Féminicides : les nommer pour mieux les combattre
Nous sommes le jeudi 2 mai 2019, le site Féminicides par compagnon ou ex1 nous informe qu’aujourd’hui pour la 49e fois depuis le début de l’année 2019, une femme a été tuée par son (ex-)compagnon. Oui, vous avez bien lu : 49 depuis le 1er janvier ! Il s’agit d’une jeune femme originaire de Martinique vivant dans la région parisienne ; Radio Caraïbes International parle « d’un tragique fait divers ».
Non, les féminicides ne sont pas de « tragiques faits divers ». Le combat pour que notre société ait pleinement conscience du fait que ces crimes sont l’expression la plus violente de l’oppression des femmes doit absolument continuer.
Inscrire la notion de féminicide dans la loi
« Les féminicides ne sont pas des homicides comme les autres [...]. Les femmes sont considérées comme la propriété de leur compagnon ou des hommes en général. Ils s’approprient le corps des femmes et des filles par diverses agressions sexuelles et sexistes, par le viol, mais aussi par le meurtre. Il est temps de reconnaître que le féminicide est un crime spécifique, un meurtre misogyne qui doit être reconnu comme tel. » C’est en ces termes qu’en novembre 2014 l’association Osez le féminisme ! avait lancé une première campagne en France pour que le féminicide soit reconnu dans la loi.
En effet, si certains pays comme l’Italie, l’Espagne, le Mexique ou la Bolivie caractérisent dans la loi les meurtres de femmes en tant que femmes, ce n’est pas encore le cas en France. Elle a bien ratifié en juillet 2014 la convention du Conseil de l’Europe, dite Convention d’Istanbul, qui définit les standards minima en matière de prévention, de protection de victimes et de poursuite des auteurs des violences faites aux femmes. Mais, à la différence de l’Espagne qui a introduit la notion de « violences machistes » dans son droit, le droit français ignore les rapports de domination hommes-femmes et ne prend pas en compte la dimension misogyne et sexiste des féminicides.
Le drame passionnel n’existe pas
Souvent utilisée, la notion de « drame passionnel » n’existe pas dans le droit français. Elle court pourtant les articles de journaux et on la retrouve parfois dans la bouche des magistrats, comme récemment dans celle du procureur de Toulouse affirmant que « la piste passionnelle était privilégiée par les enquêteurs » à propos d’un meurtre commis dans la « Ville rose » en janvier ; ce qui a déclenché la riposte immédiate des associations féministes.
En effet, la notion romantique de crime passionnel introduit immédiatement des excuses, « des enchaînements fatidiques » de la « passion dévorante », des bonnes raisons, bref des circonstances atténuantes. Il est vrai que dans le passé, le Code pénal de 1810, faisait de la jalousie du mari de la femme adultère une excuse à son assassinat. « Néanmoins, dans le cas d’adultère, le meurtre commis par l’époux sur son épouse, ainsi que sur le complice, à l’instant où il les surprend en flagrant délit dans la maison conjugale, est excusable. »
Mais, depuis 1994, l’article 132- 80 du Code pénal définit comme circonstances aggravantes d’un meurtre le lien entre la victime et le meurtrier (ou la meurtrière) ; les peines sont plus lourdes lorsque le meurtre est commis par un.e conjoint.e, partenaire ou ex. Il est important de comprendre et d’inscrire dans la loi que la complexité des liens affectifs liant des personnes ne peut jamais être une excuse. Mais il faut aller plus loin et introduire la notion de genre.
Désir masculin irrépressible ?
Comme le disait bien Françoise Héritier, « il faut anéantir l’idée d’un désir masculin irrépressible ». Il est en effet temps de comprendre que, si pour certains hommes la violence des « sentiments » et ces « passions » déborde dans la violence physique et le meurtre, c’est bien qu’il existe une certaine tolérance sociale, même une représentation sociale qui ferait que la nature aurait doté les hommes de pulsions incontrôlables ! « Nous sommes des êtres de raison et de contrôle, pas seulement de pulsions et de passions », dit encore Françoise Héritier. Dans ce « nous » sont bien entendu inclus les hommes.
Le rôle des médias
Il n’est plus acceptable que les médias utilisent des termes comme « drame conjugal », « drame de la séparation », « drame familial », « crime passionnel » pour parler de ces meurtres de femmes par leurs maris, compagnons présents ou passés.
C’est pourquoi l’association Prenons la une, une association de journalistes engagées pour une juste représentation des femmes dans les médias et pour l’égalité professionnelle dans les salles de rédaction a publié une tribune en novembre 20142, puis en mars 2018 un petit guide de bonnes pratiques pour un traitement médiatique plus juste de ces meurtres et plus généralement des violences contre les femmes3. Elles y développent onze principes de rédaction permettant de contrecarrer le tropisme qui amène quasi systématiquement à minimiser l’acte de l’agresseur. Parmi ces conseils : « mettre en avant le contexte ayant précédé un meurtre conjugal ou une tentative de meurtre dès que possible [...] » ou encore « traiter le meurtre conjugal et les violences sexuelles comme un problème de société et non comme des faits divers ».
En Espagne, où existe depuis 2001 une charte de bonnes pratiques journalistiques4, la nature « machiste » et « sexiste » de ces violences qui ne sont pas que conjugales, mais bien « masculines contre les femmes », est mieux caractérisée. Continuons à faire progresser ce combat dans notre pays !
Cet article de notre camarade Claude Touchefeu est à retrouver dans le numéro 265 de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).