GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Economie Théorie Histoire

Quand les masses imposent l’unité (90 ans Unité #2)

Il y a 90 ans, alors que la dictature nazie s’affirmait outre-Rhin, les événements nationaux et internationaux bouleversaient la donne politique hexagonale : en quelques mois, entre janvier et juin 1934, la division de la gauche française et les insultes lancées respectivement aux « moscovites » et aux « sociaux-traîtres » laissaient la place à l’unité d’action SFIO-PCF et au débat sur la réunification organique du mouvement ouvrier. Retour sur un étonnant basculement.

Le 6 février, les ligues d’extrême droite ont eu leur journée, et leurs affidés, courroucés par les révélations de l’affaire Stavisky, par l’éviction de « leur » préfet de police, Jean Chiappe, et par la constitution d’un cabinet de « néo-cartel » présidé par Daladier avec le soutien socialiste, firent à plusieurs reprises reculer les forces de l’ordre, à quelques dizaines de mètres du Palais Bourbon, forçant ses dernières à faire feu. À gauche, le choc est énorme. Un an après l’arrivée au pouvoir d’Hitler et de ses bandes brunes, au moment même où le chancelier Dollfus arrête en masse les responsables sociaux-démocrates et fourbit ses armes contre « Vienne la Rouge », la classe ouvrière française va-t-elle subir le sort de ses frères et sœurs allemands et autrichiens ?

Quelle lecture du 6 février ?

Le lendemain de l’émeute, en une de l’organe de la SFIO, on peut lire sur toute la largeur du quotidien une manchette appelée à faire date : « Le coup de force fasciste a échoué »1. Pour les socialistes, pas de doute, Paris a été le théâtre d’une tentative de coup d’État des ligues d’extrême droite. La veille déjà, alors que l’émeute battait son plein à quelques dizaines de mètres du Palais Bourbon, Blum affirmait à la tribune de la Chambre, au nom du groupe parlementaire, la détermination unanime des socialistes « à barrer la route à l’offensive outrageante de la réaction fasciste »2. Toujours dans Le Populaire du 7 février, qui exagère le nombre de victimes des affrontements en parlant de 29 morts, quatre coupables sont montrés du doigt : l’Action française – et ses Camelots du roi –, les Jeunesses patriotes, les Croix-de-feu et l’Union nationale des combattants (UNC). Pour les socialistes, ces quatre « formations fascistes » ont fomenté « une véritable émeute, préparée, organisée avec soin […]. C’était un complot armé contre le régime républicain ». Même son de cloche du côté de la direction de la CGT, dominée par Léon Jouhaux. On évoque le « fascisme parisien [qui] a mobilisé ses troupes » la veille, les scènes d’émeute perpétrées par des « bandes réactionnaires », dont l’objectif n’était autre que « l’assaut du Palais Bourbon ». Selon le quotidien de la confédération ouvrière, les ligues entendaient, une fois la République renversée, mettre en place « un régime de dictature qui marquera[it] un recul immense des forces de progrès social, qui, même, les détruira[it] de fond en comble »3. On ne peut dire plus clairement que le fascisme est aux portes du pouvoir.

C’est peu de dire que le PCF n’est pas sur la même longueur d’onde. Il se refuse à qualifier l’émeute du 6 février de tentative de coup d’État d’extrême droite et considère que le principal fait du jour reste que « le Parti socialiste donne sa confiance au gouvernement »4. Les violences des ligues ne sont traitées par L’Humanité qu’en deuxième page, et, si l’on qualifie les manifestants de la Concorde de « fascistes » et si on note – presque en passant – que « la Chambre a failli être envahie », on ne cherche absolument pas à décrypter le sens des affrontements de la veille. Le contraste est grand avec le traitement de choix que le quotidien communiste réserve aux manifestations ouvrières auxquelles le PCF avait appelé dans le nord de la capitale, qui sont, elles, longuement et complaisamment narrées, alors qu’elles constituaient en réalité un retentissant échec. Quelques jours plus tard, André Marty va même plus loin en revendiquant les morts du 6 février comme s’ils s’agissait de victimes de la répression anti-ouvrière. L’élu communiste parisien fait en effet valoir, contre les faits, que les réactionnaires, qui manifestaient « bras dessus, bras dessous avec les flics », n’ont été touchés par les balles que « par hasard » alors qu’au même moment, les ouvriers tombaient, eux, « héroïquement »5, sous les coups de la police. Non contents de minimiser l’ampleur de l’émeute réactionnaire dans l’immédiat, les communistes se sont donc même rapidement efforcés de faire oublier cette dernière.

Car, pour un PCF appliquant avec la plus grandes servilité la tactique dite « classe contre classe » promue par Moscou depuis alors cinq ans, ce n’était pas à l’extrême droite, ni même à la droite républicaine ou encore aux radicaux, mais bien à la SFIO qu’il convenait de porter les principaux coups. Ainsi, dans l’appel commun du PCF, de la CGTU et des Jeunesses communistes, publié le 7 février, si l’on dénonce pêle-mêle le « régime de boue et de sang », les gouvernants empêtrés dans les scandales de corruption et les « cliques fascistes » qui ont su jeter sur le pavé de la capitale « une nombreuse petite bourgeoisie irritée », on évoque avant tout la responsabilité jugée écrasante des socialistes dont « la faillite lamentable a contribué à l’éclosion et au développement de ces groupes militarisés ». L’appel communiste se conclut sur une triple invite à la lutte : l’une contre un « fascisme » décidément introuvable, une autre, guère plus parlante, « contre la fascisation de l’État démocratique » et enfin la dernière, autrement plus explicite, « contre les manœuvres traîtresses du Parti socialiste et de la CGT »6.

