GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Écologie

Les algues vertes : un brûlot contre l’élevage intensif

Un film et la bande dessinée dont il est tiré nous racontent une histoire que nous connaissons toutes et tous, mais que nous préférons généralement ne pas écouter. Une histoire faite d’élevage intensif, de destruction des haies et d’épandage de lisier.

« L’agriculture, c’est ce qui nous fait vivre » : tout le travail d’Inès Léraud est contenu dans cette phrase. Inès Léraud est journaliste, documentariste spécialisée dans les sujets de santé publique. Les auditeurs de France Inter la connaissent bien. Les amateurs de BD engagés, aussi, pour un ouvrage sorti en 2019, Algues vertes. L’histoire tragique d’un modèle agro-industriel qui, en Bretagne, fait des plages des étendues sans fin d’algues vertes qui, quand elles se décomposent au soleil, produisent du sulfure d’hydrogène (H2S), un gaz dangereux, potentiellement mortel pour l’espèce humaine et les animaux.

En juillet est sorti sur les écrans Les Algues vertes, un film de Pierre Jolivet, qui retrace le combat d’Inès Léraud. Nous voilà plongés dans le bain d’une communauté soudée, où chacun connaît un autre qui a lui-même un cousin qui travaille pour… l’agro-industrie. Alors, le silence plombe les ébauches de discussions autour d’un modèle aussi dominant que destructeur. « L’agriculture, c’est ce qui nous fait vivre », résume un gars du coin. Peu importe que le risque soit mortel, puisque ça nous fait vivre. Abscons. Déprimant.

Le productivisme en procès

L’histoire des morts autour des algues vertes, de Thierry Morfoisse, de Jean-René Auffray, c’est l’histoire d’une violence insupportable infligée aux proches qui, manquant de recherches et de preuves, n’accèdent pas à la vérité. Plus loin, c’est l’histoire de l’élevage intensif, de la destruction des haies et de l’épandage du lisier qui s’écoule lentement dans l’océan et qui vient nourrir les algues. Et l’histoire d’un système, celui de la FNSEA, de ses ramifications dans les chambres de commerce, les coopératives et les banques ; du pognon que font quelques-uns sur le dos de tous les autres. Une histoire d’agriculteurs surendettés et au bord du suicide, parce qu’ils ont voulu se lancer dans la course folle à la modernité et au profit, où, en réalité seuls les plus gros tirent leur épingle du jeu. L’histoire du capitalisme en somme.

Pierre Jolivet multiplie les échanges autour d’avant-premières dans un contexte de confusion comme de vifs débats sur les modèles de production et de transformation. Les controverses sont utiles si elles mettent sur la table les enjeux qui sont devant nous. Les débats sont profitables s’ils permettent d’éclairer la population sur une question précise. L’agriculture qui nous fait vivre, peut-elle nous faire mourir ? Que sommes-nous prêts à accepter socialement ? Quelques morts, habitants du coin ou salariés d’une usine de ramassage d’algues vertes ne suffisent-ils pas à nous interroger, en profondeur, sur le modèle agricole et agroalimentaire dominant ? Au-delà des morts, combien de corps abîmés, exténués par un travail à la ferme qui ne paye pas ou des cadences infernales sur des chaînes de transformation ?

Un film éminemment politique

Les diversions ne sont pas acceptables. Le débat politique doit porter sur cela : l’exploitation d’une main-d’œuvre pas ou mal protégée, l’ignorance des promeneurs des lieux souillés, l’absence de transparence des autorités sanitaires qui, le plus souvent, ne partagent leurs données que sur injonction de la justice, la mainmise d’une organisation syndicale qui fixe les prix et qui est responsable de la surproduction et du gaspillage.

Le film fictionne le combat d’Inès Léraud, met en scène son opiniâtreté. Dévoile les intimidations aussi. Les destructions de preuves, les dégradations de véhicules. Le silence complice de certains élus locaux, seuls face aux difficultés qui débordent de partout. La peur d’une cafetière qui, à l’ombre de sa cuisine, confie sa vérité. Une lutte où les protagonistes sont inégalement armés : la journaliste à vélo, le représentant de la FNSEA en Merco.

Le débat politique doit porter sur ça. Les lanceurs d’alerte, la désobéissance civile, l’appréciation que chacun peut en faire, ne doivent pas nous faire oublier que le responsable, c’est celui qui cause la mort, les brûlures, les maladies. L’épuisement des sols et la pollution des eaux. Le responsable, c’est le système qui permet de se moquer totalement de la santé des femmes, des hommes, des enfants, qu’ils soient salariés ou habitants.

Cet article de notre camarade Marlène Collineau a ét épublié dans le numéro 307 (septembre 23) de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).

Pierre Jolivet, Les Algues vertes, 2023

Inès Léraud et Pierre Van Hove, Algues vertes, l’histoire interdite, Délcourt, 2019

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