GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Economie Théorie Histoire

La question brûlante du front unique (centenaire 1923 #2)

Nous publions ici le deuxième volet des articles de notre camarade Jean-François Claudon sur le centenaire de la révolution allemande de 1923 (voir le #1 : la crise de la Ruhr). Car c'est cette année-là qu'en Allemagne se scella le destin du XXe siècle.

Affiche de 1922 du KPD
Affiche de 1920 du KPD

L’investissement de la Ruhr par le corps expéditionnaire franco-belge, à la mi-janvier, a jeté l’Allemagne dans un tourbillon dont il était tout bonnement impossible qu’elle sorte indemne : aux rigueurs de l’occupation militaire s’ajoutaient la frustration patriotique et la montée des organisations de la droite nationaliste (sur laquelle nous reviendrons dans le prochain chapitre de cette rétrospective), mais aussi l’effondrement du mark dont la valeur chuta de façon vertigineuse à partir du printemps. Cette situation catastrophique suscita une résistance populaire qui s’exprima naturellement contre l’armée d’occupation, mais aussi contre les atermoiements du gouvernement Cuno – quoique de façon différenciée dans la Ruhr par rapport au reste du Reich. Après un temps de sidération, la combativité ouvrière franchit un premier palier en mars-avril, au point de susciter un vif débat au sein du KPD sur les perspectives qu’elle était susceptible d’ouvrir au salariat allemand. Une nouvelle rupture eut lieu au mois de mai, en raison d’une aggravation de la crise intérieure et de la situation extérieure.

On discute ferme à Moscou

Début février 1923, le congrès de Leipzig avait fait éclater au grand jour les divisions qui travaillaient un KPD encore à peine remis de la crise interne consécutive à l’Action de mars (1921). Le Parti communiste, en plein occupation franco-belge, était alors tenaillé entre une aile gauchiste (Maslow-Fischer) persuadée que la résistance active des ouvriers rhénans constituait le prologue du Grand soir, et une majorité (Brandler-Thalheimer) autrement plus circonspecte à l’idée de lier le sort de la révolution à un mouvement spontané à forte dimension émeutière, et bien davantage séduite par les perspectives de gouvernement ouvrier qui s’ouvraient alors en Allemagne centrale. Le 21 mars, dans la droite ligne de cette orientation majoritaire centrée sur la politique du front unique, la constitution d’un gouvernement SPD homogène en Saxe est salué par le communiste Paul Böttcher1 comme un pas en avant vers la formation du gouvernement ouvrier et l’armement du prolétariat. C’est alors que Ruth Fischer se rend dans la Ruhr pour mener campagne sur ses thèmes de prédilection, au grand dam de la direction, dans un milieu militant électrisé par l’occupation militaire ; en réaction à cette campagne, un groupe-tampon, issu de la gauche, se cristallise entre la fraction Fischer-Maslow et la majorité. Le 22 avril, Zinoviev, le président de l’Internationale, propose sa médiation et invite les protagonistes du drame à venir s’expliquer à Moscou2.

La rencontre a lieu fin avril - début mai. Elle rassemble Brandler et Böttcher pour la majorité de la centrale, Maslow, Fischer et Thälmann pour la gauche et Eisler pour le groupe intermédiaire, ainsi qu’une délégation russe constituée par Zinoviev, Boukharine, Radek et Trotski. La composition de cette dernière en dit long sur l’importance qu’attribuaient alors les dirigeants soviétiques à la question allemande. La résolution de compromis est conclue le 4 mai, après d’âpres discussions dont nous ne savons au fond que peu de choses. Elle cherche à se situer à exacte distance des deux « pôles » du KPD, puisqu’elle insiste lourdement sur le fait que les divergences au sommet sont nées « de la lenteur du rythme du développement révolutionnaire en Allemagne et des difficultés objectives qu’il entraîne, alimentant à la fois des déviations de droite et des déviations de gauche »3. On compte parmi les erreurs opportunistes la formule lancée par Brandler à Leipzig sur les chefs sociaux-démocrates qui, de gauche de la bourgeoisie, pourraient devenir la droite des travailleurs dans le déroulement de la crise. Cherchant à convaincre les ouvriers non-communistes, ce genre de formules a éveillé en retour la méfiance chez des « éléments sains du parti inclinant vers le gauchisme ». Pour sortir le parti allemand de sa crise, la résolution de compromis suggère que des éléments de la gauche tenus à l’écart lors du congrès de Leipzig soient cooptés au Comité central. Elle met par ailleurs en garde le parti contre toute action d’ampleur prématurée. Enfin, le texte élaboré à Moscou souligne qu’il est important, d’un point de vue propagandiste, de montrer que la bourgeoisie allemande est incapable, dans sa lutte contre l’Entente, de s’allier avec les masses laborieuses et que seule la classe ouvrière est en mesure de « défendre la terre allemande, les trésors de la culture allemande et l’avenir de la nation »4. On peut voir dans cette affirmation de principe l’amorce de la confrontation entre le KPD et les nationalistes allemands, qui battra son plein lors de l’été 19235.

