GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur Au Parti socialiste

Réponse à "L'adieu au PS" de Philippe Corcuff

Michel Cahen répond à la tribune de Philippe Corcuff (Maître de conférences de science politique à l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon) parue dans le "Monde" du 4 juillet.

Mon cher Philippe,

Helas, cette fois-ci, nous sommes en désaccord total ! Ton analyse suppose que tu ne considères plus le PS comme un "parti ouvrier-bourgeois" mais (au mieux) comme un parti démocrate à l'américaine. Or, si des tendances évidentes existent en ce sens (et ne datent pas d'hier: c'était, un moment, le projet de Michel Rocard), il n'y a eu aucun pas qualitatif (si l'on peut dire, en négatif) décisif. Le 21 avril 2002 n'est pas un 1933 autorisant Trotsky à pronostiquer le changement de nature du Parti communiste allemand. Quand un parti social-démocrate devient un parti bourgeois, cela se voit et crée des troubles autrement majeurs: soit il disparaît totalement (cas du PS italien, soit il connaît des scissions électorales: cas de Ken à Londres, opposant de fait le Old Labour ou New Labour de Blair). Tu déduis la nature du PS de la nature politique de son programme: or, tu sais bien que ce n'est que l'un des indicateurs. Tu aurais pu écrire le même éarticle (exactement le même) après Mai 1968 ou après la candidature Mendès-Deffere de 1969, ou encore en 1983 quand Fabius a remplacé Mauroy comme premier ministre, etc. En quelque sorte - excuse-moi d'avoir la dent dure - tu prends tes désirs et ton impatience pour la réalité.

Le PS est évidemment sous la pression du social-libéralisme (ou du libéralisme tout court, d'ailleurs!), plus qu'autrefois. Cela signifie que la vieille idée social-démocrate de l'État régulateur de l'économie et d'une certaine co-gestion de classe, recule. Cela signife que les pressions pour qu'il devienne un parti démocrate à l'américaine deviennent plus intenses. Ont-elles d'ores et déjà et définitivement gagné? Rien, absolument rien, ne permet de le dire. Si tu as fréquenté des réunions du PS pendant la préparation du congrès de Dijon, tu auras constaté que la gauche du PS était très souvent majoritaire parmi les militants présents, et qu'elle l'est sans doute parmi ceux qui collent les affiches, distribuent les tracts, sont présents dans les mouvements sociaux. Mais le vote n'a pas été celui des vrais militants du PS, mais des adhérents! Notre amie commune Marion Paoletti me disait il y a peu: "dans toutes les AG de la section de Bordeaux, il y avait 40 à 50 personnes, largement acquises à la gauche; mais il y a eu 250 votants, des personnes que je ne vois jamais et dont je ne sais même pas qui elles sont". Certes, ces "votants fantômes" du type des électeurs MAIF-MGEN font les majorités: mais le PS s'écroulerait du jour au lendemain s'il n'y avait pas les militants qui façonnent la vraie nature du PS et freine la tendance naturelle des bureaucraties social-démocrates à devenir néo-démocrates à l'américaine.

Enfin, tu ne te situes pas du point de vue du mouvement social dans son ensemble. Tu commets une confusion majeure en le découpant en une aile "radicale" et une aile qui ne l'est pas. Or si la différence entre réforme et révolution reste tout à fait pertinente, si la différence entre compromissions et radicalité le reste tout autant, c'est au niveau des programmes politiques des partis, des trajectoires politiques, et pas du tout au niveau du mouvement social. Il n'y a pas un mouvement social révolutionnaire distinct d'un mouvement social réformiste. Il y a l'expression médiée de la force sociale du salariat, que l'on peut appeler peuple de gauche ou autrement, et qui a besoin d'unité pour avancer. Le rôle des "radicaux" est de permettre l'unité politique du peuple de gauche, et surtout de s'unir entre eux ("unité des révolutionnaires") en opposant la radicalité à la masse. En d'autres termes, leur tâche est de de fournir un débouché politique au mouvement social: or ceci, c'est une tâche présente, actuelle, de court ou moyen terme qui s'adresse aux gens vivants, ce n'est pas un débat d'idées pour le très long terme, une attitude uniquement propagandiste! Car si les "radicaux" ne proposent pas un projet pour toute la gauche, c'est le mouvement social lui-même qui reculera et le projet des "radicaux" sera plus isolé que jamais. Ta démarche se détruira d'elle-même.

C'est pourquoi il faut évidemment inclure le PS (ses membres pris individuellement mais aussi le parti en tant que tel) dans la démarche unitaire, systématiquement. On peut penser que ce sera un échec, mais cette posture unitaire à l'échelle de tout le peuple de gauche est indispensable.

