GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur Au Parti socialiste

Intervention de Gérard Filoche au Bureau national du PS le mardi 30 septembre 2014

Je comprends qu’on tienne des propos s’efforçant d’atténuer notre nouvelle défaite aux élections sénatoriales. Mais il n’en ressort pas moins que c’est la troisième de l’année après le désastre des municipales le 30 mars, et le fait inouï que nous ayons été derrière le Pen aux européennes le 25 mai.

Dire qu’il s’agit d’un mécanisme électoral prévisible ne correspond pas à la réalité, puisque le mode de scrutin a été changé et qu’il était devenu plus favorable pour nous : qu’est-ce que cela aurait été sans cela ?

Il faut noter que la partie du Sénat soumise à renouvellement n’était pas la plus favorable ; lorsque ce sera l’autre, celle où nous avions le plus progressé en 2011, la défaite sera d’autant plus forte.

Dire qu’il n’y a pas eu de dynamique à gauche est vrai : nous entrainons nos partenaires dans nos défaites. Mais il y a eu des dynamiques malheureusement, et ce, au sein de la droite : le FN qui avait 3000 grands électeurs en a obtenu 9000, ce qui signifie qu’UMP, UDI… ont aussi perdu.

Dire publiquement que ce n’est pas si grave, risque de nous endormir et de nous empêcher de comprendre l’ampleur de notre échec.

Dire que le Sénat de gauche ne votait quand même pas nos lois, à cause d’une partie de sa gauche qui s’y refusait, ne diminue pas non plus l’importance du problème.

Nous avions eu du mal à gagner le Sénat pour la première fois dans l’histoire.

Nous dirigions tout, 2 villes sur 3, 61 départements sur 100, 20 régions sur 22, l’Assemblée, et pour la première fois de l’histoire le Sénat, nous avions gagné la Présidence de la République, et nous sommes en train de tout perdre. Inexorablement.

Ce n’est pas parce que le peuple de gauche « reflue » vers la droite, pas du tout : nos électeurs ne « refluent » pas, ils ne vont pas « ailleurs », ni à gauche ni à droite, ça se voit car la droite recule aussi, mais nos électeurs ne votent plus pour nous… parce que l’exécutif qu’on nous a imposé ne fait pas la politique de gauche pour lequel nous avons été élus.

Nos électeurs restent à gauche, c’est notre politique qui n’y reste pas. Nos électeurs socialistes sont fidèles au socialisme, au parti socialiste, ils ne votent pas pour d’autres partis, mais ils nous signifient leur mécontentement en s’abstenant. Et leur abstention, de ce fait, a un sens clair sur ce qu’ils attendaient et attendent encore de nous.

Puisque tu nous encourages à ne pas parler seulement du scrutin sénatorial, Jean-Christophe, je vais déborder ce sujet :

1°) La dette attribuée à notre pays vient de franchir 2000 milliards. Soit 95 % de notre produit intérieur brut. Elle a progressé de 9 % depuis 28 mois. C’est d’autant plus un problème que l’objectif affiché de l’exécutif est de réduire cette dette. Ainsi tous les sacrifices imposés pour la réduire, échouent ! Le Président de la République clame dans sa conférence de presse « les déficits, pas ça, pas avec moi… » Mais la réduction des déficits aboutit à ce que la dette augmente. « Avec moi, la dette… » devrait dire le Président. Car la réduction des déficits qui est pratiquée ruine l’économie qui fait récession avec risque de déflation, et donc ne fournit plus les recettes nécessaires à équilibrer le budget. Résultat : la dette augmente. Chaque fois qu’on bloque des salaires, qu’on supprime des postes, des emplois, qu’on réduit des dépenses, la machine recule. Tout le monde le sait. Tout le monde le voit. Ce que je dis là n’est pas minoritaire, loin de là : partout en Europe, c’est la même discussion pour arrêter la politique catastrophique d’austérité. De grands économistes l’expliquent : réduire les liquidités monétaires ne sert qu’à faire reculer l’activité et accroitre la dette. Et tout ça pour emprunter, certes à bas taux, des fonds pour rembourser les intérêts d’une « dette » qui ne sera jamais elle-même remboursée ! Quel genre de monde financier totalitaire alimentons-nous par cette orientation politique infernale ? Et la droite nous pousse en réclamant encore plus de saignées, encore plus d’austérité, encore moins de dépenses publiques, encore plus de récession ! Tout cela est absurde.

