GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Libertés

Fuite en avant répressive : face à la violence de Macron

La « révolution » disruptive et ultra-moderniste vendue en 2017 par le chante de la Start-up nation a fait long feu. Le macronisme s’est avéré n’être qu’une variante particulièrement conservatrice et répressive de l’ultra-libéralisme contemporain. Essai d’analyse.

Le mot « violence » est sans conteste le mot le plus prononcé dans les grands médias. Il explose à tout instant au son et à l’image, comme point d’orgue du moindre débat. Le pouvoir macronien affaibli de tous côtés, pour se conforter, accuse à toute heure son opposition de « violences » et l’accule à s’en défendre en permanence. Ils ont ouvert une commission d’enquête sur « les groupuscules violents en manifestation ». La macronie cherche inlassablement à démontrer que la violence est liée à la gauche.

Un piège contre la gauche

C’est le clivage essentiel : sont violents ceux qui troublent l’ordre, sont légitimes ceux qui le défendent. L’« ordre » et la « paix » sont garantis d’en-haut contre tous les destructeurs : les images dominantes sont les feux de poubelle, les fins de manifestations houleuses, les voitures et les quartiers qui brûlent, les policiers et les élus blessés ou menacés. Les victimes de faits divers sont transformées en victimes politiques. Les ennemis sont fabriqués, analysés, grossis, qualifiés d’« écoterroristes » ou d’activistes « d’ultragauche » et les qualificatifs les plus imaginatifs sont réservés aux agresseurs sournois de « braves gens » et, surtout, des policiers.

Chaque composante de la NUPES est sommée matin, midi et soir, de se démarquer de l’autre qui ne dénonce pas assez clairement « les violences ». Bientôt, ils interdiront sur les réseaux sociaux qu’on parle de lutte de classe, et qu’on appelle à se défendre de leurs exactions.

Changement de doctrine

C’est manifestement la caricature d’un pouvoir à la fois autoritaire et fragile. Édouard Philippe a fait le récit, devant des étudiants de Sciences Po Rennes, en novembre 2022, de la façon dont il avait gouverné avec Macron face aux risques de blocage, lors des lois Pénicaud en 2017, puis au moment de la privatisation de la SNCF et lors du mouvement des Gilets jaunes en 2018, et enfin lors de la mobilisation contre la retraite par points en 2019. À chaque fois, il se disait : « On était inquiets, mais c’est passé ». La puissance du mouvement social inquiète en permanence la bourgeoisie et, dans certaines circonstances, cette inquiétude peut se transformer en brutalité. Contrairement à Chirac qui « négociait » en mai 68, en novembre-décembre 1995 et en 2006, depuis Sarkozy-Valls-Macron, il n’y a plus de concession. Sarkozy dans sa campagne électorale de 2008 l’avait solennellement annoncé : « Nous liquiderons mai 68 ».

Et en effet, on n’en est plus au préfet Grimaud qui, en défenseur intelligent de l’« ordre », a évité tant de morts en mai-juin 68. « Frapper un manifestant tombé à terre, affirmait-il, c’est se frapper soi-même en apparaissant sous un jour qui atteint toute la fonction policière » (lettre aux forces de police du 29 mai 1968). On n’en est plus au retrait du CPE sous la mobilisation de masse de la jeunesse : celle-ci est désormais étranglée à la racine, puisque la police entre couramment sans soulever d’indignation dans les lycées et les facultés pour empêcher les assemblées générales.

Violences et bavures

Le tournant violent de Sarkozy-Valls-Macron est clair. Sous Sarkozy, on a théorisé une nouvelle doctrine du maintien de l’ordre et, depuis Valls, on l’a mise en pratique, notamment lors des treize manifestations contre la loi El Khomri. Fin 2018, l’aggravation de cette politique en faveur des plus riches par Macron & Cie (lois Pénicaud et flat tax notamment) a fait surgir par défaut, du fond du pays, du bas du salariat, le mouvement des Gilets jaunes, explosif et désespéré, durable et opiniâtre, qui a percé parce que les mouvements syndicaux antérieurs n’avaient pas été écoutés. Très vite, il effraie Macron dont le pouvoir ne repose que sur une minorité : celui-ci arme davantage la police et la pousse encore plus loin Les forces de l’ordre suréquipées visent les visages, éborgnent, mutilent, cognent et arrêtent abusivement. Le commandement policier rompt avec toutes les apparences du maintien de l’ordre républicain et devient un état-major de guerre civile. Il va même jusqu’à perpétrer des attentats individuels sur les figures les plus en vue des Gilets jaunes, tel Jérôme Rodriguez, délibérément visé et éborgné. C’est grâce à cette violence policière que Macron reste en place, il en devient tributaire, et nourrit ses nombreux excès.

Dans les six premiers mois de l’année, quatorze manifestations contre la retraite à 64 ans, pacifiques et unitaires, soutenues par 95 % des actifs de ce pays, regroupant 34 millions de manifestants au total, ne sont même pas entendus. Même Laurent Berger s’étonne : « Que faut-il que nous fassions de plus pour être entendus ? », laissant entendre qu’un pouvoir qui méprise une telle mobilisation ne peut être remis en cause sans violence de masse. On est entrés ainsi dans un régime de négation de la majorité réelle et de pouvoir personnel où les brutalités et autres exactions des corps policiers, miliciens façon BAC et voltigeurs à moto, se sont intensifiées. Drones et reconnaissance faciale, techniques d’immobilisation, gaz redoutables, grenades de « désencerclement », LBD : tout ce qui est utilisé l’est comme dans une guerre contre le peuple. On voit dorénavant en face de nous, contre nous, pourtant manifestants pacifiques, des robocops caricaturaux, des voitures blindées confinant aux chars d’assaut, des armes de guerre, des stratégies militaires.

