GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

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44 pays disposent des capacités techniques pour développer un armement atomique

À l'heure des menaces de guerre biologique, chimique, bactériologique, le plus grand des risques demeure toujours celui de la guerre nucléaire.

"À la question : " Combien de pays détiennent-ils aujourd'hui la bombe atomique ? " les citoyens du monde croient pouvoir obtenir une réponse précise. Ils se trompent. Cinq pays appartiennent au club des puissances nucléaires reconnues. Il s'agit des Etats-unis, de la Russie, de la Chine, de la Grande Bretagne et de la France, par ailleurs seuls membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU. Deux autres Etats, l'Inde et le Pakistan ont démontré qu'ils détenaient le savoir-faire de l'arme atomique. L'Inde a pratiqué un essai nucléaire en 1974, puis une véritable campagne de tests en 1998.Le Pakistan lui a emboîté le pas cette année-là en effectuant lui-même une série de tirs. Pour autant, New Delhi et Islamabad n'appartiennent pas au club des puissances nucléaires.

Les cinq grands ont en effet décrété que "malgré leurs essais nucléaires, l'Inde et le Pakistan n'avaient pas le statut d'Etats dotés d'armes nucléaires..." Ces deux pays sont affublés de l'identité hybride "d'Etats qui possèdent la bombe atomique mais ne sont pas des puissances nucléaires". Israël est dans une position comparable. Bien qu'il n'ait jamais effectué d'essais sur son propre sol, l'existence de son potentiel atomique est un fait admis. Néanmoins, il n'appartient pas au club des puissances nucléaires. À ces cinq puissances nucléaires officielles et trois puissances atomiques officieuses viennent s'ajouter les pays dits "du seuil". Cette appellation désigne "les pays soupçonnés de pouvoir déployer des armes nucléaires opérationnelles... sans avoir pratiqué d'essais au vu et au su du monde entier". Parmi ceux-ci on trouve, par exemple, l'Algérie, la Syrie, la Libye, l'Iran, le Brésil, ou l'Argentine. La zone grise de la dénucléarisation de la planète se trouve là. PLusieurs dizaines d'états disposent de la capacité technique de développer un armement atomique". Mais ces pays ayant eu la discrétion de ne pas pratiquer de tests nucléaires sur leur propre territoire, ils ne sont pas officiellement détenteurs de la bombe."

(Dominique Lorentz, introduction de son livre," Affaires atomiques", paru en février 2001)

Voilà comment commence cet excellent ouvrage de Dominique Lorentz. Par un avertissement qui fait froid dans le dos. Et qui se prolonge tout au long de la démonstration méthodique sur la prolifération du nucléaire depuis cinquante ans.

Pas de barrière entre nucléaire civil et militaire

En fait la prolifération a été organisée, démontre-t-elle, de façon délibérée, par les super-grands. Comprenant, à l'occasion de la guerre de Corée, qu'à chaque affrontement entre leurs alliés respectifs, le chantage à la guerre atomique les opposerait, Etats-unis et URSS en arrivèrent à la conclusion qu'il valait mieux armer des puissances régionales "intermédiaires" plutôt que d'être obligés de se menacer elles-mêmes en permanence de destruction totale.

Mais comme la doctrine officielle, à cause de l'horrible souvenir d'Hiroshima, était de concéder aux opinions publiques, qu'il ne saurait y avoir de prolifération, c'est de façon clandestine et tortueuse que fut distillé l'atome. Ainsi les "grands" préservaient leur statut de super puissance, à l'ONU, et dans leurs zones d'influence, et, en même temps se déchargeaient des risques d'explosion sur des territoires et des populations qui n'étaient pas les leurs.

Il fallait donc mentir pour que cet équilibre se mette en place : mentir sur la distribution progressive de l'arme nucléaire, mettre en place des cheminements dissimulés pour celle-ci, et courir ensuite, évidemment, des risques de dissémination incontrôlée au gré des rapports de force.

Le meilleur argument pour initier tout cela, officiellement, fut de prétendre qu'on ne pouvait refuser du "nucléaire civil" aux pays qui en faisaient la demande. D'autant que c'était un des marchés les plus juteux au monde, et que Général Electric et Westinghouse n'auraient pas accepté d'être privé de tels débouchés.