Premiers contacts, premiers échecs

Dès la nuit du 6 au 7 février, l’émotion est telle, côté socialiste, que les dirigeants de la fédération de la Seine (Jean Zyromski et Marceau Pivert, mais aussi Émile Farinet7) s’adressent à leurs homologues communistes « afin de fixer les bases d’un accord loyal et de réaliser l’unité d’action des travailleurs », non sans leur faire savoir qu’ils resteront joignables à leur permanence jusqu’à minuit. Sans réponse du PCF à l’heure dite, les trois militants qui se réclament de la gauche socialiste décident de se rendre en délégation au siège de L’Humanité, où ils proposent à André Marty et Paul Vaillant-Couturier qui les reçoivent d’organiser une riposte commune en manifestant massivement contre les ligues le 8, à Bastille. L’accueil des deux responsables communistes est plus que réservé, puisqu’ils se contentent d’enregistrer la demande et promettent une réponse pour le lendemain8. La direction nationale de la SFIO et les fédérations de la région parisienne sont toutefois assez confiantes pour publier, quelques heures plus tard, leur appel à la mobilisation du 8, en notant que tous les efforts seront faits « pour qu’une entente loyale et fraternelle réunisse toutes les organisations prolétariennes : Parti socialiste, Parti communiste, CGT et CGTU »9.

Quand la réponse communiste arrive enfin, au soir du 7, c’est la stupeur. Il s’agit d’un court billet, rédigé par Gitton, qui s’adresse significativement à des « citoyens », alors que la missive de Zyromski, Pivert et Farinet s’ouvrait sur le mot « camarades ». Au nom du Comité central, le dirigeant annonce que la réponse communiste est entièrement contenue dans l’appel joint à son courrier, à paraître dès le lendemain dans les colonnes de L’Humanité. Le texte en question est un virulent appel anti-socialiste où ne manque aucune des caractéristiques de la funeste tactique dite « classe contre classe » : front unique menée exclusivement à la base, débauchage sans vergogne des ouvriers socialistes, insultes systématiques contre leurs dirigeants, appel à une contre-manifestation sur les grands boulevards le 9 contournant de facto la proposition socialiste10

Dans le texte rédigé à la hâte au nom du PCF, de la CGTU et des Jeunesses, les questions posées sont toute oratoires. Les responsables communistes font en effet mine de se demander « comment réaliser l’unité d’action avec ceux qui soutiennent les gouvernements lorsqu’ils diminuent les salaires ? Avec ceux qui torpillent les grèves ? Avec ceux qui abandonnent le terrain de classe pour collaborer à la défense du régime capitaliste et qui ainsi préparent en France comme en Allemagne le lit du fascisme ? » Selon la mouvance communiste, « le modèle de l’unité d’action » est donné au moment même à la classe ouvrière « par la grève des chauffeurs de taxi », imposée par la fédération « unitaire » (de la CGTU) et qui – fait rarissime – a mordu largement sur la base « confédérée » (les adhérents de la fédération concurrente de la CGT) par-delà leur direction syndicale. Autant dire que le front unique ne peut être mené qu’à la base, en mettant en porte-à-faux les militants socialistes avec les dirigeants qu’ils se sont donnés – et qui sont affublés pour l’occasion par les communistes des sympathiques épithètes de « sociaux-traîtres » ou de « sociaux-fascistes »… Il est facile de deviner les piètres résultats obtenus par cette tactique ultimatiste. Mais que ne fait-on pas alors, au sommet du PCF, pour obtenir les bonnes grâces de Moscou ! Le texte d’orientation publié par L’Humanité appelle en conclusion les cellules du PCF et les structures locales de la CGTU à « entrer sans délai en rapport avec les groupements de base, confédérés et socialistes, pour préparer immédiatement les manifestations, les grèves et toutes les actions indispensables à la sauvegarde du prolétariat »11. Côté communiste, malgré l’électrochoc du 6 février, on n’était donc absolument pas disposé à mettre au rancard la rengaine au fond si rassurante du front unique à la base, que l’on rabâchait depuis bientôt cinq ans avec un entrain inversement proportionnel à son efficacité sur le terrain des luttes.

Cette rengaine est même amplifiée dans les jours qui suivent, au point de confiner au délire verbal. Le 8, le PCF s’adresse en ces termes aux ouvriers socialistes : « Votre parti a voté la confiance à Daladier. Puis, vos chefs, Blum et Frossard, ont conseillé la démission de Daladier pour faire venir un gouvernement de “trêve des partis” contre la classe ouvrière ». Pour le décrédibiliser, il cite enfin Paul Faure, n° 2 de la SFIO après Blum, qui aurait affirmé qu’il convenait de veiller sur le régime capitaliste « comme des enfants qui veillent sur leur mère »12. Cette version des faits est pour le moins inexacte, puisque le groupe SFIO a voté la confiance à Daladier le 6, en l’exhortant à lutter contre la réaction, et que Blum a insisté le lendemain pour que le leader radical se maintienne au pouvoir, envisageant même la participation de la SFIO à son cabinet pour palier les défaillances successives de ses « amis » politiques. Si Frossard lui a prêché le contraire, c’était en son nom propre, et non en tant que responsable socialiste. La référence à la « trêve des partis », qui semble émaner de la SFIO, vient en réalité du groupe parlementaire néo-socialiste, issu d’une fraction droitière favorable à la participation ministérielle et à un virage autoritaire, finalement exclue de la SFIO quelques mois auparavant13. Quant à Paul Faure, il dément vivement la citation que lui prêtait L’Humanité, puisqu’il avait mentionné sans aucun doute possible le régime républicain, et non l’ordre capitaliste, dans sa formule déformée sciemment pour coller à la « théorie » délétère du social-fascisme14.

