GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

À Gauche

Retrouver les voies du rassemblement (H.Dravi)

Hendrick Davi est député France insoumise - NUPES de Marseille, mais aussi animateur de la Gauche écosocialiste (GES), qui milite au sein de la formation fondée par Jean-Luc Mélenchon. À l’occasion de la sortie de son livre Le capital, c’est nous*, il a bien voulu répondre à nos questions.

D&S : Pourquoi un tel livre aujourd’hui ?

Nous vivons une période critique de l’histoire. Critique, car nous devons faire face à des enjeux écologiques sans précédent : changement climatique, sixième extinction des espèces, pollution globale et pénurie de ressources naturelles. Critique, car l’accumulation inique des richesses dans les mains d’une infime minorité et la paupérisation du grand nombre, menace la stabilité des démocraties libérales. Critique, car les logiques impérialistes s’accentuent avec leurs lots de conflits armées. Critique, car la réponse populiste d’extrême droite progresse partout dans le monde, hier au Brésil, aux États-Unis et en Pologne, aujourd’hui en Argentine, Suède, Finlande, Italie, Slovaquie, ou encore au Pays-Bas. La fascisation de nos sociétés menace nos libertés fondamentales et tous nos droits sociaux, acquis de haute lutte. Les femmes, les gays, les racisés et les syndicalistes sont toujours les premiers à payer l’arrivée de néofascistes au pouvoir.

Dans cette situation, je ne crois qu’aux réponses collectives et l’organisation du grand nombre. Ce livre part d’un constat : il nous manquait, à gauche, un manifeste réactualisé pour envisager le dépassement du capitalisme, mais aussi du patriarcat et du productivisme et qui propose quelques pistes pour mieux s’organiser collectivement.

Ce livre est donc une tentative de synthèse pour proposer aux militants de gauche et de l’écologie une boussole pour cheminer vers un horizon écosocialiste.

D&S : Quels sont, selon toi, les principaux apports de ton livre ?

Je ne crois pas aux théories politiques figées ; en revanche, je pense que tous les sujets sont connectés et qu’il est donc utile de proposer des synthèses politiques. La principale originalité de mon livre est donc de proposer une vue d’ensemble à la fois des impasses actuelles de notre mode de développement (partie 1), des principes sur lesquels nous pouvons imaginer construire une société écosocialiste (partie 2), des stratégies pour vaincre durablement le bloc bourgeois dans un processus de révolution permanente (partie 3) et enfin des tâches concrètes au niveau syndical et politique dans la France actuelle (partie 4).

L’autre originalité de cette synthèse est qu’elle procède d’un triple regard. Je suis d’abord un écologue ayant mené pendant plus de vingt ans des recherches sur l’effet des changements climatiques sur nos forêts. Je connais donc bien les bases scientifiques qui permettent de décrire la crise écologique. Mon premier chapitre est une synthèse assez documentée des différentes dimensions de cette crise. Par ailleurs, je mobilise à de nombreuses reprises mon savoir de biologiste dans le livre, sur des réflexions aussi différentes que la question de l’allocation des marchandises ou l’évolution des sociétés humaines.

Ensuite, je suis un syndicaliste, observateur pour la CGT au conseil scientifique de l’INRAE, puis élu au sein de son conseil technique, avant d’avoir été porte-parole de la CGT-INRAE élu à la l’UFSE CGT. Par cet engagement, je connais bien la force de l’organisation syndicale, la nécessité de l’unité et de la radicalité pour faire avancer les revendications. Pour moi, il n’y aura pas de transformations sociales sans renforcement du pouvoir des travailleurs au sein des entreprises. « Syndiquez-vous » est mon slogan préféré.

Enfin, je suis militant politique depuis très longtemps. J’ai d’abord milité au sein d’un groupe trotskyste – Socialisme par en bas (SPEB) – contre la guerre en Afghanistan et en Irak, avant que nous rejoignions collectivement la LCR en 2002, dont j’ai été membre de la direction nationale à partir de 2005. J’ai participé à la fondation du NPA, que j’ai quitté en 2012 pour rejoindre le Front de gauche. De ces engagements, j’ai conservé une conviction aigüe de la nécessité de dépasser la logique mortifère du capital, mais aussi une critique à la fois de la stratégie révolutionnaire centrée sur la seule grève générale insurrectionnelle, et des dérives sectaires dont la gauche a le secret.

D&S : Précisément, aujourd’hui, quelles sont les principales leçons que tu tires de ton engagement ?

Il y a, je crois, quatre originalités de mon approche par rapport à d’autres. Premièrement, je pense qu’il est impossible de dissocier les luttes contre les différentes formes de prédation : la prédation du capital sur le travail, celle du capital sur la nature, celles des hommes sur les femmes, des cis-genrés contre les autres, ou des blancs sur les racisés. Nous devons mener à la fois des luttes contre l’exploitation économique, mais aussi des luttes contre toutes les oppressions pour cheminer vers une société ou toutes et tous peuvent s’émanciper. Par ailleurs, la crise écologique exige une refondation complète de nos moyens de production et de mode de consommation. Nos stratégies politiques doivent partir de l’impasse que représente le capitalocène.