Dans "Economie de l'Apocalypse", Jacques Attali raconte qu'étant sollicité d'établir un rapport en 1995 sur la prolifération nucléaire, il ne s'attendait "pas à tirer des conclusions aussi terrifiantes". "Tous les pays considérés dans les années 60 comme des candidats potentiels à la bombe atomique disposent effectivement de la capacité de se doter de celles-ci" et il écrit sans détour qu'il n'y a pas de distinction valable possible entre les matières nucléaires militaires et civiles" et que "le caractère dual de presque toutes ces technologies permet de vendre des savoir-faire en feignant de croire aux intentions pacifiques du client".

"L'exploitation militaire de l'énergie atomique repose, en grande partie, sur les mêmes méthodes et procédés de transformation qu'exigent les applications industrielles". Rien n'interdisait les Etats concernés de parcourir tranquillement le chemin qui menait du nucléaire civil au nucléaire militaire et cela "jusqu'aux cinq dernières minutes". L'AIEA (agence internationale de l'énergie atomique) "ne sert à rien" dit Jacques Attali, son action "est dérisoire, inexistante," voire elle fonctionne à rebours comme un centre d'apprentissage de la prolifération".

La chaîne de diffusion nucléaire des alliés :

Dominique Lorentz, raconte, documents officiels méticuleusement cités à l'appui, comment la chaîne de dissémination s'est effectuée. Les Etats-unis l'ont donné directement à la Grande-Bretagne, puis ont facilité par le biais des chercheurs juifs qui avaient "inventé" la bombe, la transmission à Israël qui s'est chargé de la transmettre à la France. Les Israéliens connaissaient le secret de l'atome avant même la création de leur état, et l'indépendance de la France dans la découverte de la bombe est un mythe : c'est en jointure avec Israël et en utilisant d'abord le terrain d'expérimentation de l'Algérie, puis celui, de l'Afrique du sud raciste, que le secret fut transmis. De Gaulle "habilla" un projet qui le précédait, et fit mine, lié comme il l'était de "sortir" de l'Otan, tout en restant dépendant (Framatome, St Gobain) des marchés et commandes des Etats-unis. Lui qui ne voulait pas que l'Allemagne détienne la bombe nucléaire fut ainsi obligé d'associer la RFA (Siemens) dans le projet sud-africain avant que la France ne devienne vendeuse des licences américaines de centrale nucléaire.

C'est là que les projets de revente s'étendent : vers l'Egypte en "équilibre" avec Israël et en échange... de la signature de l'accord de "paix" Sadate-Beghin. Vers l'Iran devenu sous le chah un enjeu stratégique considérable, du moins tant qu'il n'augmentait pas trop le prix du baril de pétrole. Vers l'Irak alors que ce pays servaient les intérêts occidentaux en menant une guerre de huit ans (1980-1988) contre l'Iran tombé entre temps entre les mains des ayatollahs. La France installe une centrale en Irak, Tamouz, où vont se former les techniciens égyptiens, et qu'Israël détruira puis les Français la reconstruiront.

On compte les bombes comme des moutons...

D'un autre côté les ventes, sous l'égide de l'Allemagne, se font vers l'Argentine et le Brésil. Le Canada se fait l'intermédiaire des Etats-unis pour aider l'Inde avant qu'Eurodif en 1982 et la France ne prennent le relais. L'URSS aide la Corée, la Chine avant 1960, puis Cuba, avant la crise des fusées de 1962, puis le Vietnam indépendant. Les Etats-unis aident la Turquie puis s'en retirent. C'est la Chine qui aide le Pakistan... et le Brésil qui exporte vers... la Libye. Les parcours sont sinueux, mais on compte bientôt les bombes comme on compte les moutons... La "concurrence" a bon dos : lorsque les Etats-unis feront mine de reprocher à la Belgique (liée à la France) de vouloir compléter les connaissances atomiques brésiliennes transmises à la Libye, Bruxelles répond : "Si nous nous dérobons d'autres signeront le contrat"... La Maison-Blanche, finalement, préféra que ce soient les Belges qui soient maîtres d'œuvre du programme libyen plutôt... que Moscou.