Le 9, Marty déclare que les hésitations au sommet de la SFIO, tout comme le report du congrès national, prouvent que « la colère gronde terriblement parmi les ouvriers socialistes » qui, « en dépit de l’attitude infâme de leur parti et de leurs chefs, […] s’uniront plus étroitement avec leurs frères communistes […] dans un front unique puissant ». Le lendemain, c’est le syndicaliste communiste Lucien Midol qui appelle les ouvriers socialistes à l’unité malgré les directions de la SFIO et de la CGT prônant à ses yeux « une lutte sentimentale », et demandant, « en pleine entente avec Doumergue, d’ajouter le repos du lundi à celui du dimanche, dans le calme résigné prêché par Jouhaux »15, le chef de la CGT « réformiste ». Encore le lendemain, soit la veille de la riposte unitaire sur laquelle nous allons revenir, on évoque encore, côté communiste, la « vague “unité sans principes, impossible abdication des méthodes révolutionnaires devant les collaborateurs du capital […] à la Blum, conseiller des gouvernements », et des « barrages » dressés par la SFIO devant les propositions unitaires du PCF16.

Face à l’emploi systématique de noms d’oiseaux et à ce genre de méthodes déloyales, on ne sera pas surpris que les dirigeants de la SFIO les plus anti-communistes discutent l’orientation unitaire proposée par les fédérations de la région parisienne comme par Léon Blum. Le 9, le roubaisien Jean Lebas ne fait par exemple aucune mention, dans les perspectives unitaires qu’il trace dans Le Populaire, d’un éventuel rapprochement avec les communistes et assure que, face aux périls, les travailleurs « réaliseront l’union autour de leurs deux grandes organisations de classe », que sont à ses yeux la SFIO et la CGT. Dans le même numéro, Paul Faure a beau jeu de rappeler le « refus brutal » des propositions d’unité d’action et le « déchaînement nouveau d’injures et de violences »17, côté communiste.

L’échec relatif du 9

Pour effacer l’affront que la réaction petite-bourgeoise a infligé au Paris populaire le 6 février, les initiatives pleuvent. Mais les propositions de riposte ouvrière sont lancées dans le plus grand désordre, au risque de concourir toujours davantage à une forme de cacophonie, qui n’est in fine que l’expression médiatique de la division politique de la classe. On l’a vu : dès la nuit du 6 au 7, les socialistes parisiens proposent aux communistes d’organiser une contre-manifestation populaire dès le 8 février. Mais la CGT appelle la veille à une grève générale de 24 heures, le lundi 12 février, ainsi qu’à une manifestation de masse à laquelle la SFIO se rallie bien volontiers. Si l’on se doute que les communistes vont voir dans cette annulation somme toute logique la preuve de l’absence de combativité antifasciste au sommet de la SFIO18, le ralliement socialiste au 12 février se fait sans aucun état d’âme. Selon Lebas, « la honte infligée à Paris par les bandes fascistes doit avoir un terme que vient de marquer la CGT par son appel à la grève générale de 24 heures ». Le 10, dans un appel solennel, la direction de la SFIO, le groupe parlementaire et les deux fédérations socialistes de la région parisienne rappellent fièrement, en une du Populaire, en capitales d’imprimerie,, que la CGT a appelé à la grève, non ses seuls adhérents, mais « tout le prolétariat français »19.

Le même jour où la CGT dépose son préavis, le PCF appelle à une contre-manifestation ouvrière le 9 février. Il s’agit là, côté communiste, de manifester le front unique de lutte du prolétariat et de préparer la grève politique de masse contre « le fascisme »… dont on ne sait plus très bien s’il s’agite dans la rue ou s’il s’est hissé au pouvoir avec le gouvernement d’union nationale présidée par Gaston Doumergue. On invite vivement les « travailleurs socialistes » à rejoindre le 9 leurs « frères communistes » dans la rue, mais on veille à préciser que l’action commune ne pourra se réaliser que « sur les mots d’ordre de classe de la manifestation » appelée par le PCF. Les tentatives de débauchage se font de plus en plus pressantes, puisqu’on évoque, à quelques heures du rassemblement place de la République, une mobilisation qui a eu lieu la veille vers Bastille, et dans laquelle « d’assez nombreux prolétaires animés d’un esprit de réelle combativité […] commentent la carence de leur parti socialiste ». Sans surprise, L’Humanité précise que ces archétypes de circonstances, dont on se demande s’il ne leur manque pas juste l’existence, « se proposent de venir à la République » le lendemain, « et y invitent leurs camarades »20.

Le 9 au soir, la place de la République est bloquée aux manifestants par des cordons de gardes civils à cheval qui en interdisent l’accès. Pendant toute la soirée, des heurts vont avoir lieu entre des regroupements ouvriers et des forces de l’ordre qui multiplient les assauts, entre la gare de l’Est, République et la station de métro Strasbourg-Saint-Denis. Témoins des faits, l’écrivain prolétarien Marc Bernard, ancien syndicaliste unitaire devenu révolutionnaire indépendant suite au cours sectaire emprunté par la mouvance communiste depuis le milieu des années 1920, parle d’une « suite d’escarmouches, de corps à corps où souvent des agents durement touchés s’écroulent à côté des manifestants, de charges d’une violence inouïe à quoi les ouvriers répondent avec acharnement »21. Il ne faut pas s’y tromper : Bernard, qu’on ne peut suspecter de sympathie excessive pour le stalinisme, en documentant cette mobilisation, cherche, non à défendre la tactique des dirigeants du PCF, mais à prouver l’héroïsme et la combativité des ouvriers du rang, réunis par-dessus leurs états-majors pour en découdre avec le péril fasciste. Il faut donc le croire quand il écrit qu’une « forte troupe de socialistes » arrivée du boulevard Magenta a été « follement acclamée par les ouvriers communistes, et [que] les cris de “Unité d’action !” » se sont fait entendre à cette occasion. Restent que les autres mots d’ordre cités par Bernard dans son récit se résument à « Les soviets partout ! » et autres « Chiappe en prison ! »22, qui sont les slogans communistes du moment par excellence. Il est donc clair que, malgré ses dires, le PCF n’a pas réellement mordu, lors du « front unique de combat » du 9 février, sur la base socialiste.

