, mais ailleurs aussi, partout où le dialogue social n’est le plus souvent qu’un vain mot.

Cette question vient de faire l’objet en décembre 2020 d’un rapport du Conseil supérieur de la Fonction publique territoriale, rapport intitulé « Les discriminations syndicales et le dialogue social dans la Fonction publique territoriale ».

Rappels utiles

Rappelons que la Fonction publique territoriale fait partie, avec la Fonction publique hospitalière, du deuxième versant de la Fonction publique, elle réunit tous les agents publics qui constituent la cheville ouvrière de nos collectivités locales et de nos établissements publics, agents, fonctionnaires sans lesquels les élus politiques ne pourraient assumer leur mission.

Le droit syndical dans la Fonction publique, rappelle le rapport, n’a été reconnu qu’en 1946. Cette jeunesse, même relative, explique en partie peut-être les difficultés de ce droit à se faire respecter, et paraît être à l’origine d’un dialogue social très souvent problématique entre élus-employeurs et agents publics représentés par leurs organisations syndicales.

Le rapport fait, à juste titre, le lien entre discriminations syndicales et faiblesse ou absence du dialogue social. Il est avéré que les élus politiques ont beaucoup de mal à reconnaître la légitimité élective des représentants syndicaux. Le dialogue social doit s’inscrire dans un jeu démocratique plus authentique et plus respectueux de chacune des deux rives du dialogue.

Militer, c’est forcément trimer ?

Il est nécessaire de savoir ce qui est entendu par l’expression « discrimination syndicale », comme source du déficit de dialogue constaté.

Ces discriminations se mesurent d’abord par le niveau de pénalités de salaire ou de traitement. Dans la Fonction publique territoriale elle se mesure par les difficultés faites en matière de déroulement de carrière. Au total, on a évalué à 10 % la perte financière subie globalement par les représentants syndicaux. Une étude publiée il y a maintenant une dizaine d’années faisait ressortir que cette discrimination par le traitement avait des niveaux d’importance différents selon l’appartenance syndicale. La CGT notamment était la plus touchée, portant la perte financière à hauteur de 20 %, à poste similaire et qualification égale, par rapport à une carrière « normale », c’est-à-dire sans engagement de nature syndicale.

Les intéressés eux-mêmes ont tendance à considérer que c’est le prix de leur engagement, et oublient trop souvent de se défendre des conditions discriminatoires qui leur sont faites.

Avancées et régressions

Mais il est un mouvement relativement récent qui tend à combattre ces sanctions obscures en y répondant par l’action judiciaire, notamment en faisant appel à la méthode des panels. Celle-ci permet de relever et d’identifier les abus discriminatoires. Cette méthode a pu se développer, timidement, dans le privé. Elle pourrait, et c’est souhaitable, tout aussi bien s’appliquer dans la Fonction publique territoriale.

Depuis une dizaine d’années, un contexte juridique nouveau apparaît, illustré, dans la Fonction publique notamment, par la loi d’août 2008 sur la représentativité syndicale – un texte portant obligation de négocier sur la conciliation vie professionnelle et vie syndicale – ou, dans le secteur privé, avec les ordonnances de septembre 2017 incitant les entreprises à négocier des accords de droit syndical.

Cet arsenal juridique cependant ne doit pas nous tromper : il a été conçu pour cacher l’essentiel derrière des mesures que l’on peut considérer à bon droit comme des affichages politiques.

L’enjeu est enfin de reconnaître, singulièrement dans la Fonction publique territoriale, le parcours syndical et les compétences qui lui sont naturellement attachées, afin pour le moins de ne pas sanctionner l’activité syndicale. Le déficit en matière d’avancement doit être soumis à réparation par voie administrative ou judiciaire.