Deuxièmement, ma principale critique du marxisme est son positivisme, relativement flagrant dans le Manifeste du Parti communiste, qui élude les questions éthiques. Selon moi, il n’y a pas de direction naturelle de l’histoire. Il y a différents chemins que nous empruntons au nom de valeurs morales. Je suggère dans le livre de remplacer le triptyque « liberté, égalité, fraternité » par « Gaïa, émancipation, égalité et solidarité » pour faire face à la remontée du bon vieux « Travail, famille, patrie ». Le corollaire de cette vision des choses est que la bataille idéologique est centrale pour faire avancer nos valeurs et notre programme. La politique reprend ainsi toutes ses lettres de noblesse, elle n’est plus réduite à une maïeutique d’un sens de l’histoire.

Troisièmement, la conséquence d’une refondation non positiviste de l’histoire est que la démocratie est centrale. Les transformations sociales et écologiques devront être soutenues par la majorité de nos concitoyens. Le vote et l’élection sont donc des moments stratégiques clés au sein des démocraties libérales dans un processus de révolution permanente. Le pari démocratique se fonde sur l’idée simple que, plus nous sommes nombreux à débattre d’un sujet, plus la décision a de chances d’être juste. D’autre part, le pari démocratique a l’immense avantage de faciliter l’adhésion à la décision et la participation du plus grand nombre à sa mise en œuvre. Cette démocratie doit aussi être maximale au sein du monde du travail, les salariés devant reprendre le pouvoir sur les actionnaires.

Quatrièmement, les luttes sociales et la pratique de la démocratie nécessitent de multiples institutions et médiations. La bataille se mène donc partout et il est impossible d’ignorer les médiations. Nous avons besoin d’associations et de syndicats indépendants. Nous avons besoin d’une presse libre. Nous avons besoin de partis fonctionnant démocratiquement. Les révolutionnaires doivent être actifs dans tous ces champs, mais tout en respectant l’indépendance organisationnelle de chacun d’entre eux.

J’aurais pu mentionner d’autres spécificités de mon approche, comme l’importance que je donne à la méthode dialectique dans la pensée politique ou ma méfiance de l’État, mais il faut bien laisser quelques surprises au futur lecteur.

D&S : Quels sont les défis à relever par la gauche dans notre pays ?

Les choix tactiques requièrent une analyse précise de la situation politique et des rapports de force économiques et doivent s’intégrer dans une stratégie d’ensemble. C’est ce que j’essaye de faire dans la dernière partie de mon livre. Nous devons reconstruire une espérance à partir des échecs du stalinisme et de la social-démocratie, en tenant compte des nouveaux enjeux démocratiques.

D&S : Que faire concrètement ?

Je pense d’abord que nous devons éviter deux écueils assez anciens, l’opportunisme et le gauchisme. Nous ne devons pas prendre le risque d’arriver au pouvoir au sein d’exécutifs qui poursuivent l’agenda néolibéral et affaiblissent le pouvoir des travailleurs. Je demeure très critique des années Mitterrand, Jospin et Hollande, même si le dernier épisode était bien pire que les deux précédents. Mais il faut éviter le repli minoritaire et l’impuissance gauchiste, qui laisserait le champ à l’extrême droite dans un avenir très proche – 2027 –, voire avant, si dissolution il y a.

Dans le contexte de tripartition du champ politique entre l’extrême droite, le centre-droit et la gauche, il y a évidemment l’urgence d’un rassemblement durable de la gauche et des écologistes, sur un centre de gravité d’affrontement avec la logique mortifère d’accumulation du capital. C’était l’espoir qu’incarnait la NUPES. Je ne peux que regretter que les uns et les autres aient abîmé cet espoir. Il nous faut néanmoins retrouver les voies du dialogue et du rassemblement. Je vais m’y atteler.

Dans ce rassemblement, nous avons besoin plus que jamais d’un pôle de radicalité fort au sein de la NUPES, c’est LFI qui incarne le mieux ce pôle. Mais LFI doit progresser sur plusieurs sujets. D’abord, tout en continuant de défendre sur le fond la radicalité de notre programme, nous devons être plus rassembleurs. Ensuite, la LFI doit grandir et passer de l’état gazeux organisé autour d’une candidature à la présidentielle, à un mouvement de masse fonctionnant démocratiquement.

Mais les victoires ne procéderont pas seulement du champ politique. Le champ social doit lui aussi être victorieux. La grande lutte contre la réforme des retraites a démontré la puissance du mouvement social quand l’intersyndical est unie, mais il a aussi montré ses limites. Je discute dans mon livre des pistes pour refonder un syndicalisme de lutte, mieux ancré dans les bassins d’emploi. Mais si nous n’avons pas fait céder le gouvernement, c’est que les salariés n’ont plus la confiance suffisante pour s’engager dans des processus de grèves reconductibles de masse.

Nous essayons collectivement à la Gauche écosocialiste (GES) de défendre ces orientations au sein de LFI. Je pense que la Gauche démocrate et sociale (GDS) partage beaucoup de nos combats et positions et pourrait les mener, à nos côtés, au sein de LFI.

Cet entretien est à retrouver dans le numéro 310 (décembre 23) de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).

* Hendrick Davi, Le capital, c’est nous. Manifeste pour une justice sociale et écologique,

Éditions Hors d’atteinte, coll. Faits &?idées, octobre 2023, 380 pages.

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