Les chiffres publiés par la presse communiste, pourtant habituée à voir dans n’importe quelle lutte, aussi dérisoire fût-elle, la preuve de la « radicalisation des masses » exigée par Moscou, sont au final relativement décevants. Dans L’Humanité du 10, on ne parle « que » de 2 000 manifestants à la gare de l’Est et on se garde de toute autre estimation chiffrée. La manchette du journal est par ailleurs en forme d’aveu d’impuissance, puisqu’on y lit : « Pendant cinq heures, travailleurs communistes et socialistes réunis pour la lutte contre le fascisme disputent héroïquement la rue à la police ». S’il y a eu contestation, l’issue était au fond connue d’avance. Le PCF ne se prive toutefois pas de revendiquer fièrement les « plusieurs morts » et les « centaines de blessés graves » de la veille. Dans la complaisante narration des affrontements du 9, on évoque au passage un militant socialiste blessé. Il s’agit d’un certain Marcel Bourgeois. On connaît un Bourgeois, qui fut secrétaire du Comité antifasciste du quartier de La Chapelle en juillet 1934. Marcel Bourgeois est par ailleurs le « blase » d’un militant CGT de la fédération des Métaux, de son vrai nom Maurice Trémintin, né en 1887 à Paris, ancien délinquant qui fut l’un des animateurs de la grève des métallos du printemps 1919. Qu’il s’agisse du militant unitaire ou du casse-cou avide d’action, cet ouvrier socialiste réalisant dans l’action le front unique avec ses « frères communistes » a tout l’air d’être un homme de chair et de sang.

On sera plus réservé sur le socialiste évoqué le lendemain dans les colonnes de L’Humanité. L’organe du PCF salue en effet la mémoire de l’ajusteur communiste Vincent Perez23 et, parallèlement – « front unique » oblige ! –, celle d’un ancien membre du Parti socialiste, passé à la CGTU. Il s’agirait d’un certain Soucany, un dessinateur qui aurait été tué par balle le mardi précédent, soit le 624. Problème : un Louis Soucany, dessinateur de profession, âgé de 30 ans, est bien mort des suites de ses blessures, mais il avait été frappé à coup de matraque le soir du 7 février, et, surtout, il appartenait à l’Association nationale des membres de la Légion d’honneur décorés au péril de leur vie, fondée par un membre influent des Croix-de-feu et soutenue par le parfumeur François Coty, le mécène bien connu de la presse anticommuniste et de la fascisante Solidarité française25. Décidément, drôle d’ancien socialiste que ce Soucany ! L’Humanité peut naturellement se tromper sans volonté de nuire, mais, puisqu’on ne prête qu’aux riches, il n’est pas interdit de considérer que l’organe du PCF avait, avec cette étonnante nécrologie, les éléments d’un amalgame anti-socialiste aisément mobilisable si la nécessité s’en faisait ultérieurement sentir…

La journée du 9 février n’a donc pas été la déferlante escomptée, côté communiste. Mais comment aurait-elle pu le devenir, puisque l’initiative était avant tout conçue, en application de la tactique dite « classe contre classe », comme un moyen de faire échouer les mobilisations unitaires appelées par la CGT et par la SFIO. Les communistes avaient appelé au 9 contre les « bandes fascistes », mais aussi contre les gouvernants « assassins », c’est-à-dire contre les radicaux, et donc contre les dirigeants socialistes qui voulaient maintenir ces derniers au pouvoir. Il s’agissait encore et toujours de cliver, en jouant la base socialiste, forcément combative, contre le sommet de la SFIO, voué comme par nature à la trahison. Ce n’est qu’après coup que la vision d’un 9 février construisant la grève générale du 12, elle-même conçue comme l’origine du Front populaire, va s’imposer dans la mémoire communiste. Ainsi, si la rédaction de L’Humanité décide, dès le 8, de publier en une des appels de cinq syndicats unitaires à leurs homologue confédérés pour une action commune immédiate, on ajoute à la fin de cet encart les mots d’ordre : « Organisez la grève revendicative et politique de masse. Partout ! Unité d’action à la base ! ». Le « front unique » doit se réaliser, dans les luttes, « à la base », c’est-à-dire contre les dirigeants de la CGT. Et la date du 12 est, quant à elle, totalement passée sous silence.

La vague de fond unitaire

Il n’empêche que la grossière manœuvre du PCF, parce qu’elle donnait extérieurement l’impression de chercher à exprimer la combativité des masses, a suscité un écho réel au-delà de la mouvance communiste stricto sensu. Dans son récit déjà évoqué, Marc Bernard tient ainsi à souligner que la foule venue des faubourgs de Ménilmontant, de Belleville et de Charonne « n’a pas commis le moindre pillage […] alors qu’il y avait certainement parmi cette masse un nombre élevé de chômeurs, plongés dans une affreuse misère depuis des mois, voire des années ». Admiratif, l’écrivain ajoute : « Comment ne pas mettre l’accent sur l’admirable sens de classe de ces hommes, de ces femmes, qui n’ont songé, durant plus de cinq heures qu’a duré la lutte, qu’à remplir leur devoir de révolutionnaires ? »26 L’accent est clairement mis ici – et, rappelons-le, par un militant anti-stalinien – sur la solidarité de fait regroupant des militants faisant face à un impressionnant dispositif policier, mais aussi sur la fierté retrouvée des ouvriers parisiens qui, loin des beaux quartiers significativement prisés par la réaction, se sont réapproprié « leur » Paris : le Paris populaire. On retrouve un écho de ces sentiments dans un article du Populaire évoquant la mobilisation communiste du 9. On peut y lire qu’en y participant « le prolétariat parisien a montré son existence à ceux qui l’avaient trop oublié », tandis que le journal socialiste loue le « caractère combattif (sic) des manifestants antifascistes »27 de cette soirée.