J'ai signé le texte de Salesse ("opération Ramuleau"), parce qu'il permet au moins le débat sur une unité fondée sur l'antilibéralisme. Mais je ne le trouve pas très bon, justement parce qu'en fait il crée un réseau d'individus et ne s'adresse pas aux partis en tant que tels. Il crée lui-même les causes de sa propre marginalité. Or il y a un espace antilibéral CONSIDERABLE qui va de la gauche radicale à certains secteurs du PS, en passant par le PC et les Verts, la gauche identitaire et, surtout, par la masse des citoyens de gauche sans partis. Unir les gens de gauche sans parti ne peut pas se faire sans s'adresser aussi aux partis, il faut les deux! Telle était mon idée dans le texte "Bloc pour l'Égalité". Tourner le dos à cette POSSIBILITE CONCRETE d'unité antilibérale (dont nous savons, nous, qu'elle est transitoire et de dynamique anticapitaliste), c'est se déclarer vaincu à l'avance pour toute une période, au nom de lendemains lointains.

Cette démarche serait quand même acceptable si elle était faisable: mais elle suppose qu'une alternative de masse puisse apparaître face au PS, sans que la gauche dans son ensemble ne progresse, dans un climat de divisions entre deux gauches maintenu et exacerbé, et tétanisant le mouvement social à chaque éruption gréviste par absence VOLONTAIRE de débouché politique. Elle suppose en fait que le PS a déjà disparu, et qu'il s'agit juste d'en balayer les débris. Ta démarche post-moderne est une purement intellectuelle qui se place d'elle-même à l'extérieur des mouvements sociaux.

Désolé, cher Philippe, de rester très trotskyste! Mais au moins, j'aurais appris ça de ma période LCR!

Amitiés et à bientôt.

Michel Cahen

PS: j'envoie copie de cette réponse à diverses personnes, et je ne sais si tu souhaites toi-même faire circuler, dans ta liste d'adresses, les réponses: mais tu le peux naturellement concernant mon texte.

PJ: je ne sais si je t'avais envoyé la dernière version de mon texte "Bloc pour l'Egalité". Je te la renvoie pour mémoire.


La contribution de Philippe Corcuff

Paru dans Le Monde

Vendredi 4 juillet 2003

L'ADIEU AU PS

Philippe Corcuff

(Maître de conférences de science politique à l'Institut d'Etudes Politiques

de Lyon)

J'ai été militant du Parti socialiste de 1977 à 1992. Le congrès de Dijon a

clos une période : celle de la possibilité de faire du PS un parti de

changement social. Certes, les socialistes français, comme la plupart de leurs

homologues européens, ont quitté depuis longtemps les rivages

sociaux-démocrates pour s'installer dans le port du social-libéralisme.

Mais, aujourd'hui, les espoirs internes d'un nouvel Epinay apparaissent clairement

vains. Le marketing (quelques femmes-jeunes-associatifs issus de

l'immigration) a remplacé la rénovation des pratiques politiques. Une

rhétorique tautologique (« Nous sommes de gauche puisque nous sommes la gauche

») a remplacé le projet de société. Le vide politique et intellectuel d'un

François Hollande a remplacé la réflexion sur les défis du XXIe siècle.

Deux forces critiques s'étaient pourtant manifestées après le désastreux 21

avril. Le Nouveau Parti Socialiste d'Arnaud Montebourg pointait la nécessité

d'une transformation

démocratique tant du fonctionnement du parti que de son

projet. Le Nouveau Monde d'Henri Emmanuelli s'opposait à la dérive libérale en

mettant l'accent sur la question sociale. Malgré leurs limites, ces courants

contestataires exprimaient la fragile possibilité d'un sursaut intérieur. Ils

se sont heurtés à une organisation verrouillée par un appareil et rongée par

le clientélisme des grands et petits notables. Maintenant que l'échec est là,

les voilà au pied du mur : accepteront-ils de devenir les énièmes cautions du

principal obstacle à l'émergence d'une autre politique ? Je crains que la très

grande majorité ne réponde oui en pratique, du fait du poids conjugué du

patriotisme de parti, des auto-illusions générées par le combat interne et des

logiques de carrière. Et si la gauche a maintenant à faire ses adieux au PS,

c'est à l'immense gauche de l'extérieur de s'y atteler.

Cette gauche de l'extérieur, ce sont les forces réactivées du mouvement

syndical et des nouveaux mouvements sociaux, qui trouvent de nouvelles

perspectives internationales avec la protestation alter-mondialiste. Si les

services publics sont apparus à la pointe du combat contre l'insécurité

sociale, c'est aussi, comme en 1995, en solidarité avec le secteur privé et

les précaires encore davantage menacés par le rouleau compresseur lancé contre

les garanties collectives de l'autonomie individuelle. Et puis, il y a tous

ceux pour qui le vote a perdu son sens, sous le double effet des déceptions

politiques successives et des progrès de l'individualisme.

