Service public ferroviaire : Macron poursuit la casse
En 1950, les deux tiers des marchandises étaient transportées par le rail, 30 % en 1984, et seulement 9 % en 2019. Plusieurs causes à ce déclin : la désindustrialisation, les difficultés des ports français et une forte concurrence avec la route.
La libéralisation, en 2006, du transport de marchandises (fret) s’est traduite par la prise en charge des trains les plus rentables par des opérateurs ferroviaires privés, en laissant plutôt les wagons isolés, plus coûteux, à la SNCF1. Tout cela avec une baisse des effectifs cheminots, rendant plus difficile une relance du fret ferroviaire : on est passé de 15 000 à 5 400 agents en quinze ans2.
Et toujours plus de camions sur les routes. Le transport de marchandises sur rail émet pourtant 14 fois moins de gaz à effet de serre que le transport sur route. Un train de fret en plus, c'est 50 camions en moins sur les routes. La Commission européenne s’entête en affirmant que la concurrence « contribue à rendre les opérateurs ferroviaires plus efficaces ». Si c’était le cas, la part des marchandises transportées par le train depuis l’arrivée d’opérateurs privés de fret en 2006 aurait dû croître ! Au contraire, elle a baissé !
L’éclatement du ferroviaire public
En 2020, la SNCF a été divisée en cinq sociétés anonymes. Fret SNCF est considéré comme une entreprise ferroviaire en concurrence avec des opérateurs privés. L’éclatement du ferroviaire entraîne un dédoublement de postes auparavant mutualisés, ce qui augmente les coûts d’exploitation. La séparation des sociétés ferroviaires en plusieurs opérateurs mène à des coûts importants de coordination entre la gestion de l’infrastructure et les opérateurs.
La Commission européenne estime à 5,5 milliards d’euros les mesures de soutien à Fret SNCF entre 2007 et 2019, ce qui, pour les tenants de la concurrence et du tout marché, constitue des aides d’État. La Commission veut demander à la SNCF le remboursement de cette somme. Au lieu de justifier un soutien au service public ferroviaire en plaidant pour les avantages environnementaux du ferroviaire, le gouvernement a décidé de le casser davantage.
Fret SNCF sacrifié
Le plan gouvernemental signifie la mise à mal de Fret SNCF, un outil pourtant incontournable de la bifurcation écologique. La société par actions simplifiée (SAS) Fret SNCF devrait disparaître au profit de deux entités : l’une pour la maintenance des locomotives (New maintenance), l’autre spécialisée dans le fret (New fret) avec une voilure réduite de 30 %. Alors que Fret SNCF était redevenue bénéficiaire, le gouvernement lui coupe les ailes ! On l’oblige à concéder au privé 62 locomotives et 23 trains réguliers complets, dont le « train des primeurs » Perpignan-Rungis. Le plan gouvernemental exige que Fret SNCF donne 20 % de son activité à la concurrence, tout en taillant dans ses effectifs. Cela devrait s’accompagner de la cession de 40 % des actifs immobiliers aux entreprises ferroviaires privées. La plateforme logistique située à Saint-Priest serait aussi donnée à un opérateur privé.
Si la réaction unitaire des cheminots s’organise, la mobilisation doit s’élargir aux usagers. Une pétition3, reproduite ci-contre, est lancée à l’initiative des syndicats de cheminots (CGT, UNSA, Sud-Rail et CFDT) avec le soutien d’associations et de partis de gauche (EELV, France insoumise, Génération.s, GDS, PCF, PS et NPA).
La colère cheminote
La direction de la SNCF poursuit le morcellement et l’éclatement du ferroviaire public avec l’externalisation de fonctions transverses communes aux cinq sociétés anonymes (paie et prestations administratives, action sociale, services médicaux) que permettra la création d’un groupement d’intérêt économique (GIE) qui rassemblerait 3 000 cheminots.
Cela ne fait qu’aggraver la colère des cheminotes et cheminots qui subissent déjà de plein fouet l’ouverture à la concurrence des trafics régionaux de voyageurs (TER). En PACA, Transdev a remporté un appel d’offres (10 % du trafic), la SNCF un autre (23 % du trafic). Les naïfs attendent une baisse des coûts pour les Régions. Pas sûr ! Un atelier de maintenance va, par exemple, être construit aux frais de la Région pour Transdev. Et Transdev va profiter du transfert de personnel sans avoir versé un euro pour leur formation.