Des milliers de « bavures » deviennent la norme. Le jeune Nahel, en juin 2023, est devenu la 21e victime de policiers incapables de gérer de façon proportionnée les « refus d’obtempérer » : c’est le George Floyd français. Mais combien de Nahel n’ont pas été filmés ? Comment par exemple expliquer la mort du jeune Togolais de 19 ans, Alhoussein Camara, tué à Saint-Yrieix sur le trajet vers son travail, le 14 juin dernier ? La liste des victimes des violences policières s’allonge ; celle des éborgnés et mutilés aussi. La persécution des jeunes des quartiers s’est amplifiée avec une forme d’« abattage judiciaire » suite aux émeutes de juin dernier, puisqu’on a dénombré plus de 2 800 gamins emprisonnés, souvent condamnés sans motif clair.

Matraquage médiatique

Ce mépris de la vie humaine, ces brutalités hors du commun, s’accompagnent d’une propagande féroce des chaînes d’info continue et des médias des milliardaires. Par un matraquage savamment dosé, ils parviennent à décourager, à insensibiliser et à lasser, voire à faire peur à une partie de l’opinion. Dans un monde fermé où des dizaines de milliers d’immigrés meurent dans la Méditerranée, où l’aberrante guerre d’agression de Poutine détruit l’Ukraine, où les bruits de bottes néocoloniaux se font de nouveau entendre en Afrique, le capitalisme se réarme partout allant jusqu’à dépenser 2 500 milliards de dollars par an pour détruire la planète, alors qu’on en aurait tant besoin pour défendre les humains face au dérèglement climatique. Et Macron triple le budget des forces de l’ordre et dépense 413 milliards pour les armées. À partir de combien de morts la politique d’élimination des demandeurs d’asile conduite par l’Europe et au premier chef par ses leaders nationalo-populistes se retrouvera-t-elle en jugement devant un tribunal pénal international ?

La propagande en défense de la police, pour nier les violences policières, est vitale pour Macron : elle vise à rendre les victimes responsables, à légitimer en permanence l’usage de la force par l’autorité, les institutions, la République, etc. Ne jamais laisser accréditer que le pouvoir abuse, que le pouvoir est minoritaire et isolé.

Nelson Mandela a dit : « C’est toujours l’oppresseur, non l’opprimé qui détermine la forme de lutte. Si l’oppresseur utilise la violence, l’opprimé n’aura pas d’autre choix que de répondre par la violence ». Face à la violence, nous avons tous tendance à croire en cette formule : le mouvement social ne sera violent que si nécessaire et en riposte, qu’en autodéfense, lorsqu’il ne pourra plus faire autrement pour survivre face aux défenseurs archi-blindés du pouvoir. À un seuil critique donné, la légitimité de la masse des manifestants sera supérieure à leur violence, à leur brutalité, à leur surarmement, à leur cynisme qui repousse toujours plus loin les limites des crimes qu’ils sont capables de commettre.

Mais ce n’est pas vrai, en fait. Pas d’illusion : les robocops influencés par Alliance sont formés pour des affrontements d’une intensité bien supérieure à ceux que nous connaissons ces derniers mois, et les libéraux fanatiques comme Macron sont capables de bien pire. Comme les Versaillais contre les Communards, ils sont capables d’un massacre. S’ils ne l’ont pas encore fait, c’est pour ne pas perdre leur apparente légitimité si ardemment défendue. Ils ont encore peur de franchir le pas. Mais ils le franchiront. Ils préféreront cela plutôt que de voir leur pouvoir et leurs avoirs réellement menacés. En être conscients doit-il nourrir la peur et le renoncement ? En aucun cas.

Que faire ?

Nous sommes assujettis, condamnés à cette violence accrue des exploiteurs et ne pouvons la vaincre par une violence réciproque : ils ont de tels moyens qu’ils nous liquideraient sans coup férir. Le saut supérieur que doit faire le mouvement de masse ne peut pas être fait dans la violence : c’est techniquement impossible. Il ne peut être que dans l’ampleur des mobilisations. Les quatorze manifestations de début 2023 n’ont pas suffi ? Alors il en faut plus ! Il n’y a pour nous que la conscience et le nombre. Et là, c’est possible. On a manifesté dans 500 villes : il faut manifester dans mille villes en même temps. Nous n’avons pas occupé les usines, ateliers, bureaux : il faut les occuper en même temps. Le mouvement a été discontinu : il faut qu’il soit continu jusqu’à la victoire.

La conscience des masses l’emportera sur la brutalité des possédants. Nous serons dix millions un jour, et l’édifice répressif lui-même sera affecté dans ses rangs. Nous serons tellement forts et déterminés qu’ils auront peur d’utiliser leur force. Ils seront subjugués par les 95 % d’actifs qui veulent la retraite à 60 ans, le Smic brut à 2 000 euros, la semaine de 32h, un salaire maximal inférieur à 20 Smics, la redistribution des richesses et la VIe République.

Cet article de notre camarade Gérard Filoche a été publié dans le numéro 307 de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS). Voir aussi l'article du même dossier : "des violences éminemment politiques".

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