Dès le 9 février, il est clair qu’un vaste courant unitaire vient de se lever dans toute la France pour l’unité d’action contre le fascisme et la réaction. Les dirigeants les plus avisés l’ont d’ailleurs ressenti très tôt, notamment en constatant le développement du Comité de lutte contre la guerre impérialiste, dit Comité Amsterdam-Pleyel, fondé sous l’impulsion du propagandiste communiste Willy Münzenberg, par Henri Barbusse et Romain Rolland dès le printemps 1932 et qui rassemble des militants communistes, largement majoritaires, des socialistes et des personnalités de gauche28. Dès le soir du 6 février, Jacques Doriot, le député-maire de Saint-Denis, et le communiste lot-et-garonnais Renaud-Jean exhortent Maurice Thorez à appeler à une riposte unitaire contre les ligues d’extrême droite. Quelques heures plus tard, Doriot, déjà en rupture de ban avec le PCF, donne son accord à ses homologues socialistes pour sa participation à la manifestation du 8 finalement décommandée par la SIFO29. Côté socialiste, c’est certainement Léon Blum qui entrevoit le plus clairement la dynamique unitaire. Face à Paul Faure qui s’oppose sourdement à la perspective de l’unité d’action en misant sur les « réactions républicaines », venues notamment de province, au nom des « libertés publiques » menacées et de la « défense de la République »30, Blum maintient le cap dans la perspective du 12 février. Il aurait même lancé sèchement au Secrétaire de la SFIO : « Mon petit Paul, si le secrétariat ne convoque pas aux manifestations, Le Populaire [dont il est le directeur politique], lui, convoquera »31.

Relayées par la presse ouvrière parisienne, les nouvelles de province affluent et témoignent de la pression unitaire qu’exerce la base sur les états-majors. Ainsi, dès le 9 février, L’Humanité évoque l’unité d’action réalisée la veille à Cormeilles-en-Parisis, à Troyes, à Tours, à Grenoble, à Lorient, à Toulouse et à Bordeaux, même s’il est fait mention de la résistance des « chefs confédérés et socialistes » à Nantes et à Saint-Nazaire. À Montluçon, à en croire l’organe du PCF, la dynamique unitaire aurait été largement insufflée par les communistes, ce qui est d’ailleurs confirmé par l’ordre du jour extrêmement orthodoxe voté lors de la grève du 12 février32. On retrouve probablement un cas similaire à Nevers. On note également qu’à Lyon, les affrontements avec les fascistes auraient fait 24 blessés33. Le lendemain, outre la mobilisation parisienne, on évoque les mobilisations unitaires qui ont eu lieu à Valence et à Sotteville-lès-Rouen, ainsi que le rapprochement avec les confédérés qui s’est réalisé après un meeting commun PCF-CGTU à Bourges. On signale par ailleurs, pour prouver que le front unique est naturellement un combat contre les « réformistes », des interventions radicales réalisées par des militants communistes dans des réunions SFIO-CGT à Cherbourg, Brest (meeting de 2 500 personnes) et Lorient, ainsi qu’à Albi34.

Côté SFIO, les nouvelles de province permettent également d’apporter de l’eau au moulin unitaire. Le 10, Le Populaire confirme l’importance des mobilisations unitaires à Troyes (meeting et « manifestation monstre » à l’appel de la SFIO, de la CGT, du PCF, de la CGTU et de la LDH), à Nantes (meeting à la Bourse du travail et manifestation, malgré l’interdiction du maire « radicalo-réactionnaire ») et même à Montluçon (manifestation CGT-CGTU). Mais l’organe de la SFIO insiste avant tout sur le cas du Nord, qui reste la principale fédération du parti, et où ce dernier est en position de force face aux communistes. La prééminence socialiste semble également de mise à Carmaux, l’ancien fief électoral de Jaurès, où un meeting est explicitement organisé par les seuls syndicats confédérés, tout comme à Rennes (manifestation CGT-SFIO) et à Marseille. Suivent des exemples d’unité d’action réalisée manifestement de façon davantage pluraliste à Maubeuge (meeting unitaire le 11), à Amiens (meeting des « groupements de gauche et d’extrême gauche »), à Soissons (meeting et manifestation unitaires appelées par la SFIO, la CGT, la CGTU et la Libre pensée), à Romilly-sur-Seine dans l’Aube (meeting commun de la SFIO, de la CGT, du PCF, de la CGTU et de la LDH)35.

Si la province paraît en pointe, certainement en raison du poids moindre des appareils politiques nationaux, dont les sièges et les directions sont situés dans la capitale, cette dernière n’est pas en reste. On sait en effet qu’un meeting commun de la section de la SFIO et du groupe de la Ligue communiste du XVe arrondissement s’est tenu le 9 février au soir. Selon l’article du Populaire qui en rend compte, la salle était « comble et enthousiaste » à l’issue des discours de Pierre Franck et de Girard36 pour la formation trotskiste, de Marceau Pivert pour la SFIO et de Yvan Craipeau, au nom des Jeunesses léninistes. La réunion débouche sur « l’élection d’un Comité d’alliance ouvrière ». Dans l’ordre du jour voté à l’unanimité, il est exigé « que les organisations ouvrières se concertent et constituent une vaste Alliance ouvrière pour organiser la résistance au fascisme  et que chaque formation, tout en « conservant ses propres points de vue », collabore « à l’action commune » et fasse « le maximum pour rendre la grève générale effective »37.