In fine, en fin des années 70, trois pays couvrent officiellement 85 % du marché de l'industrie nucléaire, les Etats-unis (40 %) et l'Allemagne et la France (45 %) mais ces deux derniers sont des "revendeurs" des produits made in Etats-unis. Gérald Ford, en juillet 1976, reconnaissait que "quarante pays construisaient 275 centrales nucléaires" et auraient la bombe... en 1985 mais se défendait du fait que les Etats-unis en soient responsables, alors qu'ils avaient tout autorisé et tout fait pour qu'il en soit ainsi. Les Etats-unis avaient livré, en plus des sous traitances, plus de la moitié de leurs centrales d'exportation à des pays qui n'avaient même pas adhéré au traité de non-prolifération (TNP). À Taiwan, sur des projets français, c'était les Canadiens qui oeuvraient, tandis que Kissinger passait accord avec Zhou Enlaï pour que les Français aident également la Chine en lui expliquant, ironiquement : "Comme souvent nous passerons par les français. Nous émettrons des protestations, mais n'en tenez, bien entendu aucun compte".

De cet "équilibre" économico-politique sortent les guerres :

Cette économie de l'Apocalypse développée pendant cinquante ans, au gré des alliances et de leurs renversements, a pris un tour totalement nouveau après l'effondrement de l'ordre mondial bipolaire installé depuis Yalta.

Lorsque l'URSS s'effondre, ce n'est pas un véritable ennemi des USA, c'est un des deux piliers fondamentaux de l'ordre du monde s'effondre. Les dirigeants staliniens, depuis les années trente ne fonctionnaient que par relations négociées dans le dos des peuples, des mouvements sociaux, et contribuaient, en pratique, mieux que tous les autres à maintenir le statu quo mondial en relation avec les autres puissances.

Car le pouvoir "soviétique" contribuait mieux que quiconque à maintenir un ordre partagé avec les Etats-unis : il influençait et captait toutes les oppositions anti-américaines, il cadrait et étouffait les velléités d'indépendance, de "troisième voie", il imposait "le grand jeu", un choix rigoureux : être dans un des deux camps ou ne pas être. Parfois les Etats-unis succédaient à l'URSS dans le développement et le contrôle des capacités nucléaires de tel ou tel état : la Chine ou l'Egypte, l'Iran ou l'Inde. En se faisant une "concurrence" de "terreur" bien comprise, les deux grands de l'atome avaient réussi à dominer la planète.

À compter de 1989-1991, après la chute du Mur de Berlin, et l'effondrement de l'URSS, ce n'est pas un "nouvel ordre" qui s'installe, mais les prémices d'un nouveau "désordre mondial". D'ailleurs, les Américains seront obligés à compter de cette date, de monter directement sur tous les fronts : Guerre du Golfe, Kosovo, Afghanistan... Ils devront s'impliquer dans les séismes régionaux qui surviennent et démultiplier leurs interventions pour contrôler les équilibres économiques mondiaux (pétrole, gaz, nucléaire).

Tout ce qui était figé dans ce cadre dual s'est désagrégé dès lors que, à eux seuls, les Etats-unis ne pouvaient maintenir cet ordre : ils ont certes continué, un temps, à faire jouer leurs "pions" régionaux, les uns contre les autres. Mais face à un seul maître, ceux-ci se sont émancipés, obligeant ce dernier à intervenir, révélant ses faiblesses, à découvert directement.

Au centre du monde, pétrole, gaz et nucléaire :

En Iran, qui était au départ totalement contrôlé par les Etats-unis, ceux-ci avaient renversé Mossadegh en 1953 pour soutenir le chah, et lorsque ce dernier leur a désobéi, ils l'ont renversé en 1979 pour introniser Khomeyni, qu'ils croyaient "tenir" : mais avec ses mollahs, cette dernière créature, leur a échappé, première d'une longue série, bousculant l'ordre dans le Golfe et en Asie centrale.

