GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur

« Le mouvement des enseignants doit dépasser les frontières du 93 »

Pierre est professeur d’histoire-géographie dans un collège de Stains (93), syndiqué à la CGT. Comme des milliers d’enseignants et de personnels de l’Éducation nationale de Seine-Saint-Denis, il n’a pas fait sa rentrée, le 26 février. Il est revenu pour la revue Démocratie&Socialisme (D&S) sur un mouvement social inédit.

D&S : Pourquoi cette mobilisation spécifique du 93 ?

Pierre : Elle vient d’une démarche intersyndicale initiée par le SNES-FSU, la CGT, Solidaires et la CNT. Ces organisations, qui ont l’habitude de travailler ensemble et qui ont la confiance des collègues ont décidé ces derniers mois de sonder la profession, en lui proposant de lister les problèmes. Sans surprise ont été soulignés l’état général du bâti scolaire, ainsi que la question du taux d’encadrement : 24 élèves par classe en éducation prioritaire, c’est déjà trop, et en plus, cet effectif est bien souvent dépassé ! En termes de moyens humains, le manque est criant devant les classes, mais aussi pour ce qui est des personnels non-enseignants. Du côté du pôle médico-social, c’est tout simplement catastrophique. Les personnels de vie scolaire sont quant à eux épuisés. Les AESH, elles, se démènent comme elles peuvent : le matin dans une école, l’après-midi dans un collège, pour suivre plusieurs élèves en même temps, et le tout pour une paie de misère… Côté enseignants, la réforme Attal instituant des groupes de niveau en collège dès l’an prochain, perçue à juste titre comme une opération inique de tri social, a été la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Progressivement est apparue l’idée de ne pas faire la rentrée tant que les moyens manquent pour l’École publique. Un mot d’ordre simple, mobilisateur et unifiant, notamment après l’affaire Stanislas !

D&S : Quelles sont les principales revendications de ce mouvement ?

Pierre : Le questionnaire intersyndical a permis d’établir des revendications concrètes avec un chiffrage précis. Le plan d’urgence dont nous exigeons la mise en œuvre coûterait 358 millions d’euros – ce qui n’est pas grand-chose quand on sait que la généralisation de l’uniforme dépasserait les deux milliards ! Il y a urgence à investir dans le bâti, puisque le récent recensement permet d’affirmer que 2/3 des écoles sont en mauvais état et 1/3 sont infectées par des nuisibles. Environ la moitié des établissements sont sous-chauffés. Nous revendiquons un plan complet de rénovation, mais aussi des constructions, car trop d’établissements sont bondés. Pour ce qui est des postes, nous demandons la création de 175 postes de CPE, ainsi que 650 assistants d’éducation (AEd) et pas moins de 2 200 AESH. Côté profs, il faut 2000 professeurs des écoles supplémentaires, ainsi que 1 000 postes dans les collèges et 2 200 dans les lycées du département, si l’on veut satisfaire au nouveau seuil que nous entendons fixer à 20 élèves par classe. Pour mémoire, le taux d’encadrement moyen des pays de l’OCDE s’élève à 19 élèves. Autant dire qu’on ne demande pas la Lune !

D&S : Qu'est-ce qui te frappe dans cette mobilisation ?

Pierre : Avant tout son caractère massif, son organisation, et la détermination qui s’y exprime. Dans les dernières mobilisations, des collectifs locaux se sont organisés, regroupant souvent syndiqué.es et non-syndiqué.es. Ce sont eux qui ont construit la mobilisation actuelle, notamment dans les premiers jours de la « non-rentrée », où, grosso modo la moitié des personnels étaient partout en grève. Localement des taux de grévistes dépassant les 70, voire les 80 % n’étaient pas rare. Tout cela prouve que les collègues sont prêts à se battre quand il existe une perspective. Conscients qu’elles et ils peuvent enfin gagner, des jeunes enseignant.es qui n’ont connu dans leur carrière que des conditions de travail déplorables disent non et redressent la tête. Concrètement, vu le déclassement salarial qui touche nos professions, dans de nombreux établissements, on tourne pour faire grève et on s’appuie sur des caisses de grève. Elles permettent notamment de soutenir les vies scolaires, où l’on aspire fréquemment à des grèves totales lors des grosses journées de mobilisations, comme celle du jeudi 7 mars. Les parents aussi nous soutiennent, et ils s’organisent, souvent via des boucles WhatsApp, pour faire pression sur les chefs d’établissement ou pour organiser des opérations « collège désert ».

D&S : Après dix jours de lutte, comment envisages-tu la suite ?

Pierre : Le mouvement s’amplifie et l’intersyndicale nous dit qu’en face, ils commencent à paniquer. Le souci, c’est qu’il s’agit d’un mouvement départemental face à un employeur… national ! Il faut dépasser les frontières du 93, car, pour les collègues les plus précaires, il n’est pas possible de tenir encore longtemps. Une extension sectorielle serait aussi bienvenue et on espère que d’autres services publics se lanceront dans la bataille le 19 mars et au lendemain de cette journée de mobilisation de la Fonction publique. Un autre acteur qui pourrait s’inviter dans la bataille, c’est la jeunesse ! Des lycéens commencent à s’organiser en AG ; nul doute qu’ils pourraient donner un second souffle au mouvement. Pour l’emporter, il faudra en tout état de cause que la mobilisation fasse tache d’huile, et donc que la plateforme revendicative s’élargisse. On doit faire comprendre à une échelle de masses que c’est une bataille pour le bien commun, car seule une grève reconductible d’ampleur peut faire reculer ce gouvernement.

Entretien réalisé par notre camarade Jean-François Claudon pour le numéro 313 (mars 24) de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).

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