GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Antiracisme

Quels mots pour se dire ?

À l’accueil de jour de Chambéry, l’équipe mobile Précarité et psychiatrie reçoit des demandeurs d’asile en consultation. Ces derniers, aidés d’interprètes, disent leurs souffrances, leurs peurs, leurs colères, mais aussi leurs espoirs et leurs rêves. Un documentaire sensible, signé Antoine Dubos.

Aux hasards des programmations de ciné-débats*, on peut tomber sur des pépites documentaires d’Antoine Dubos. Sur l’histoire de jeunes policiers en formation à Oissel, sur les trajectoires de mineurs non-accompagnés, sur l’exil des demandeurs d’asile ou encore  sur François qui vit dans la rue. Antoine Dubos s’attache à mettre en image et en mots des récits de scènes de vie ordinaires. Sous la forme documentaire, dit-il, « en prise avec la vie et la réalité du monde », parce que « la complexité du monde dépasse celle de la fiction ».

Paroles et reconstruction                                                                                                           

Dans Avec les mots des autres, nous sommes plongés dans la parole : la parole qui répare, qui aide à se réapproprier son histoire. À Chambéry, lors de consultations en psychiatrie, accueillis par des infirmières ou des psychiatres à l’écoute, des hommes et des femmes viennent exprimer leurs maux, le traumatisme lié au parcours de migration, à l’exil. Pendant six mois, Antoine Dubos a filmé des consultations où on peut dire sa souffrance, être entendu, où le mot « accueil » prend du sens. L’accueil des infirmiers et des psychiatres et le rôle de l’interprète en langue étrangère, des langues rares comme on dit. On y parle certes arabe ou encore turc, mais aussi bambara, peul, tigrinya, pachtoune, dari, bengali…

Avec les mots des autres nous montre la place primordiale de l’interprète lors de ces consultations. L’interprète demande une précision, remet en mots la souffrance de l’homme ou de la femme assis.e à côté de lui dans le cabinet de consultation. L’interprète intervient comme un passeur de mots, un passeur des maux de personnes demandeuses d’asile accueillies à l’hôpital. Il raconte les rêves, les cauchemars, la dureté de la réalité vécue par les autres.

« J’ai encore mal, comme d’habitude. Mais cette nuit, j’ai fait un cauchemar », cette phrase marque le début d’une des consultations filmées. Elle peut sembler banale, mais dit en réalité beaucoup. Les séances et les mots accompagnent le début de la reconstruction et la réappropriation du parcours de vie. On est marqué par l’empathie des personnels soignants, par la posture de l’interprète, qui transmet les paroles de façon juste, en veillant à ne pas les transformer, en veillant à ne pas laisser paraître l’écho que ces paroles peuvent trouver dans sa propre histoire.

Entrelacs de précarités

Et puis, Avec les mots des autres met l’accent sur la violence de l’injonction à raconter son histoire et son parcours, hors de la consultation psychiatrique. La violence de l’injonction à faire son récit de vie pour obtenir un statut administratif. On pense toujours au trauma subi dans le pays que l’on a fini par fuir, au trauma du départ et de l’exil. Or, la souffrance est grande, créée par l’instabilité des situations au quotidien, et par l’attente interminable de la délivrance du statut. Avec les mots des autres montre simplement comment s’entrechoquent la précarité des demandeurs d’asile et la précarité des services de la psychiatrie et de l’hôpital.

Avec les mots des autres est un documentaire simple, sur des vies tellement complexes. Un documentaire sensible.

Cet article de notre camarade Nadège Boisramé est à retrouver dans le numéro 306 de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).

* Pour organiser une projection ou une soirée-débat autour de ce film, un formulaire est à compléter à l’adresse suivante : https://orspere-samdarra.com/ressources.

Avec les mots des autres,

un documentaire d’Antoine Dubos, 75 min, 2020

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