Comme une confirmation de la ligne circonspecte arrêtée lors de la conférence de Moscou, le 16 mai, Karl Radek, après avoir harangué passionnément les masses berlinoises lors d’une manifestation dont nous allons bientôt reparler, déclare, au lendemain du Comité central où a été scellée la réconciliation des communistes allemands : « Nous ne sommes pas en mesure d’instaurer la dictature du prolétariat parce que les conditions préalables, la volonté révolutionnaire chez la majorité des prolétaires, n’existent pas encore »6. Le fantasque militant bolchévique, qui avait appris la prudence lorsqu’il avait été envoyé en Allemagne entre fin 1918 et 1920, aux heure sombres de la contre-révolution militaire qui avait bien vite suivie l’aurore de novembre, allait être pris de vitesse par les événements.

L’heure de tous les dangers

Signe imparable d’une inflexion dans le rapport de force social mondial, redevenu favorable à la bourgeoisie depuis la stabilisation capitaliste des années 1920-1921, la première partie du mois de mai 1923 est riche en événements internationaux pour le moins dramatiques. Dès la fin avril, le maréchal Foch avait réalisé une grande tournée en Pologne qu’il fallait être d’une grande naïveté pour ne pas considérer comme une menace à peine voilée à l’endroit de l’Allemagne. Par cet opportun voyage, Poincaré et ses faucons lui rappelaient incidemment que l’alliance de revers formée avec le jeune État polonais recréé à Versailles, permettait à l’impérialisme français de la tenir en tenaille.

Le 8 mai, le secrétaire d’État britannique aux Affaires étrangères Lord Curzon, à qui l’on doit la fameuse ligne proposée, en 1919, comme frontière orientale de la jeune Pologne, formule de son côté un ultimatum sur les activités soviétiques en Perse. Le différend franco-allemand sur la question de la Ruhr se complique donc d’une crise anglo-soviétique. Deux jours plus tard, le 10 mai, le diplomate soviétique Vorovsky est assassiné par un Russe blanc du nom de Maurice Conradi, en marge de la conférence internationale de Lausanne qui devait statuer sur le sort de la Turquie après la victoire des troupes de Kemal lors de la guerre gréco-turque de 1920-1921. Le 16 mai, un impressionnant cortège de 150 000 Berlinois accompagne le transfert de la dépouille du diplomate révolutionnaire, en transit dans la capitale allemande avant de regagner l’URSS. Au dire de l’observateur avisé qu’est Victor Serge, cette grandiose « manifestation aux flambeaux autour du cercueil de Vorovski ouvrit la période de mobilisation révolutionnaire »7 qu’allait connaître l’Allemagne dans les mois à venir.

Pour l’heure, tout indiquait que cette série d’événements exprimant à la fois de profondes tensions inter-impérialistes et la pression accrue exercée par le monde capitaliste sur le frêle État soviétique avait à voir avec les événements d’Allemagne, dont l’URSS constituait, depuis la conclusion du traité de Rapallo en avril 1922, le seul allié. Davantage que comme président de l’Internationale communiste, c’est donc peut-être plus en tant que leader soviétique par défaut – en raison de la maladie de Lénine et de la progressive marginalisation de Trotski orchestrée dans l’ombre par la troïka qu’il composait avec Staline et Kamenev – que Zinoviev riposta dans les colonnes de la Pravda, en déclarant que « les événements de la Ruhr, l’ultimatum de Curzon, l’assassinat de Vorovsky, la tournée triomphale du maréchal Foch en Pologne » constituaient « les maillons d’une même chaîne ».