Malheureusement, le contexte juridique peut aller aussi dans le sens de la régression. Il en est par exemple d’un nouveau type de régime indemnitaire, d’inspiration managériale néo-libérale, dit RIFSEEP (régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l’expertise et de l’engagement professionnel). La tentation est grande de la part des élus-employeurs d’instrumentaliser ce régime de primes, lequel fait la part belle à la subjectivité, pour sanctionner de fait les élus ou représentants syndicaux dans leur engagement militant, donnant objectivement à ces employeurs des outils supplémentaires à de potentielles discriminations syndicales.

Données de terrain

Une enquête a été menée pour mieux connaître la nature de ces discriminations. Pour 43 % de la population active, la dégradation des relations avec la hiérarchie est perçue comme la conséquence de l’engagement syndical. Pour 51 %, elle est un frein à l’évolution de carrière.

Du point de vue des agents ou salariés membres d’une organisation syndicale, 52 % des sondés ont à déplorer une absence ou un refus de promotion, 45 % une dégradation du climat de travail et 38 % une dégradation générale des conditions de travail.

Selon le même sondage, pour 35% de l’ensemble de la population active et pour 42 % des adhérents d’un syndicat, l’engagement syndical constitue un frein à un déroulement de carrière normal et légitime.

Près de 80 % des syndiqués ont tenté de mettre un terme aux discriminations dont ils se pensaient victimes. Pour 42 %, les principaux obstacles à ces recours tenaient aux difficultés de réunir des preuves suffisantes susceptibles d’emporter la décision d’un tribunal.

Se faire reconnaître

Les agents qui font un recours pour discrimination se retrouvent souvent isolés et donc d’une certaine manière « aggravent leur cas ».

Il est clair par ailleurs que le développement de la précarité, qui se traduit par la multiplication des contrats au détriment des postes de titulaires, n’incite pas à faire ce genre de recours. D’une manière générale la précarisation de l’emploi constitue un obstacle déterminant à la syndicalisation. C’est le serpent qui se mord la queue, plus de précarité affaiblit et fragilise le syndicalisme qui dès lors n’est plus en mesure de lutter efficacement contre la précarité.

Le rapport fait le tour des solutions possibles lesquelles tournent autour de la valorisation des acquis de l’expérience (VAE) reconnaissant les compétences acquises durant l’exercice du mandat syndical. Il en est d’autres, mais ces solutions ne seront jamais véritablement satisfaisantes si le fait syndical n’est pas reconnu par le pouvoir ou ne parvient pas à se positionner comme contre-pouvoir accepté dans le paysage social.

Nommer pour combattre

C’est dire combien la solution est d’ordre politique. Il est temps sans doute de sensibiliser, voire de former les élus-employeurs à la réalité syndicale et à son respect. Les discriminations sont à la fois un signe et une cause d’un dialogue social abîmé. Celui-ci est pourtant indispensable pour permettre la sacro-sainte démocratie sociale que le pouvoir lui-même appelle de ses vœux. Mais n’est-ce pas le plus souvent pour des raisons purement politiciennes ?

Ce rapport est sans doute imparfait, mais il a le mérite d’exister et de poser la question du lien entre discriminations syndicales et dialogue social dans le champ institutionnel au travers du Conseil supérieur de la Fonction publique territoriale.

Mais la tâche pour combattre les discriminations syndicales s’avère ardue, qui plus est dans un contexte où le pouvoir dans ses inspirations néo-libérales, s’acharne à casser les garanties collectives ainsi qu’il le montre avec sa loi de 2020 dite de Transformation de la Fonction publique*.

Il est clair que dans ces conditions l’activité syndicale sera de plus en plus difficile à mener. C’est une raison supplémentaire de s’attaquer en priorité aux discriminations dont sont victimes trop souvent les représentants syndicaux.

Cet article de notre camarade Jean-Marc Gardère a été publié dans le numéro de janvier 2021 (n°281) de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).

* Pour une analyse précise de cette loi, voir l’article intitulé « Fonction publique : enterrement de première classe », publié dans D&S 268, octobre 2019, p. 10-11.

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