GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Féminisme

Pour un vrai service public de l’aide à domicile #2

Qui a vu le dernier film de Ken Loach, Sorry, we missed you, l’a compris : chaque tâche des aides à domicile est décomptée, minutée, standardisée et réduite à son aspect technique, vidée de son contenu humain, de l’attention portée à l’autre... Alors que, tout le monde le sait, ce qui se passe dans cette relation est tout aussi vital pour les personnes accompagnées.

La crise sanitaire a mis en lumière l’incontestable utilité sociale des services d’aide à domicile et la grande précarité des personnes qui travaillent dans ce secteur, presque exclusivement des femmes. En effet la situation n’est plus acceptable. Aujourd’hui tout le monde est perdant. Dans le numéro précédent de D&S, nous avons donné la parole à deux syndicalistes CGT du secteur. Désormais se pose la question d’une refonte en profondeur de cette prise en charge.

Comme dans tout le domaine de la santé et de l’action sociale, deux logiques s’affrontent : celle de la structuration par le marché, considérant le service comme une marchandise, et celle du portage par la puissance publique, considérant l’accompagnement des personnes dépendantes comme un service public.

Se souvenir du plan Borloo

Il est important de se souvenir du plan Borloo de 2005 et de sa tentative de lancer une grande opération de structuration d’un marché privé dans lequel il voyait un gisement de 500 000 emplois.

Pour cela, il a commencé à noyer l’aide à domicile dans un large éventail de « services à la personne », incluant 21 domaines allant « des petits travaux de jardinage », au « gardiennage et surveillance temporaire à domicile de la résidence principale et secondaire » en passant par le « soutien scolaire à domicile ». Puis il a créé l’Agence nationale des services à la personne (ANSP) dont la première mission était d’accompagner la création de grandes « enseignes », obligeant les associations existantes, actrices historiques du secteur, à se regrouper et rentrer dans un modèle économique de concurrence en devenant, aux côtés de nouvelles sociétés à but lucratif, de simples « prestataires ».

L’agence a discrètement été supprimée en 2013, sans qu’aucun enseignement ne soit publiquement tiré de l’échec de cette expérience qui a, au passage, laissé de nombreuses associations sur le carreau.

On trouvera toutefois quelques travaux et articles qui tirent les mêmes conclusions : « Cette suppression marque clairement l’échec de la conception fondatrice du plan Borloo, la réduction des services à la personne en une simple dimension fonctionnelle et donc l’importance de la dimension relationnelle d’une part, [...] tout en refusant de prendre en compte la dimension d’emplois approchant du plein temps permettant à ceux qui la pratiquent d’en vivre décemment d’autre part » (Michel Abhervé, sur son blog)1.

Prise en charge de la dépendance

Il s’agit là d’un droit social à part entière. Aujourd’hui l’action publique doit poursuivre un double objectif : garantir l’accompagnement à domicile pour les actes de la vie quotidienne des personnes en situation de dépendance et garantir aux salarié.e.s assurant cette tâche de pouvoir en vivre dignement. Pour cela il faut clairement établir la prise en charge de la dépendance comme un droit social ; en assurer le financement et l’organisation pour tout à la fois assurer la qualité du service et consolider un nouveau cadre d’emploi respectueux des salarié.e.s.

  • En assurer le financement à la hauteur des besoins ne peut passer que par la création d’un 5ème risque « dépendance » couvert par la Sécurité sociale. Cette cinquième branche, réclamée depuis de nombreuses années par bien des acteurs – dont la GDS – a été reprise dans le rapport Libault, publié il y a plus d’un an pour l’élaboration de la toujours annoncée et repoussée loi « Grand âge et autonomie ». Il est grand temps qu’elle voie le jour.
  • En assurer l’organisation, car la puissance publique ne peut se contenter d’être un « acheteur de service ». Elle doit assumer sa compétence au sens plein du terme, une prise en charge globale et évolutive. Pour cela, il faut redonner toute sa place et sa légitimité à la gestion en régie directe, via les CCAS notamment, et faire obstacle à l’installation d’un secteur privé à but lucratif dont on a vu toutes les nuisances pendant la crise du Covid.

Et s’il est sans doute judicieux et nécessaire de conforter les Conseils départementaux dans la mise en œuvre de ce droit, à travers l’Allocation personnalisée d’autonomie (APA) et de la Prestation compensatrice du handicap (PCH), il est par ailleurs absolument nécessaire d’assurer l’égalité de traitement sur l’ensemble du territoire national.

Ainsi,en région Rhône-Alpes, un travail de Caroline Belze soutenu par le Comité régional de la CGT a prouvé il y a quelques années que les écarts des niveaux de tarification à l’heure entre les huit départements de la région étaient alors de 1 à 8, entre la Haute-Savoie (niveau le plus élevé) et l’Ardèche (niveau le plus bas).

À travail de valeur égale, salaire égal

Le travail sur la revalorisation de la profession ne pourra aboutir que dans le cadre de cette restructuration d’ampleur. Et il serait certainement très utile de s’inspirer du travail mené au Québec (merci à Élise Lucet pour son Cash investigation2) sur l’équité salariale et la revalorisation des métiers majoritairement exercés par des femmes car, en France aussi, les gardiens de zoo sont sans doute mieux rémunérés que les aides à domicile.

Cet article de notre camarade Claude Touchefeu est à retrouver dans la rubrique "féminisme" du numéro d ejuin-juillet-août de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).

(1) Lire par exemple "La suppression de l'ANSP marque l'échec du Plan Borloo de développement des services à la personne" Michel Abhervé 15 septembre 2013

(2) Cash Investigation du 9 mai 2020

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