Tandis que l'URSS, en 1979, envahissait l'Afghanistan pour contenir à son niveau, le fondamentalisme islamique, les Etats-unis poussaient, eux, Saddam Hussein à faire la guerre à l'Iran tout en encourageant tous les religieux extrémistes à résister à l'URSS. Au terme de ces deux guerres paralléles qui durérent huit ans et firent plus de 3 millions de morts, Saddam Hussein demanda sa récompense et envahit le Koweït, les Etats-unis se retournèrent alors contre lui sans parvenir à l'abattre. Par un enchaînement prévisible, les effets de la guerre radicalisèrent de nouveaux ennemis au sein des pays du Golfe. Vainqueur en Afghanistan, avec d'autres opposants saoudiens, ben Laden demanda après 1991 l'évacuation des troupes US d'Arabie saoudite, le Pakistan s'indigna des sanctions prises contre lui pour un armement nucléaire qu'on lui avait pourtant donné, les talibans, prirent le pouvoir en Afghanistan, encouragés avant d'être vilipendés, et ils accueillirent les réseaux arabes initialement formés par la CIA qui firent exploser des bombes à Nairobi, à Dar es-Salaam, au Yémen, puis à New York même.

Les Etats-unis qui avaient maintenu la dynastie saoudienne, et lui avait confié la mission de développer l'islam dans tous les pays arabes afin de contrecarrer la gauche, les syndicats, les laïcs démocrates, découvrirent sans rien pouvoir y faire, que le régime de Riyad s'était fissuré et avait enfanté des opposants non seulement à la gauche mais à l'Amérique. Ce sont des saoudiens qui ont fait les attentats du 11 septembre aux World Trade Center.

Malgré leur entregent, les dirigeants américains successifs ne sont pas parvenus davantage à stabiliser le Proche-orient, ni à assurer l'environnement de leur meilleur allié qui est Israël. Cette impuissance maintenait allumée la mèche qui risquait à tout moment d'embraser toute cette partie du monde.

De l'autre côté du Golfe, les Etats-unis avaient tour à tour conforté le nucléaire de l'Inde et du Pakistan, mais ne parvenaient plus à empêcher leur confrontation pour le Cachemire ce qui amenait les deux pays au bord du gouffre à fanatiser leurs religieux, et leurs extrêmes droites nationalistes. Quand aux régions du sud de l'ex-URSS, elles sont elles-aussi menacées d'être entraînées dans la tourmente religieuse.

Tout cela constitue un déséquilibre fondamental dans une région entre la Russie, la Chine et l'Inde, alors qu'elle est devenue centrale dans les cinquante ans à venir pour son pétrole, son gaz... et sa prolifération nucléaire.

La mondialisation américaine porte la guerre en son sein comme la nuée porte l'orage :

Le livre de Dominique Lorentz, fait de multiples révélations "anecdotiques" supplémentaires sur la façon dont la France, en 1985, fut impliquée par des attentats iraniens, le chantage à la récupération du milliard donné à Eurodif par le chah, les compromis effectués par Chirac sur les otages, Abdallah, et Wahid Gordji, les raisons et les auteurs de l'assassinat de Georges Besse et de René Audran, etc.... Le livre, qui comporte 604 pages, préfacé par Alexandre Adler, publié par "les arénes", contient une très nombreuse bibliographie, et des sources extrêmement fiables (toutes des déclarations officielles, généralement ignorée ou peu entendu, mais qui rappelées dans un éclairage d'ensemble, sont convaincantes).

Mais ce livre n'est pas seulement une somme de révélations, il a surtout le mérite de "cadrer" et faire découvrir, comprendre, par une lecture systématique, complète, du "monde nucléaire", l'aube réelle des risques du XXIe° siècle.

Les germes semés pour les guerres du siècle à venir sont toutes là, expliquées dans leurs origines : le "traité de non-prolifération" est une gigantesque pantalonnade, les Etats-unis, pour leurs intérêts à courte vue, d'année en année, se sont ingéniés à le contourner et à couvrir le monde de... bombes à retardement. Ils courent maintenant après les conséquences... dans les montagnes peu hospitalières d'Afghanistan.

Doit-on en tirer des conclusions pessimistes ? Oui. Y a t il un espoir ? Toujours, mais il dépend d'un sursaut des peuples contre les guerres. Contre toutes les guerres. Pour le désarmement nucléaire généralisé.

Gérard Filoche

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