Bien sûr, le PS garde encore des militants et des électeurs. Si certains

continuent ainsi à adhérer, c'est souvent moins au contenu d'une politique

qu'à une posture identitaire. Sur la pente individualiste, qui conduit

beaucoup d'autres à se désintéresser totalement des jeux politiques, des

personnes peuvent puiser dans cette adhésion des coordonnées identitaires

principalement pour elles-mêmes (du type « Je suis de gauche, donc différent

des corrompus de droite »).

Par contre, du côté des politiques menées, on demeure dans l'orbite du « pas

très différent » de la droite. En dehors de la matraque sécuritaire, qui

entretient dangereusement une ethnicisation des rapports sociaux, la politique

économique et sociale de Raffarin ressemble moins à l'ultra-libéralisme de

Thatcher et Reagan qu'au social-libéralisme de Mitterrand, Jospin et Blair. La

stratégie de coucou du PS dans les mobilisations sur les retraites (planquer

ses oeufs politiciens dans le nid de la contestation sociale) ne doit pas nous

faire oublier qu'il avait dans ses cartons des projets similaires.

D'ailleurs,tant dans les grèves des services publics que dans le mouvement

alter-mondialiste, ses tentatives électoralistes de récupération n'ont guère

été audibles.

Et pourtant nous sommes face à des enjeux politiques et intellectuels de

taille. Pierre Rosanvallon a raison sur le diagnostic : « Tout le projet

d'émancipation est à refonder » (Le Monde du 16 mai). Mais les tenants de

l'ex-Fondation Saint-Simon ont le culot d'utiliser le beau mot d'«

émancipation » pour donner une couleur attrayante à l'éternisation de « la

démocratie de marché ». Or, si l'émancipation républicaine comme

l'émancipation socialiste connaissent aujourd'hui un épuisement relatif, ce

n'est pas avec un en deçà (l'abandon de fait de l'émancipation pour se noyer

dans le bouillon marchand) qu'on pourra inventer un nouveau projet de

civilisation. On aura besoin de ressources républicaines et socialistes, même

si elles ne seront pas suffisantes.

En nommant fallacieusement « réformisme » la démission

sociale-libérale, Rosanvallon abandonne ce qui constituait l'aiguillon utopique

de la tradition socialiste : l'horizon d'une société post-capitaliste. Chez

Jaurès, la dynamique des réformes se nourrissait de la possibilité d'une autre

société. Sans cet horizon, on risque de ne plus vraiment réformer.

L'anticapitalisme apparaît donc toujours comme un point de passage obligé

d'une nouvelle politique d'émancipation, car le capitalisme est toujours là,

injuste et oppresseur. Mais l'anticapitalisme ne peut plus être le c˛ur

exclusif d'une démarche émancipatrice. Ni la question individualiste, ni la

question écologiste, ni la question féministe ne trouveront un traitement

pertinent dans le seul cadre anticapitaliste. Il s'agit, plus radicalement,

d'inventer une politique de la pluralité qui associe, dans un esprit

post-capitaliste, les aspirations de l'individualité et les protections de la

solidarité collective, l'humeur anti-institutionnelle des nouvelles

générations contestataires et leur défense de la sécurité sociale. Une

social-démocratie libertaire en quelque sorte.

Ce renouveau de l'émancipation apparaît déjà en germe dans les luttes

actuelles. Mais il doit aussi pouvoir trouver des cristallisations dans

l'espace politique, tout en garantissant scrupuleusement l'indépendance et la

critique réciproque des mouvements sociaux et des partis. La politique

partisane n'est certes pas le principal, mais le 21 avril a montré qu'on

aurait tort de négliger cette composante. La campagne présidentielle d'Olivier

Besancenot a commencé à travailler dans le sens de l'émergence d'une nouvelle

gauche radicale et plurielle. Par contre, les appels prématurés à la

constitution de réseaux anti-libéraux allant du PS à l'extrême-gauche, malgré

les bonnes intentions unitaires et rénovatrices de leurs initiateurs, risquent

simplement de servir à rabattre les électeurs et les militants critiques vers

un PS hégémonique, en tuant dans l'˛uf la gauche radicale naissante, comme

cela a déjà été fait pour les Verts. Envisager des alliances politiques larges

incluant d'une façon ou d'une autre les socialistes, avec d'éventuelles

dimensions électorales, n'aura pas de sens tant que la nouvelle gauche

radicale ne stabilisera pas un fort écho dans les luttes sociales et une

audience électorale suffisante pour peser significativement sur les choix

politiques.

A court et moyen terme, l'adieu au PS et la priorité donnée à la construction

de la gauche radicale constituent les deux faces stratégiques d'un même projet

politique de sortie de l'impasse.

Philippe Corcuff

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