En Pays de la Loire, un premier appel d’offres pour 30 % du trafic TER a été gagné par la SNCF… qui pour cela crée une filiale dans laquelle seront transférés les cheminots concernés. Pour celles et ceux qui étaient encore au statut de cheminot (supprimé depuis 2020 pour tous les nouveaux embauchés), ils ne le conserveront que pendant quinze mois. Ceux qui refuseront le transfert dans cette filiale pourront être licenciés ! La SNCF promet des coûts d’exploitation moins élevés ; mais ce sera en tirant vers le bas les conditions sociales des personnels. La Région y gagnera-t-elle ? Pour cette ouverture à la concurrence, elle a dépensé 9 millions d’euros en cabinet de conseil (au titre d’assistance à la maîtrise d’ouvrage) et engage déjà 41 millions pour un atelier e maintenance (comme en PACA). Comment ne pas parler de gabegie financière ?
Une inefficace concurrence
Ne nous y trompons pas, les opérateurs concurrents de la SNCF ne viennent que s’ils sont sûrs de gagner de l’argent. Lorsque l’État a lancé en 2020 un appel d’offres pour les « lignes d’équilibre du territoire » Nantes-Lyon et Nantes-Bordeaux, seule la SNCF s’est portée candidate, les entreprises ferroviaires concurrentes ont estimé insuffisantes les subventions publiques ! Pour faire circuler des trains, tout opérateur paie au gestionnaire d’infrastructure (SNCF Réseau) des péages, qui pour un TGV représentent 40 % du prix du billet payé par les usagers. Afin de favoriser la concurrencer avec les TGV de la SNCF entre Paris et Milan, l’opérateur italien Trenitalia a obtenu un rabais sur le prix de ces péages !
La concurrence dans le ferroviaire ne se porte pas si bien que cela. La Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg ont confié le service de transport ferroviaire à l’opérateur public. Les Chemins de fer fédéraux suisses (CFF) sont redevenus l’unique actionnaire de leur filiale fret suisse CFF Cargo SA, en reprenant 100 % du capital de CFF Cargo. En raison du surcoût pour les finances publiques, de la dégradation du service rendu aux usagers et de la désorganisation du système, près d’une dizaine de pays européens ont repris en gestion publique des activités ferroviaires, préalablement confiées au privé, singulièrement pour l’exploitation du transport régional de voyageurs4.
Des annonces en trompe-l’œil
Il ne faut jamais oublier que tous les trains passent sur les mêmes voies, qu’ils transportent des voyageurs (TGV, Intercités, TER) ou des marchandises. Avec la circulation sur ces mêmes voies de différentes compagnies ferroviaires, la gestion du trafic et du matériel va être de plus en plus compliquée. De plus de nombreuses infrastructures sont saturées et nécessiteraient des investissements importants, dont seul un État est capable. D’autant plus importants que le réseau ferré français est vieillissant du fait d’une régénération des infrastructures insuffisante depuis trente ans. « L’âge moyen du réseau français est de 33 ans, avec des rails qui ont 60 à 70 ans », selon le président de la SNCF. En 2021, la France dépensait dans ses infrastructures ferroviaires 45 euros par habitant, l’Allemagne 124 euros, l’Autriche 271 et la Suisse 413.
Élisabeth Borne parle d’un plan de 100 milliards d’euros d’investissements d’ici 2040. Quelle part apportée par l’État ? Un tiers ? Le reste serait à trouver notamment auprès des collectivités locales ! Quand Emmanuel Macron annonce dix RER métropolitains, là aussi on est dans le brouillard sur le financement.
Sans une mobilisation massive cheminots-usagers, il est à craindre que la nécessaire priorité au ferroviaire reste lettre morte.
Cet article de notre camarade Éric Thouzeau est à retrouver dans le numéro 306 (été 2023) de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).
1.Ugo Thomas, « La lente agonie du fret ferroviaire », https://lvsl.fr, 1erdécembre 2021.
2.Erwan Manac’h, « En France, le fret ferroviaire cherche à raccrocher les wagons », https://reporterre.net, 2 mai 2023.
3. Pétition « Contre la liquidation de Fret SNCF ! Pour un changement de politique du fret ferroviaire ! », https://www.change.org
4.Didier le Reste, « Intervention de la CNR au rassemblement bordelais du 12 juin 2023 conter l’ouverture à la concurrence », https://convergence-nationale-rail.fr
5.Claire Villiers, « Investissements ferroviaires : la France a un train de retard », juillet 2022, https://fr.statista.com.