2°) Or voilà que j’entends, je n’ai pas osé le croire au début, qu’on va faire reculer encore la politique familiale, que les allocations de prime de naissance, pour le deuxième enfant seraient divisées par trois, le congé parental par deux… je n’en reviens pas ! Dans notre pays en plein boom démographique depuis l’an 2000, 850 000 naissances par an, que cherche-t-on ? Quand on sait ce que signifie l’arrivée d’un 2° bébé pour un couple jeune… « On » (pas nous, pas le parti socialiste… l’exécutif) annonce cela pour « faire des économies » ? C’est aberrant.

Car je rappelle encore qu’il y a trois budgets en France et pas un seul ! Trois ! Le budget de la protection sociale, le budget des collectivités territoriales, le budget de l’État. Il ne faut pas tout mélanger. Constitutionnellement et de façon comptable, ils sont séparés.

Faire des économies sur le budget social, cotisations sociales, qu’est-ce que ça veut dire ? Ce budget qui est le plus important du pays, basé sur une partie de nos salaires mutualisés, ne génère que 10 % de la dette présumée du pays : 10 % ! 10 % des 2000 milliards. 10 %, ce n’est rien. 10 %, c’est peu comme dette. Ce n’est pas ce budget qu’il est urgent d’équilibrer.

Le 2e budget, celui des collectivités territoriales, ne génère que 11, 5 % de la dette présumée. 11,5 % seulement. Pourquoi s’en prendre à lui ?

C’est le budget de l’État qui génère 78,5 % de la dette totale qui nous est attribuée. 78,5% ! Et pas parce que les dépenses augmentent. Au contraire. Elles se tassent et se réduisent depuis plus de 10 ans. C’est parce que les recettes ne rentrent plus ! Le problème est un problème de recettes, pas un problème « d’économies ». On ne dépense pas assez ! Les banques n’investissent pas, elles entassent, spéculent et vivent sur leurs tas d’or. Les patrons ne produisent qu’à 70 % de ce que nos capacités productives peuvent produire. Les aides aux entreprises sont captées par les grands groupes, qui ont plus intérêt à licencier qu’à embaucher. Le chômage de masse paralyse l’activité du pays. Misère et inégalités sapent le moral des salariés qui nous délaissent donc et s’abstiennent massivement alors que, sans eux, nous n’aurions pas gagné tous les pouvoirs.

En attaquant au budget social, nous allons dans le mur, dans le mur, dans le mur.

Il faut faire la grande réforme fiscale qui amènera des recettes sur les dividendes, sur le CAC 40, sur les 1000 entreprises de plus de mille, sur les 500 familles, sur le 1 % qui possède 25 %, sur les 10 % qui possèdent 60 % du patrimoine. Ce n’est pas ceux d’en bas, ce n’est pas les 90 % qui doivent subir de lourds impôts directe et progressifs, mais ceux d’en haut, massivement exceptionnellement, urgemment, car tout ce qui nous manque de recettes est là.

Pas touche aux primes de naissance !

3°) J’étais absent la semaine passée quand Gattaz a osé réclamer qu’on revienne au 19e siècle, en supprimant toute durée légale du travail, le Smic et des jours fériés. Pour ce patronat obscurantiste auquel on donne en vain 41 milliards, il n’y en a jamais assez ! Pour eux il faut fouetter, accabler, faire souffrir davantage le salariat, lui arracher ses maigres droits restants ; pour eux « compétitivité égale schlague ». Le knout fait avancer, le dos courbé, le travail du dimanche, de nuit, sans mesure, sans repos, sans sécu, sans retraite. Le pire est qu’ils disent cela au nom de la compétitivité, ce qui est totalement mensonger, faux, stupide : car pour être « compétitifs », ce qu’il faut, ce n’est pas des salariés flexibles, fouettés, affamés, mais au contraire des salariés bien formés, bien traités, bien payés ! Ce n’est pas la compétitivité qui les motive, ils s’en foutent en fait, la seule chose qui les intéresse, c’est leurs marges, leurs marges. Pas pour l’emploi, mais pour les placer dans les iles Caïman : à peine leur donne-t-on le CICE, on l’a vérifié au 2e trimestre, qu’ils investissent moins et haussent leurs dividendes.

