GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Libertés

Lutter contre les violences policières et le racisme

La manifestation de mardi 2 juin contre les violences policières à l’appel du Comité Adama devant le TGI de Paris – où se déroulait une audience dans le cadre de l’enquête en cours sur la mort d’Adama Traoré en 2016 après son interpellation par des gendarmes – aura été un tournant pour la lutte contre les violences policières en France.

De par son affluence (40 000 participants selon les organisateurs), sa détermination à braver l’interdiction préfectorale, la dignité des participants, ainsi que le soutien quasi-unanime qu’elle suscite à gauche, cette manifestation fait franchir un cap au combat contre les violences policières et pour que les victimes de ces dernières obtiennent justice.

Le contexte

Cette manifestation a réagi à ce qu’il faut bien appeler l’accumulation de cas de violences policières ces dernières années. Les violences policières à caractère raciste, habituelles dans les quartiers habités majoritairement par les populations issues de l’immigration post-coloniale, se sont étendues contre les mouvements sociaux depuis la loi Travail de 2016 et le changement de la stratégie de maintien de l’ordre déployée par le ministère de l’Intérieur. Les provocations et agressions policières contre les manifestations se sont depuis multipliées dans un contexte général d’état d’exception permanent qui encourage l’arbitraire policier.

La révolte en cours aux États-Unis contre les violences policières suite au meurtre de George Floyd par le policier Derek Chauvin souligne aujourd’hui l’universalité du combat contre les violences policières et le racisme. Ce phénomène – que les nouvelles technologies permettent de rendre de plus en plus visible grâce aux vidéos amateurs qui captent les scènes de crime – explose aujourd’hui et polarise l’attention de l’opinion publique mondiale. En France, il est évident que cette révolte a fait converger les énergies et insufflé une nouvelle urgence à ce qui est, en somme, le même combat pour des droits démocratiques de base.

Un problème structurel

Notre réseau apporte tout son soutien à ce combat. Il en va du respect de l’État de droit et de la lutte contre le racisme qui manifestement pullule toujours au sein des appareils répressifs. De ce point de vue, il ne s’agit – ni aux États-Unis, ni en France – de quelques cas de « mauvais flics » là où la majorité seraient des bons. Là n’est pas le problème. Le problème est dans une institution de l’État – la police et la gendarmerie – dans laquelle règne un climat d’impunité et d’arbitraire qui encourage structurellement les comportements racistes.

Le défenseur des droits dénonçait en avril 2019 des consignes ouvertement racistes données par leur hiérarchie aux policiers parisiens. Quant à l’usage excessif et injustifié de la violence, il est structurellement encouragé par les doctrines de maintien de l’ordre basées d’abord et avant tout sur l’usage de la violence étatique. À nouveau, dans son rapport annuel présenté le 8 juin 2020, le défenseur des droits met en cause des pratiques de maintien de l’ordre « illégales... mises en place ou tolérées par la hiérarchie ».

La hiérarchie et l’autorité de contrôle interne à l’institution policière, l’Inspection générale de la Police nationale (IGPN), protègent systématiquement les fonctionnaires coupables de toutes les infractions aussi graves soient-elles. Qui peut oublier que l’IGPN a prononcé un non-lieu dans le cas des lycéens de Mantes-la-Jolie, alors que des vidéos – filmées par les policiers eux-mêmes – avaient circulé dès le jour des faits, montrant la violation flagrante de la loi et des droits de ces mineurs par les fonctionnaires ? Très justement alors, l’avocat des lycéens, Maître Arié Alimi, avait qualifié l’IGPN de « blanchisseuse » des violences policières.

Des mesures d’urgence

Des mesures fortes s’imposent dès lors. Tout d’abord, la suppression de l’IGPN. Cette inspection prononce systématiquement des non-lieux, quelles que soient la gravité des accusations portées contre les policiers et les preuves dont elle dispose. Une autorité de contrôle qui n’est pas indépendante de l’institution contrôlée ne peut jouir à l’évidence d’aucune confiance pour assurer ce type de contrôle. On ne peut donc accorder aucune confiance aux différentes procédures internes au ministère pour lutter contre les violences policières et le racisme dans la police. Le sinistre ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner lui-même, a promis après la manifestation du 2 juin une réforme de l’IGPN pour la rendre plus indépendante. Cela ne fait que souligner la justesse de notre critique.

