GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

International – Europe

Grève des femmes en Suisse le 14 juin

Au sens strict du terme, il n’y a eu qu’une seule grève générale en Suisse, celle de 1918, qui permit de réduire la durée du travail de 59 à 48 heures par semaine, et qui eut aussi pour revendications la création d’un régime des retraites par répartition (née en 1948) et le suffrage féminin (opératoire dès 1971). Mais c’était sans compter sans la mobilisation des femmes, qui firent grève en 1991 et qui ont décidé de récidiver 28 ans après, le 14 juin prochain.

Le 14 juin 1991, 500 000 femmes – mais aussi des hommes – s’étaient mises en mouvement, idée initiée par Liliane Valceschini, une ouvrière de l’horlogerie, puis développée par la syndicaliste Christiane Brunner. Le bilan de cette mobilisation fut loin d’être négligeable : création de l’assurance maternité, adoptée en votation populaire le 26 septembre 2004, loi fédérale sur l’égalité, mesures favorables aux femmes dans le régime des retraites, solution des délais en matière d’avortement, engagement contre les violences domestiques. La position des femmes dans les institutions politiques s’est également renforcée.

266 000 euros de moins !

Toutefois, en Suisse aussi, les inégalités et les violences à l’encontre des femmes persistent, malgré un article sur l’égalité inscrit dans la Constitution fédérale et accepté par 60 % des votants le 14 juin 1981. La Suisse ne connaît toujours pas de congé parental, alors que celui-ci est de 480 jours en Suède ! On est aussi loin du compte en matière de salaires.

Selon le syndicat Unia, chaque femme gagne en moyenne 7 000 francs (6 140 euros) de moins par an, uniquement parce qu’elle est une femme. Cela représente 303 000 francs (266 000 euros) sur l’ensemble d’une vie professionnelle de 43 ans ! Mais ces montants ne représentent que la part de l’écart salarial qui ne peut pas s’expliquer par des facteurs objectifs, comme la formation ou l’expérience. Globalement, l’inégalité salariale se monte encore à 20 %, contre 15,8 % en France et 16,3 % en moyenne européenne. On n’échappera pas non plus à une réflexion sur la durée du travail. « Pas de partage au sein du couple en-dessus de 35 heures », disait l’ancienne ministre socialiste Ruth Dreifuss, lorsqu’elle était encore une dirigeante syndicale.

L’exemple de l’Islande

D’autres pays sont plus avancés, en particulier l’Islande. Depuis le 1er janvier 2018, les entreprises islandaises de plus de 25 salariés et les administrations doivent respecter une nouvelle loi, votée au printemps 2017. Celle-ci leur impose de décrocher une certification afin de prouver qu’à travail égal, elles versent le même salaire aux deux sexes. Il est vrai que les Islandaises font figure de pionnières en matière de lutte pour l’égalité. En 1975, 90 % d’entre elles firent grève, cessant toute activité, au travail comme à la maison, afin de défendre leurs droits. Et le 24 octobre 2016, beaucoup quittèrent leur travail à 14 h 38, considérant qu’au-delà de cette heure, elles travaillaient gratuitement, comparativement aux salaires des hommes.

Avec ou sans les hommes ?

« Ce que le patriarcat a vraiment bien réussi, c’est de faire croire aux hommes que le féminisme ne les concernait pas. Mais l’égalité réelle peut-elle être atteinte sans la participation des hommes ? » Cette réflexion de Jérémy Patinier, auteur d’un décapant Petit guide du féminisme pour les hommes (Textuel, 2018) s’applique à la grève des femmes du 14 juin. Car celle-ci ne pourra être qualifiée de réussie que si elle concerne toute la société, c’est-à-dire aussi les hommes.

Il importe toutefois que les hommes restent en retrait du mouvement. Soit en y participant de manière discrète, soit en accomplissant des tâches familiales et ménagères : garde des enfants, préparation des repas, prise en charge des personnes dépendantes, etc. Enfin, combien de femmes ne participeront pas à cette grève en raison de menaces que brandissent certains patrons : retenue salariale, avertissement, licenciement ? Depuis des semaines, les pressions sont fortes, une spécialiste du droit du travail et proche du patronat ayant même déclaré : « La grève des femmes est illicite au regard de la Constitution ». Celle-ci donne une définition très étroite du droit de grève, mais une mobilisation massive le 14 juin permettra de l’élargir.

Notre camarade Jean-Claude Rennwald est ancien député (PS) au Conseil national suisse, et toujours militant socialiste et syndical. Son article a été publié dans le numéro 265 (mai-juin 2019) de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).

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