La tension sociale augmentait par ailleurs en Allemagne dans des proportions globalement comparables à l’inflation. Le 1er mai, 25 000 hommes avaient défilé à Berlin, à l’occasion de la Fête internationale des travailleurs, sous les bannières des centuries prolétariennes, les organes d’auto-défense ouvrière promus par le KPD et mêlant au coude-à-coude communistes et socialistes, ainsi que des militants syndicaux et sans-parti. Cette illustration pratique de l’efficacité organisationnelle de la politique de front unique ne fut manifestement pas du goût du social-démocrate Carl Severing, alors ministre de l’Intérieur de la Prusse, qui prononça, douze jours plus tard, l’interdiction des centuries prolétariennes dans le plus grand Land d’Allemagne. Si l’on ajoute à cela qu’une nouvelle vague de grèves débuta dans la Ruhr, le 16, le décor semble planté : l’heure de la lutte frontale – à défaut de la lutte finale – avait sonné, sans qu’on ne s’en rende réellement compte, ni au sommet du KPD, où l’on répétait la litanie maintenant routinière – quoique juste quant au fond – de la nécessaire constitution des organes du front unique, ni à Moscou où personne encore ne croyait, à court ou à moyen terme, à l’apparition d’une situation révolutionnaire.

La grève sauvage de mai

Le 18 avril, « oubliant » leurs promesses patriotiques faites à Cuno de défendre coûte que coûte la monnaie nationale, les magnats de l’industrie allemande – au premier rang desquels on trouve l’inévitable Stinnes – avaient réalisé un achat massif de devises étrangères, qui eut pour conséquence un nouveau décrochage du mark. Un dollar s’échangeait contre près de 100 000 marks en mai, alors qu’il n’en valait « que » 56 000 à la mi-janvier. C’est dans ce contexte de forte dégradation du pouvoir d’achat de millions de salariés, au moment même où l’on salue gravement la dépouille de Vorovsky à Berlin, qu’une violente grève sur les salaires éclate dans le bassin minier de la Ruhr, au su et au vu de l’occupant.

Pour Pierre Broué, il s’agit là d’une « véritable grève sauvage, déclenchée malgré les syndicats, et que le Parti communiste a la plus grande peine à contrôler ». Cette affirmation est confirmée, depuis la France, par L’Humanité, où l’on peut alors lire, en page internationale que, « contrairement aux allégations des journaux bourgeois, le mouvement gréviste n’a pas été déclenché par les communistes… Il est né uniquement de l’insuffisance des salaires »8. L’explosion gréviste a donc lieu le 16 mai, dans la banlieue de Dortmund, à la mine de Kaiserstuhl, où les ouvriers demandent 50 % d’augmentation pour la quinzaine écoulée et des ajustement salariaux ultérieurs (notamment 30 % pour la seconde quinzaine du mois). La grève s’étend à Bochum, Gelsenkirchen, et même à Essen, mais elle ne gagne pas la totalité du bassin houiller occupé. Elle ne regroupe jamais plus de 300 000 travailleurs. Ainsi, le 18 mai, à Düsseldorf, a été organisée une réunion de cheminots qui a rassemblé 170 délégués. Les débats sur la reprise du travail y ont manifestement été particulièrement vifs et, si 100 délégués se sont prononcés contre, 52 s’y sont dit favorables. Le lendemain, les grévistes des puits de Kaiserstuhl ont tenté d’empêcher les non-grévistes de descendre, mais la police est intervenue et les a finalement dispersés.

Cette mobilisation brutale, mais minoritaire, fut notamment marquée par de violents combats de rue à Gelsenkirchen, le 24 mai. Ce jour-là, une manifestation ouvrière avait contraint les commerçants à baisser leurs prix. Puis, en début d’après-midi, la plupart d’entre eux, pris de panique, avaient fermé boutique. Les ouvriers mécontents se sont rassemblés dans le quartier de la gare jusqu’à l’arrivée des forces de l’ordre qui a provoqué des bagarres. Vers 15h, ces dernières se sont transformées en une véritable bataille rangée. Ce sont les centuries prolétariennes qui ont empêché le massacre des manifestants en tenant tête à la police dans une lutte qui a duré jusqu’à 23h. Prenant le dessus dans la soirée, les centuries sont parvenues, vers 22 h, à occuper la préfecture de police, où elles ont fait flotter le drapeau rouge. Lors de pourparlers avec la municipalité, elles ont même proposé d’assurer le maintien de l’ordre de la ville. Bilan : sept morts et 64 blessés9.

Ce n’est donc certainement pas un hasard si, après plusieurs tentatives infructueuses, un comité central de grève patronné par le KPD est constitué le surlendemain de ces événements sanglants. La reprise du travail commence le 29 mai, jour où, selon Pierre Broué, « la centrale [communiste], réunie à Essen en même temps que le comité central de grève, donne son accord pour la reprise du travail sur la base d’une augmentation des salaires de 52,3 % : la gauche approuve, et le travail reprend rapidement »10. Preuve de la combativité d’une partie de la classe, le KPD a eu toutes les peines du monde à freiner ce mouvement et à le cantonner aux revendications économiques, seul terrain sur lequel une victoire partielle était possible. Son influence sur les masses laborieuses n’avait pourtant jamais été aussi forte.