Il est rapidement clair, côté communiste, que le parti ne pouvait pas longtemps s’opposer à la poussée unitaire en général et à la pression l’exhortant à participer au 12 février en particulier. Comme le note Jacques Kergoat dans son ouvrage sur le Front populaire, le PCF « appelle à la grève dès le 10, et à partir du 11, à la manifestation. La CGTU fait de même ». L’historien signale qu’outre les villes mentionnées ci-dessus, la lame de fond unitaire a également touché Mulhouse (manifestation unitaire le 8), Montpellier (communiqué commun CGT et fédération de l’Enseignement de la CGTU) ou encore Le Havre où 150 syndicalistes CGT, CGTU et autonomes se réunissent pour préparer le 12 et appeler à l’unité syndicale. Cette pression unitaire, extrêmement forte à la base de la CGTU, s’exprime immanquablement dans les instances du PCF où les dirigeants issus du syndicalisme ne la voient pas forcément d’’un mauvais œil et où existe un courant informel favorable à un rapprochement avec la SFIO, autour d’André Ferrat, de Renaud Jean et probablement de Benoît Frachon. Comme le note Jacques Kergoat, « dans la plupart des grandes villes de province, l’appel unitaire à la grève et aux manifestations du 12 précède l’appel que publie le 11 L’Humanité »38. Déjà la veille, trente intellectuels, dont certains proches du PCF (Breton, Eluard, Malraux…) avaient publié une tribune appelant à l’unité d’action. Le parti était dos au mur, mais il comptait bien jouer sa propre partition.

Unité ! Unité !

Nous disposons de nombreux récits de la manifestation parisienne du 12, via les articles de presse rédigés sur le coup, les témoignages contemporains et, plus tard, les Mémoires laissées par certains protagonistes. Selon Gilles Vergnon, « parce qu’elle apparaît comme la réplique directe à l’émeute du 6 février, la manifestation parisienne du 12 […], acquiert immédiatement une importance particulière ». Cela tient largement au fait que cette mobilisation aurait été le cadre de la « rencontre », place de la Nation, entre les cortèges socialiste (SFIO-CGT) et communiste (PCF-CGTU), lançant ainsi la dynamique qui devait accoucher, quelques mois plus tard, du Front populaire. L’historien signale toutefois que « cette rencontre, sous la forme mythifiée que lui a donnée la légende, est largement une construction mémorielle. Les sources policières sont muettes sur l’événement supposé, comme l’ensemble de la presse quotidienne d’informations »39. Ainsi, si Le Temps, qualifie la journée de « purement révolutionnaire » – tout en devant reconnaître que la manifestation s’est déroulée « en bon ordre » dans la capitale –, aucune mention n’est faite, dans le récit que le titre pro-patronal consacre à l’imposante manifestation sur le cours de Vincennes, de la fameuse fusion des deux cortèges40. Côté Humanité, on préfère voir dans cette mobilisation groupant 150 000 manifestants la preuve du ralliement toujours croissant de la classe ouvrière, et notamment des travailleurs socialistes, aux mots d’ordre communistes. La reprise des slogans du parti par des éléments socialistes est ainsi évoquée à deux reprises, dans l’organe du PCF, le lendemain de la manifestation41.

C’est donc le seul Populaire qui relate la « rencontre » historique immédiatement après les faits. Selon le quotidien socialiste, le sens de la journée du 12, c’est que, « pour la première fois depuis des années, les deux fractions rivales de la classe ouvrière ont cessé leurs luttes fratricides ». Le cortège socialiste aurait pris la tête de la manifestation, le cortège communiste lui faisant suite, tout en remontant parallèlement le cours de Vincennes, vers Nation. « Les deux cortèges contournèrent la place, l’un par la gauche, l’autre par la droite et, une fois arrivés face à face, se fondirent l’un dans l’autre aux cris mille fois répétés de : “Unité ! À bas le fascisme ! ” ». Dans son éditorial, Blum ajoute que « les communistes ont pris place en rangs serrés dans le cortège du cours de Vincennes, et [le]s militants [de la SFIO] les ont accueillis aux cris de “Unité ! Unité !” »42. Le témoignage de Marc Bernard, lui aussi présent sur place et qui rédige sa brochure quelques semaines après la manifestation, corrobore globalement cette version des faits. Il écrit : « Arrivés à la place de la Nation, les socialistes tournent à gauche, les communistes à droite. […] Puis, les deux cortèges se rejoignent, se fondent, aux cris de “Unité d’action ! ”, des milliers de fois répétés ; les drapeaux surmontés de la faucille et du marteau se mêlent aux drapeaux rouges des sections socialistes »43.

Il y a eu en réalité plusieurs points de jonction dans l’après-midi. Un premier a lieu, selon plusieurs reportages, cours de Vincennes, quand les manifestants communistes, remontant de la place de la Nation pour rejoindre leur point de rassemblement à la hauteur de la rue des Pyrénées, rencontrent le cortège socialiste en formation au niveau de la rue Marsoulan44. La « rencontre » de la Nation constituerait donc le second point de jonction lors duquel les cortèges, mélangeant déjà des militants de toutes tendances – y compris les nombreux « curieux » signalés par la presse – contournent la place avant de fusionner, pour entendre les harangues de Blum et de Paul Faure, puis de Duclos et de Vaillant-Couturier. Mais les différents comptes rendus parus aux lendemains du 12 ne mettent absolument pas en avant cette convergence de fait, qui ne sera élevée au rang d’événement fondateur qu’après coup. Cette relecture ne commencera à se faire jour, à une échelle de masse, qu’en 1935, puis définitivement en 1936, quand les grands défilés unitaires organisés par les principales forces de ce que l’on appelait alors le Rassemblement populaire auront pour point d’orgue le cadre hautement symbolique de la place de la Nation, au centre de laquelle trônait le groupe sculpté par Dalou en 1899, célébrant le « Triomphe de la République ».