Cependant, cela ne saurait suffire, car ce ne sont pas des mesures disciplinaires qui régleront le problème, mais la pleine application de la loi aux crimes commis par des policiers. L’IGPN étant structurellement complice des violences policières, on ne peut s’en remettre sur le plan institutionnel qu’à une autorité indépendante de l’institution policière pour enquêter à charge. Le parquet doit donc s’engager à saisir automatiquement le juge d’instruction pour chaque plainte déposée contre des policiers. Et celui-ci doit tout simplement faire correctement son travail. Qui peut accepter que dans le dossier Adama Traoré, le juge n’ait toujours pas réussi, quatre ans après les faits, à entendre deux témoins-clés, alors même qu’il dispose du pouvoir de convocation judiciaire ? On pourrait faire des griefs similaires aux magistrats en charge de la plainte des lycéens de Mantes-la-Jolie et de leurs familles...

L’objectif de ces mesures doit être l’ouverture de procès de manière beaucoup plus fréquente qu’aujourd’hui, si ce n’est tout simplement de manière systématique. La justice doit pouvoir entendre les accusations et se prononcer. C’est le seul moyen pour que l’impunité dont jouissent les policiers cesse. Et c’est, par ailleurs, la seule manière de distinguer ceux qui seraient les « mauvais » de ceux qui seraient les « bons » flics – c’est-à-dire tout simplement ceux qui enfreignent la loi et les autres.

Briser le sentiment d’impunité

Mais cela ne saurait toujours pas suffire : il faut également durcir les sanctions pénales contre les policiers auteurs d’infractions pénales dans le cadre de leurs fonctions. Les rarissimes fois où des policiers sont condamnés, la justice fait preuve d’un sens extraordinaire de la clémence. Ne pouvant contraindre la justice d’appliquer des peines plus lourdes, le seul moyen est de légiférer pour que les sanctions minimales elles-mêmes soient à la hauteur de la gravité des crimes commis. L’exemplarité de ceux qui sont censés faire respecter la loi est nécessaire.

Dans tous les cas où une plainte est déposée contre des policiers, ceux-ci doivent être immédiatement suspendus de leurs fonctions. Castaner a parlé de suspension en cas de « soupçon avéré » de racisme par un policier. Curieuse notion que celle d’un « soupçon avéré » qui bien entendu est de la poudre aux yeux. Seule une mesure calquée sur un indicateur objectif – le dépôt de plaintes – peut avoir un effet dissuasif sur les comportements illégalement violents et racistes. Car comment accepter que des fonctionnaires sur lesquels pèse le doute puissent continuer à exercer un métier qui consiste à faire respecter la loi ?

Il faut, ensuite, interdire l’usage des armes de guerre (LBD, grenades de désencerclement etc.) dans le maintien de l’ordre public et revenir à une stratégie de maintien de cet ordre qui ne soit pas fondée sur l’agression des manifestants. Enfin, toutes les techniques d’interpellation potentiellement létales comme le plaquage ventral doivent être proscrites.

C’est le prix à payer pour que cette institution puisse retrouver la confiance des administrés. Comment certains peuvent-ils s’indigner des propos de la chanteuse Camélia Jordana – qui disait ne pas se sentir en sécurité en la présence d’un flic – lorsqu’un sondage du Huffington Post indique qu’un tiers des interrogés exprime la même opinion* ? La police constitue aujourd’hui un problème national : seules des mesures radicales peuvent permettre que cessent les violences policières et les comportements racistes une bonne fois pour toutes.

Cet article de notre camarade Christakis Georgiou est à retrouver dans le numéro juin-juillet-août 202 de Démocratie&Socialisme, l arevue de la Gauche démocratique et sociale (GDS

* « Face à la police, un Français sur trois dit ne pas se sentir en sécurité »   Huffington Post 3 juin 2020 

 

Inscrivez-vous à l'infolettre de GDS

La revue papier

Les Vidéos

En voir plus…