GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

International – Europe

Retour sur le plan de relance de la Commission

La proposition franco-allemande annoncée le 18 mai par Macron et Merkel d’un plan de relance européen à 500 milliards d’euros, financé par émission de dette européenne et distribuant des transferts budgétaires aux États-membres a été suivie par la présentation le 27 mai 2020 de la proposition formelle de la Commission européenne.

La Commission a proposé de créer un fonds de 750 milliards d’euros, financé par émission de dette européenne et distribuant les deux tiers de ses ressources sous forme de transferts et le reste sous forme de prêts préférentiels. L’essentiel des ressources sera consacré à des investissements publics en matière de transition écologique et numérique, tandis que d’autres ressources seront utilisées pour recapitaliser des entreprises, investir dans les technologies de pointe et constituer un stock européen de médicaments et d’équipements médicaux.

Figure 1

La proposition de la Commission envisage une distribution des fonds au profit des pays et des secteurs les plus touchés par la crise sanitaire, ce qui donnerait la répartition (en termes absolus) des transferts budgétaires qu’on voit sur la figure 1. On y voit clairement que les principaux bénéficiaires seront les États-membres du Sud. En termes relatifs cependant, les États-membres de l’Est seraient également parmi les gagnants (figure 2*).

Figure 2

Un compromis politique

Contrairement à la situation d’il y a dix ans, cette fois le processus politique par lequel l’UE met en place sa réponse à la crise inclut dans la boucle le Parlement européen. La proposition d’un plan de relance fait partie du processus d’adoption du Cadre financier pluriannuel (CFP) – c’est-à-dire le budget prévisionnel sur sept ans de l’UE. Or, le CFP est adopté suite à une proposition de la Commission et un accord entre le Parlement et le Conseil – c’est-à-dire les États-membres. Il ne s’agit donc pas seulement de trouver un compromis entre les États-membres, mais aussi avec le Parlement.

Le Parlement a adopté – avec une écrasante majorité de 505 (sur 705) eurodéputés pour (dont la quasi-totalité des eurodéputés de gauche) – le 15 mai 2020 une résolution appelant à un fonds de relance de deux mille milliards d’euros – une résolution très ambitieuse qui situe le Parlement dans le camp des États-membres du Sud qui, depuis le 25 mars, ont mené la charge pour un tel plan de relance.

Entre la proposition franco-allemande et la résolution du Parlement, l’écart était donc très grand. À cette équation, il fallait rajouter deux autres considérations : d’abord, l’opposition des pays du Nord dits « frugaux » (Autriche, Danemark, Finlande, Pays-Bas, Suède) à des mesures ambitieuses. Ceux-ci défendent un plan distribuant uniquement des prêts et limité en termes de volume. Ensuite, le scepticisme des États-membres de l’Est – moins touchés que ceux du Sud par la crise sanitaire – qui craignent que cette proposition ne contribue à dévier des ressources du budget européen (dont ils sont les principaux bénéficiaires) vers les pays du Sud.

La proposition de la Commission représente donc une amélioration par rapport à la proposition franco-allemande puisqu’elle augmente de 50 % le volume des fonds qui seront récoltés par émission de dette, tout en reprenant la demande des « frugaux » de distribution sous forme de prêts de ces ressources supplémentaires. Les gouvernements du Sud, l’Allemagne mais aussi la Pologne ont salué la proposition de la Commission – tout comme la majorité des groupes politiques du Parlement européen qui avaient voté pour la résolution du 15 mai. Les trois groupes de gauche – Socialistes & Démocrates (S&D), Verts et régionalistes (ALE) et la Gauche unie européenne (GUE) – ont tous adopté une position de soutien critique à la proposition de la Commission, tout en mettant en garde contre le retour des politiques d’austérité. Les gouvernements des « frugaux » ont naturellement émis des réserves tout en disant vouloir travailler sur la « base » de la proposition de la Commission (depuis, le Danemark a changé de position pour soutenir finalement l’esprit de la proposition).

Les détails manquants

Ceci dit, ces éléments ne sont pas tout. Il y a deux autres questions majeures que pose cette proposition. D’abord, les moyens par lesquels la dette européenne émise par la Commission sera remboursée et ensuite les critères d’attribution des transferts et prêts prévus par la proposition de plan de relance.

Dans sa communication présentant la proposition, la Commission envisage que le remboursement de ces emprunts se fasse entre 2028 et 2058. On parle donc d’emprunts à plus ou moins long terme – avec des échéances de 7 à 27 ans de maturité. Cela signifie que ce n’est pas dans le budget pluriannuel en train d’être négocié que seront incluses les recettes qui permettront le remboursement de ces emprunts, et que cette question est donc moins urgente que le reste.