La vulgate de la « rencontre » de la Nation annonçant les grandes heures du Front populaire, pour mobilisatrice et unitaire qu’elle soit, occulte la rivalité politique foncière qu’expriment en réalité les dispositifs militants différents prévus par deux mouvances en présence pour cette manifestation. Comme le signale Serge Bernstein, en ce 12 février, pour les communistes, « il s’agit de débaucher les troupes socialistes en leur montrant que les communistes manifestent un dynamisme supérieur à celui de leurs propres dirigeants, et, pour ce faire, les communistes ont prévu que, le long du cortège, leurs orateurs harangueraient la foule et effriteraient ainsi le cortège socialiste. Or, le 12 février, c’est le contraire qui se produit : les militants communistes se joignent au cortège socialiste, abandonnant estrades et orateurs communistes et c’est au cri de “Unité ! Unité !” que les militants des deux partis défilent de concert »45. On retrouve une trace de cette volonté communiste de débordement des états-majors de la CGT et de la SFIO dans certains récits tels que celui paru dans Le Journal. On peut y lire qu’au moment où « la tête de la colonne communiste […] arrivait à toucher celle de la colonne socialiste, […] de petits détachements cherchaient à la tourner et à l’entraîner vers le boulevard Voltaire, aux cris de “à la République, à la République” » Mais les socialistes firent finalement demi-tour et redescendirent calmement vers la porte de Vincennes, « sans souci des tentatives […] de quelques communistes mêlés à eux »46.

La tête du cortège socialiste, lors de la manifestation du 12 février 1934, au niveau du carrefour entre le cours de Vincennes et le boulevard de Charonne
La tête du cortège socialiste, lors de la manifestation du 12 février 1934, au niveau du carrefour entre le cours de Vincennes et le boulevard de Charonne

La manifestation parisienne du 12 février a donc bien été une manifestation unitaire, mais elle l’a été malgré, et même en partie, contre les appareils, à commencer par celui du PCF. C’est cette leçon que tire Léon Blum de la journée, des années plus tard, quand il écrit, au soir de sa vie : « L’étonnante journée s’achevait […] par la plus inattendue des victoires. Le peuple de Paris n’avait pas seulement montré sa force. Il avait dicté leur devoir aux formations politiques et syndicales qui se réclamaient de lui »47. Deux autres faits décisifs sont à mettre à l’actif de cette journée décidément pas comme les autres. Le premier, c’est que si le Paris populaire a crié son aspiration à l’unité politique et syndicale, l’unité d’action était d’ores et déjà devenue réalité dans les grandes villes de province. C’est en tout cas la principale conclusion de l’étude qu’Antoine Prost a consacrée, dès 1966,, aux manifestations provinciales du 12 février48. La seconde ligne de force, c’est la réussite de la grève appelée par la CGT, et à laquelle s’est finalement ralliée la CGTU. Si elle n’a eu de « générale » que le nom, puisque de nombreux secteurs et administrations ont pu fonctionner presque normalement – notamment dans l’enseignement –, la participation a été au rendez-vous et plusieurs blocages significatifs ont eu lieu, notamment dans les transports en commun, en région parisienne comme en province49. La grève unitaire, quoique partielle et pacifique – comme ont dû le reconnaître la totalité des titres bourgeois – ouvrait les possibles et actait pour le moins le réveil d’une classe ouvrière qui ne voulait pas subir le sort de ses frères et sœurs allemands ou encore autrichiens50. Les représentants les plus conscients de la bourgeoisie en prirent immédiatement conscience, puisque, le lendemain de la mobilisation populaire, Le Temps déclarait avec solennité que « ce qui a été gravement atteint [le 12], c’est le principe même de l’ordre, c’est la légalité et, par suite, puisque la force d’un régime se mesure au respect des lois, c’est le régime lui-même »51.

Cet article de notre camarade Jean-François Claudon est la version longue de son article publié dans le numéro 312 de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).

1.Le Populaire, 7 février 1934, p. 1.

2.Discours de Léon Blum à la Chambre, 6 février 1934.

3.« Les bandes fascistes ont organisé des émeutes autour du Palais Bourbon » » et « Paris et Province », Le Peuple, 7 février 1934, p. 1.

4.L’Humanité, 7 février 1934, p. 1.

5.André Marty, « Le Parti socialiste tente de désarmer les ouvriers », ibid., 9 février 1934, p. 1-2.

6.Ibid., 7 février 1934, p. 1. Sur le même page, l’éphémère cabinet Daladier est qualifié de « gouvernement d’assassins».

7.Ce dirigeant de la gauche socialiste, par ailleurs militant à la fédération des PTT de la CGT, moins connu que Zyromski et que Pivert, « s’en séparait parfois, était plus résolument méfiant à l’égard du PC que le premier et foncièrement hostile au second quand il organisait la Gauche révolutionnaire» (https://maitron.fr/spip.php?article112665, notice de Justinien Raymond).

8.Récit et citation dans Jacques Kergoat, La France du Front populaire, 2006 (1èreéd. 1986), p. 38.

9.« Aux travailleurs de Paris », Le Populaire, 7 février 1934, p. 1

10.« La proposition socialiste d’action commune et la réponse communiste », ibid., p. 1, puis p. 3.

11.« Une questions, une réponse », L’Humanité, 7 février 1934, p. 1.

12.Appel du secrétariat du PCF, ibid., 8 février, p. 1.

13.Les animateurs les plus connus du courant « néo » sont Marcel Déat et Adrien Marquet, qui a avancé, lors du congrès de la SFIO de juillet 1933 à Paris, le triptyque « Ordre, Autorité, Nation » – ce qui suscita cette réaction célèbre de Blum : « Je suis épouvanté». À noter que Marquet, en remerciement du ralliement des « néos » à l’union nationale, fut nommé ministre dans le cabinet de Gaston Doumergue.