Les vertus du front unique

Lors du IVe congrès de l’Internationale communiste, qui s’était tenu à Moscou à la fin de l’année 1922, deux courants s’étaient opposés sur la question décisive du front unique, orientation de masse adoptée de haute lutte l’année précédente, à l’initiative de Lénine et Trotski coalisés pour l’occasion contre les gauchistes impénitents, en réaction au fiasco sur lequel a débouché la calamiteuse Action de mars. Quelques semaines avant la crise de la Ruhr, la position majoritaire est défendue par Zinoviev pour qui le gouvernement ouvrier est peu ou prou synonyme de dictature du prolétariat. Pour la gauche, représentée par l’incontournable Ruth Fischer, il s’agissait sans surprise d’une navrante rechute dans l’opportunisme parlementaire.

À la tribune du congrès, Radek défend âprement cette perspective unitaire qu’il avait contribué à théoriser en Allemagne en 1920, en lien avec Paul Levi, avant la rupture de ce dernier avec l’Internationale actée par l’Action de mars. Si ce dirigeant de l’Internationale communiste admet plaisamment qu’« il serait faux de dire que l’évolution de l’homme, du singe au commissaire du peuple, doit obligatoirement passer par la phase de ministre du gouvernement ouvrier », il est clair que la constitution, en Allemagne comme ailleurs, d’un gouvernement de coalition socialiste-communiste s’appuyant sur les masses et rompant avec la bourgeoisie, est enfin devenue LA perspective du mouvement communiste, conçue comme une étape décisive vers un stade supérieure de conscience de classe, et donc vers la révolution. Dans la résolution finale du congrès, on peut à ce titre lire : « La seule tentative du prolétariat de former un gouvernement ouvrier se heurtera dès le début à la résistance la plus violente de la bourgeoisie. Le mot d’ordre du gouvernement ouvrier est susceptible de concentrer et de déchaîner les luttes révolutionnaires »11. On est décidément loin des légendes ultérieures faisant du front unique une vulgaire tactique visant à « plumer la volaille socialiste »12 !

Cette orientation, dont la sincérité ne faisait plus débat en raison de sa mise en pratique concrète en Allemagne, ne pouvait que trouver des oreilles attentives dans les rangs de la gauche sociale-démocrate. Cette dernière était mécaniquement renforcée, dans son combat interne contre la droite, par l’affaiblissement d’un appareil du SPD pris, comme toutes les institutions étatiques ou para-étatiques, dans le tourbillon hyper-inflationniste qui venait de saisir l’Allemagne. L’effondrement monétaire rendait en effet caduques les négociations salariales, les batailles pour le respect des conventions collectives et jusqu’à l’achat des timbres par les adhérents – autant de pratiques traditionnelles qui justifiaient et permettaient l’existence des organisations syndicales, dont dépendait organiquement le SPD. Autre secteur sinistré : le monde de la presse, qui souffrait des perpétuels surenchérissements de coûts. Les bulletins, revues et journaux ouvriers tombaient les uns après les autres, au grand dam des permanents sociaux-démocrates qui vivaient largement de leurs émoluments de journalistes. Comme un symbole, la Neue Zeit, la revue théorique du SPD lancée par Karl Kautsky et qui faisait l’orgueil du parti, cesse de paraître au printemps 1923.

Percée communiste

Au sein du SPD donc, au dire de Pierre Broué, face à une droite en perdition, « une gauche se dresse, encore confuse. À sa tête, des hommes de plusieurs générations, les socialistes de 1918, comme Erich Zeigner, rejoignant des anciens comme Dissmann et Paul Levi lui-même. La minorité tient des réunions fractionnelles, se manifeste publiquement ». C’est précisément autour de la fin du soutien au cabinet Cuno et du problème du front unique que les divergences se manifestent au sein du SPD. Selon Pierre Broué, « le mouvement est plus vigoureux en Saxe et en Thuringe, où il est animé notamment par quelques cadres syndicaux solidement implantés, mais il se manifeste partout »13.