Il n’empêche que cela pose deux questions cruciales. D’abord, la question démocratique. Comme je l’explique plus longuement dans l’article sur la révision des traités, aujourd’hui les recettes du budget de l’UE sont déterminées par les seuls États-membres, le Parlement étant seulement consulté en la matière. Or, avec l’augmentation du budget et l’émission de dette, cela devient un vrai scandale démocratique. D’où la proposition d’une révision simplifiée des traités pour donner au Parlement européen le pouvoir en matière d’impôts européens.

Ensuite, quelles nouvelles « ressources propres » (des impôts européens) ? La Commission a annoncé travailler sur une proposition détaillée comprenant notamment des recettes émanant du Système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre européen, un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (une taxe frontière sur les importations qui ne respectent pas les règles européennes), un impôt sur les grandes entreprises et une nouvelle taxe numérique. Tout cela reste trop flou pour le moment, mais, dans tous les cas, c’est bien moins ambitieux que ce que défend la GDS (à savoir, des impôts européens sur les sociétés et les grandes fortunes). Il serait utile de signaler ici que la résolution du Parlement européen du 15 mai défend toute une série de principes qui vont dans notre sens (voir l’article à la page suivante) – ce qui souligne le progrès majeur que constituerait un révision des traités pour permettre au Parlement de voter les recettes du budget de l’UE.

Ensuite, il y a la question des critères d’attribution. Ici aussi, les détails manquent. La communication de la Commission explique que les fonds fléchés pour les investissements seront canalisés via les programmes existants du budget. Ces programmes flèchent les dépenses en fonction des objectifs à remplir – les fonds de cohésion profitent par exemple aux régions les moins développées, les fonds agricoles aux agriculteurs en fonction de leurs productions et ainsi de suite. Mais la proposition de la Commission parle aussi d’un « plan national pour la reprise, fondé sur les priorités en matière d’investissement et de réforme définies dans le cadre du Semestre européen ». Le Semestre européen est le nom formel de la procédure de coordination et de surveillance des politiques économiques des États-membres. Dans le cadre de cette procédure, la Commission et les États-membres adoptent un document très général incluant des orientations tout aussi générales, que sont censées suivre les États-membres. Ensuite, ceux-ci fournissent des documents qui détaillent leurs politiques économiques et la Commission fait des recommandations pour chaque pays qui sont ensuite adoptées (ou pas) par le Conseil. À nouveau, le Parlement est exclu de la boucle.

Mais surtout, jusqu’ici le Semestre européen n’est que consultatif pour chaque État-membre, les recommandations n’étant pas contraignantes. On peine à comprendre quel rôle aurait donc le « plan national de reprise » que chaque État-membre devrait concocter dans l’attribution des fonds.

Bien entendu, les gouvernements des « frugaux » aimeraient imposer des conditionnalités macroéconomiques et des réformes structurelles comme celles imposées en 2010-2015 aux pays du Sud. Mais cette bataille paraît perdue pour eux : ces mêmes conditionnalités ont été entièrement écartées pour le recours au Mécanisme européen de stabilité qui prête désormais aux États-membres jusqu’à 2 % de leur PIB avec comme seule condition que les fonds soient utilisés pour des dépenses directement ou indirectement liées à la crise sanitaire. Le gouvernement allemand, autrefois principal partisan de conditionnalités anti-sociales, ne défend plus cette option dans le cadre de la crise en cours. Dans tous les cas, les trois groupes de gauche au Parlement européen mettent en garde contre le retour de l’austérité via les critères d’attribution des fonds et la majorité du Parlement est opposée à de tels critères d’attribution.

Quelle signification politique ?

Que signifie politiquement cette proposition de la Commission ? En posant le principe d’une émission massive et durable de dette européenne pour financer la reprise économique, cette proposition entérine une évolution majeure de la construction européenne. Une brèche s’ouvre dans laquelle la gauche européenne doit s’engouffrer, en réclamant la création d’un vrai pouvoir fiscal européen via la révision des traités, l’augmentation durable du budget de l’UE, la fin de l’obligation à l’équilibre pour ce budget... Cette liste est naturellement non-exhaustive, puisque ces réformes décisives, imposées à nos adversaires libéraux par les circonstances de l’heure, constituent le socle préalable permettant de construire la perspective d’une Europe fédérale, démocratique et sociale. C’est donc un nouveau combat qui commence à partir de cet été au niveau européen.

Cet article de notre camarade Christakis Georgiou est à retrouver dans le numéro de juin-juillet-août 2020 de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).

* Source : Guillaume Duval (https://www.facebook.com/photo.php?fbid=2986726114697861&set=a.764254240278404&type=3)

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