On m’a dit que Bayrou avait osé faire une attaque à la télévision, à DPDA, en jetant avec mépris sur la table devant des millions de téléspectateurs, le Code du travail jugé par lui, « trop gros » à côté du Code du travail suisse (!). Nul ne pense pourtant que le Code du travail suisse soit un exemple. Avec les idées fausses et non renseignées de notre Premier ministre qui veut « simplifier » un Code du travail qui a déjà été passé à l’acide des exigences du Medef, ou celles du ministre le Guen qui juge ce Code « répulsif », nous ouvrons ainsi la porte à des choses infâmes. Car Bayrou ment, triche, il n’a jamais travaillé pour avoir besoin du Code et se protéger de la violence, de la souffrance, de l’exploitation, des accidents, de la mort, du stress, du management brutal, de l’arbitraire, et surtout de la fraude au travail. Le Code ne fait pas 3990 pages, il en fait 675 !

Si voulez « simplifier » attaquez donc le Code du commerce, le Code civil (aux USA il fait 36 000 pages…) le Code de la Sécu, le Code pénal, mais pas le Code du travail qui est le plus petit des codes de tous.

675 pages de lois, pour 18 millions de salariés et 700 branches professionnelles, ce n’est pas trop ! C’est l’édition Dalloz qui rajoute 3300 pages d’arrêtés, décrets, jurisprudence, commentaires, sommaires, glossaires sur 3990. Comme s’ils publiaient Françoise Sagan amendée par Marcel Proust.

C’est de l’escroquerie intellectuelle que de s’attaquer à la « grosseur » du Code du travail : car en fait dix lois seulement servent aux prud’hommes. Et ce qu’il y a de compliqué dans le Code, c’est ce que les patrons y ont introduit ! Ce qui pose problème, ce n’est pas les 40 h ou les 35 h, ou le repos du dimanche, ou les congés payés : cela tient chaque fois en deux lignes. Ce qui rallonge, ce sont les dérogations, limitations, exceptions, rajoutées à foison par les patrons sur le calcul du temps de travail effectif, sur les temps de pause, sur les pauses-toilettes, sur le temps de casse-croûte et d’habillage, sur les astreintes, sur les équivalences…

Il n’y a qu’à regarder les « contrats » et pas les lois. Les lois, du travail, sont simples et tiennent en 675 pages ; mais les « contrats », c’est à dire les 385 conventions collectives nationales, celles rédigées négociées, publiées, par les patrons avec les syndicats, il faut cinq armoires de deux mètres sur trois, pour les contenir !

Assez d’attaques contre le code du travail sous la gauche, il ne faut pas l’épurer davantage : je rappelle que cela a été fait sous la droite pendant dix ans, ils ont même ré-écrit le Code entièrement, de décembre 2004 à mai 2008. Puisque Larcher vient de se faire ré-élire, je vais rappeler une de ses phrases fétiches prononcées le 15 mars 2004, « Il y en a assez des ces ayatollah de la Cour de cassation qui donnent des interprétations salafistes du Code du travail ». Ils ont réduit sous prétexte de recodification, de simplification, le Code de 500 lois et de 10 % : ce que cet ignare de Bayrou ne sait même pas ! Parce qu’en même temps, ils ont divisé les 1150 lois qu’il y avait en 3850 lois, ils les ont renumérotées en triplant leur nombre et en en supprimant 500. Et ces incultes se plaignent maintenant de 3850 lois ! Allons, tout est bon pour faire reculer l’État de droit dans les entreprises. Tout est bon pour aiguiser la surexploitation.

En France on a 9,3 jours fériés en moyenne, on en a moins qu’ailleurs, ça ils ne le savent même pas. Et s’attaquer à la durée légale de 35 h c’est de facto supprimer le smic mensualisé sur cette base de 151 h 66… Mais doit-on énumérer encore d’autres absurdités ou provocations de Gattaz et de sa bande ?

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