La même logique profonde, dénotant infailliblement la dimension pré-révolutionnaire de la situation allemande, joue à une autre échelle. Car si la gauche sociale-démocrate semble l’emporter face à l’aile droitière au point de lui contester la direction du parti, tout semble indiquer que le KPD gagne quant à lui du terrain au détriment du SPD, au point de remettre en cause son statut de parti majoritaire à gauche, qu’il détient depuis la fin de la guerre – soit dès le début de l’ère de la division (exclusion de la minorité pacifiste en 1916, puis création de l’USPD en 1917 et enfin du KPD fin 1918). Au mois de juillet 1923, Die Rote Fahne tire à 60 000 exemplaires, surclassant de beaucoup le Vorwärts socialiste en pleine perte de vitesse, comme on vient de le voir. Le Hamburger Volkszeitung dépasse, lui, les 35 000 exemplaires dès le mois de juin. Au niveau électoral, une seule échéance locale, qui se tient en juillet, permet de juger la progression de l’influence communiste dans la population du Reich. Et encore s’agit-il d’un Land rural et agricole du nord du pays, où le vote conservateur est traditionnellement dominant : le Mecklembourg-Strelitz. Pourtant, le renforcement du KPD y est manifeste : les partis bourgeois passent en effet de 18 000 à 11 000 voix, le SPD de 23 000 à moins de 13 000, tandis que les communistes en obtiennent près de 11 000, alors que la gauche radicale en avait recueilli guère plus de 2 000 lors du scrutin de 192014.

C’est toutefois au niveau syndical que la progression du KPD est la plus manifeste. Ainsi, le nombre de fractions communistes dans les syndicats dominés par les réformistes passe de 4 000 à 6 000 entre juillet et octobre. « À l’exécutif élargi de juin, Jacob Walcher estime à 2 433 000 le nombre d’ouvriers influencés et directement placés sous l’autorité de militants communistes dans les syndicats. Fritz Heckert évaluera de son côté à 30 ou 35 % la proportion des travailleurs organisés influencés à cette date par le parti, ce qui correspond au chiffre de 2 500 000. […] La progression communiste apparaîtra avec éclat lors des élections pour le congrès national du DMV (le syndicat des métallos) prévu pour juillet, où les listes soutenues par le KPD l’emportent aux élections par tendances dans les principaux centres industriels, obtenant le tiers des mandats et la majorité absolue des voix. À Berlin, ils recueillent 54 000 voix contre 22 000 aux listes des candidats sociaux-démocrates, à Halle, 2 000 contre 500 ».

Ajoutons que le succès communiste est également net dans le bassin houiller occupé, puisque la liste de sa fraction obtient 4 350 voix contre 2 470 pour les réformistes à Essen, ainsi que près de 2 000 contre un peu plus de 1 500 à Gelsenkirchen, qui avait été, on s’en souvient, le théâtre de sanglants affrontement à la fin du mois de mai15. Le syndicaliste communiste Jacob Walcher, qu’on ne peut soupçonner de sous-estimer la puissance de l’emprise réformiste dans les syndicats, n’exagérait donc pas quand il affirmait, dès le mois de juin, que les communistes étaient « en bonne voie pour [… s’]emparer des syndicats sur le terrain de lorganisation »16.

Cet article est la version longue de l'article publié dans le numéro 305 de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).

  1. Selon le Maitron, «membre de la Centrale [à partir de 1921], rédacteur en chef du Roter Kurier de Leipzig, président de la fraction communiste au Landtag, secrétaire du parti en Saxe occidentale, il fut un chaud partisan d’un gouvernement ouvrier socialiste-communiste en Saxe» (https://maitron.fr/spip.php?article215971&id_mot=19167).
  2. Voir le premier volet de cette rétrospective publiée dans D&S304, avril 2023, p. 20-22.
  3. Pierre Broué, Révolution en Allemagne. 1917-1923, Minuit, 1971.
  4. Texte de la résolution cité dans Pierre Broué, Histoire de l’Internationale communiste, Fayard, 1997, p. 300.
  5. Voir le troisième volet de cette rétrospective, à paraître cet été.
  6. Ibid., p. 301.
  7. Victor Serge, Mémoires d’un révolutionnaire, 1951.
  8. Pierre Broué, op. cit., 1971 et « Important mouvement de classe dans la Ruhr », L’Humanité n° 7 087, 24  mai 1923, p. 1.
  9. Pour reconstituer les faits, nous nous sommes largement appuyé sur « Le sang ouvrier coule à Gelsenkirchen », ibid., n° 7 088, 25 mai 1923, p. 3.
  10. Pierre Broué, op. cit., 1971.
  11. Pierre Broué, op. cit., 1997, p. 263.
  12. Cette formule malheureuse appelée à rester dans les mémoires a été employée par le communiste français Albert Treint, politiquement proche de Zinoviev, lors du premier exécutif élargi de l’IC (février-mars 1922).
  13. Pierre Broué, op. cit., 1971.
  14. Pierre Broué, op. cit., 1997, p. 316.
  15. Chiffres cités dans « L’occupation de la Ruhr », Le Temps n° 22 631, 25 juillet 1923, p. 1.
  16. Pierre Broué, op. cit., 1971.

 

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