14.Cf. Paul Faure, « Action disciplinée », Le Populaire, 9 février 1934, p. 1, ainsi que la réponse communiste, « Une prétendu faux ! », L’Humanité, 11 février, p. 2.

15.Art. cité supra (note n° 5), ibid., 9 février 1934, p. 2, et Lucien Midol , « Front unique à l’entreprise pour organiser la grève », ibid., 10 février, p. 1.

16.« Le front unique se réalise », ibid., 11 février 1934, p. 1.

17.Jean Lebas, « Pour la grève générale », et art. cité supra (note n° 14), Le Populaire, 9 février 1934, p. 1.

18.Voir André Marty, art. cité supra (note n° 5), L’Humanité, 9 février 1934, p. 2.

19.Jean Lebas, art. cité supra (note n° 15), Le Populaire, 9 février 1934, p. 1, et ibid., 10 février, p. 1.

20.Appel du secrétariat du PCF, L’Humanité, 8 février 1934, p. 1, puis « Dans toutes les grandes villes, front unique contre le fascisme », ibid., 9 février, p. 2.

21.Marc Bernard, Faire front. Les journées ouvrières des 9 et 12 février 1934, 2018 (1èreéd. 1934), p. 120.

22.Ibid., p. 1200 et p. 122.

23.Vincent Perez fait bel bien partie des quatre victimes des manifestations du 9 février, toutes liées au PCF.

24.Voir L’Humanité, 11 février 1934, p. 1.

25.Information tirée de l’entrée « Crise du 6 février 1934 » de Wikipédia.

26.Marc Bernard, op. cit., 2018, p. 122-123.

27.« La manifestation communiste de la veille », Le Populaire, 10 février 1934, p. 3.

28.Ce n’est certainement pas un hasard si le Comité national de lutte contre la guerre et le fascisme appelle toutes les organisations ouvrières et démocratiques à réaliser « une seule manifestation de front unique le 12 févier, à 15 heures, cours de Vincennes». Voir L’Humanité, 11 février 1934, p. 2.

29.Jacques Kergoat, op. cit., 2006, p. 40.

30.Voir Paul Faure, « Le souffle de la province », Le Populaire, 10 février p. 1, où sont mentionnées à deux reprises les seules « libertés publiques», sans référence explicite aux très blumistes « libertés ouvrières ». Dans l’appel au 12 signé de la CAP, du groupe parlementaire et des deux fédérations de la région parisienne, il est uniquement question de la « défense de la République». Un coup de Paul Faure ?

31.Cité dans Jacques Kergoat, op. cit., 2006, p. 41, note n°  8, et dans Michel Bilis, Socialistes et pacifistes : l’intenable dilemme des socialistes français. 1933-1939, coll. Histoire et théorie, 1979. Suit cette formule ultérieure de Paul Faure : « C’est le 12 février qui a fait reculer le fascisme. Et je n’hésite pas à reconnaître qu’au début, je n’y avais pas cru».

32.Voir Gilles Vergnon, L’antifascisme en France. De Mussolini à Le Pen, coll. Histoire, 2009, chap. 2 (« “Le fascisme ne passera pas.” Février 1934, naissance de l’antifascisme »).

33.« Dans toutes les grandes villes, front unique contre le fascisme », L’Humanité, 9 février 1934, p. 2.

34.Ibid., 10 février 1934, p. 2.

35.« La province réagit vigoureusement contre les fascistes parisiens », Le Populaire, 10 février 1934, p. 2.

36.Il s’agit du jeune dirigeant trotskiste Gérard Rosenthal, par ailleurs avocat de Trotski, si l’on en croit le Maitron en ligne. Cf https://maitron.fr/spip.php?article129628 (notice de Jean-Michel Brabant).

37.« Pour l’unité d’action ouvrière », Le Populaire, 10 février 1934, p. 3, ainsi que la brochure de Pierre Frank intitulée La semaine du 6 au 12 février.

38.Pour ces citations et ce développement, voir Jacques Kergoat, op. cit., 2006, p. 42.

39.Pour ces deux citations, voir Gilles Vergnon, op. cit., 2009.

40.Voir « L’avertissement » et « La manifestation du cours de Vincennes », Le Temps, 13 février 1934, p. 1 et p. 4.

41.Voir L’Humanité, 13 février 1934, p. 1 (dans l’édito signé André Marty) et p. 2 (récit de la journée).

42.Voir « Nous étions 150 000 » et Léon Blum, « 12 février 1934 » Le Populaire, 13 février 1934, p. 2.

43.Marc Bernard, op. cit., 2018, p. 147-148.

44.Outre dans les comptes rendus de plusieurs titres de la presse d’information parisienne, on trouve une trace de cette jonction dans ibid., p. 140-144.

45.Serge Bernstein, La France des années 1930, coll. Cursus, 2001, p. 104-105.

46.« Socialistes et communistes manifestent place de la Nation », Le Journal, 13 février 1934, p. 4.

47.Léon Blum, « Il y a seize ans », Le Populaire-dimanche, 12 février 1950, repris dans L’Œuvre de Léon Blum, Albin Michel, t. 4, 1963.

48.49.Antoine Prost, « Les manifestations du 12 février 1934 en province », Le Mouvement social 54 (1966), p. 6-27.

49.Jacques Kergoat, op. cit., 2006, p. 42-43.

50.Sur ce point, voir Le Populaire du 13 février 1934, qui publie en une le dessin d’un camp de concentration allemand avec un prisonnier social-démocrate et un autre communiste, avec cette légende : « Notre triste expérience n’aura pas été inutile, les camarades français ont compris !».

51.« L’avertissement », art. cité supra (note n° 40).

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