GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur

Dussopt en croisade contre le salariat

Aggravant son offensive contre les droits démocratiques et sociaux de la majorité écrasante que constituent dans notre pays les salariés, Macron, de plus en plus autoritaire et brutal, se sent autorisé, après sa contre-réforme des retraites, à programmer des dizaines de nouvelles mesures contre le droit du travail.

Macron accomplit avec méticulosité le programme du Medef, et au-delà, puisque, non seulement il baisse drastiquement le « coût » du travail, mais il contribue aussi à affaiblir le salariat en tant que tel, en l’ubérisant pour mieux démanteler la protection sociale.

On le constate à nouveau : les libéraux se servent à fond, et sans scrupule, de l’État, et ce recours se concilie très bien avec les politiques néolibérales les plus brutales. Ils ne reculent devant rien en matière d’autoritarisme et de répression policière. Face à la réalité sociale qui résiste à son intégrisme néolibéral, Macron ne peut faire autrement que de truquer les chiffres et d’affirmer qu’il crée des emplois quand il en supprime, que tout va bien quand la misère monte, cette propagande lui étant nécessaire pour masquer la brutalité de son action.

Attaque contre le chômage et les chômeurs

À la différence de Hollande qui voulait chaque mois annoncer l’inversion de la courbe du chômage, Macron ne s’est pas gêné : il a changé la méthode de calcul, remplaçant les chiffrages de la DARES, de Poôe emploi par ceux du BIT, pour lequel le seul fait de travailler une heure dans le mois suffit à n’être plus chômeur. En se limitant à la catégorie A et en excluant les catégories B, C, D et E, évidemment le chômage affiché a « baissé » autour de 7 % – au lieu de 11 %, toutes catégories confondues. D’autant que la moitié des chômeurs ne sont pas indemnisés, les radiations se font en masse et les lois Macron-Borne ont rendu plus difficile l’accès à l’indemnisation et ont réduit la durée de celle-ci.

En fait, Macron expulse les salariés du salariat, puis les chômeurs du chômage. Dans la vie réelle, il y a toujours six millions de chômeurs officiels (hors Mayotte). Et la part de la population active non occupée est autour de 17 %.

En mentant sur le taux réel du chômage, en imposant 7 % au lieu de 11, Macron assouvit un besoin politique d’affichage, mais il fait aussi fonctionner la clause de spoliation qui prévoit que, si le chômage est inférieur au seuil de 9 %, la durée d’indemnisation est abaissée de 25 %.

Ensuite, il faut étudier la part des « nouveaux emplois » que Macron-Le Maire affirment avoir récemment créés pour constater que ce sont des « sorties de chômage », et non plus des emplois salariés. Une note de l’Insee pointe qu’un chômeur sur cinq au sens du BIT n’est pas inscrit à Pôle emploi, en donnant l’exemple de jeunes sans indemnisation. Notre ami François Ruffin s’appuie sur Eurostat pour démontrer que la France est championne, avec la Hongrie et l’Estonie, de l’emploi non-salarié, type auto-entrepreneur, avec 2,4 millions de créations.

Ce qui veut dire que le salariat recule, passant de 90 % à 88, 87, voire 86 % de la population active. On dénombre environ 30 millions de salariés en France, contre 3,5 millions d’indépendants soit 12,13 ou 14 % du total. Cela signifie une nette extension de la pauvreté, puisque 5,3 % des salariés sont pauvres contre 16,6 % des indépendants.

Le grand remplacement du salariat

Quelle sorte d’emploi Macron veut-il avec France Travail, son nouvel opérateur replaçant Pôle emploi ? Dans un débat en commission de l’Assemblée nationale face à François Ruffin, le ministre du Travail, Olivier Dussopt, a tombé le masque. Il souligne que la divergence avec le député de la Somme qui défend le statut de salarié, c’est que le gouvernement est « pour la présomption d’indépendance ». Il s’agit bien là de l’affirmation explicite d’une préférence essentielle et historique pour l’emploi non salarié, et la fin des statuts.

Depuis la première loi de 2015, Macron fraye la voie au remplacement du contrat de travail par un contrat commercial de gré à gré. Il proposait à l’époque de modifier le Code du travail pour que, dans le cas d’un conflit pour ce type d’emploi, le contentieux ne soit plus réglé aux prud’hommes mais dans les tribunaux d’instance. Ensuite, il a dessiné (notamment dans son livre mal-nommé Révolution) les grandes lignes d’une « société sans statuts », « post-salariale », où les cotisations sociales seraient supprimées. Jusque-là, le choix de l’ubérisation n’était toutefois pas aussi franchement assumé. Mais Dussopt tranche explicitement, contre l’avis de la majorité du Parlement européen, qui s’est prononcée en septembre 2021 en faveur de la « présomption de salariat ». Et il ajoute qu’il « souhaite que ça aille plus loin ». C’est un choix de civilisation. Et on a là, au passage, la preuve formelle que la politique menée par Macron depuis huit ans n’a rien de celle de la girouette. Elle suit un cap fixé à l’avance, net pour qui cherche à voir, mais qui n’était pas affiché aussi clairement.

À travers les lois anti-Code du travail (El Khomri, puis Pénicaud) de 2016-2017, la loi anti-chômeurs et les suppressions de cotisations sociales diverses et variées, ce n’est pas de « révolution », mais bien de contre-révolution qu’il s’agit : c’est, en France, la plus grande attaque historique contre le monde du travail, qui remet en cause le statut même de salarié. Il y a là une volonté déclarée, persistante, d’une sorte de « grand remplacement » du salariat par une main d’œuvre sans protection sociale, sans retraite, sans horaires, sans droits, ni loi du travail.

Licencier à tour-de-bras ?

Cette offensive s’est développé récemment dans une nouvelle direction. Dussopt a en effet signé, le 17 avril un décret qui facilite la « reconnaissance » des démissions par l’employeur, et non plus par le salarié. Jusque-là, aucune démission ne pouvait se présumer ni être « implicite » ; maintenant, il suffit que le salarié soit « absent » de son poste quinze jours et le contrat est présumé rompu.

Refusant que l’abandon de poste puisse être assimilé à une démission présumée, FO a déposé le 3 mai dernier un recours devant le Conseil d’État. La confédération lui demande de faire annuler cette disposition de la loi Marché du travail de décembre 2022, rendue effective par le décret du 17 avril. C’est une aberration juridique créée dans le seul but de restreindre encore un peu plus les droits des demandeurs d’emploi. Jusqu’alors, après un abandon de poste, un salarié risquait d’être licencié pour faute, mais il pouvait percevoir une indemnisation chômage. Désormais, il peut être présumé démissionnaire, et ne bénéficie dans ce cas que d’un délai très court pour justifier son absence auprès de l’employeur.

La loi n’introduit que quelques exceptions, liées par exemple à des raisons médicales ou à l’exercice –  toujours périlleux – d’un droit de retrait. Le salarié a aussi la possibilité de contester la rupture de son contrat de travail en saisissant les prud’hommes qui ont, en théorie, un mois pour se prononcer. Mais par exemple, un salarié hospitalisé et isolé n’aura pas la possibilité de réagir dans les délais impartis.

FO attaque aussi devant le Conseil d’État le questions-réponses rédigé par le ministère du Travail, qui veut laisser croire que le licenciement ne serait plus possible. Ce qui n’est pas le cas.

Pratiquement tout le droit du licenciement (y compris les droits issus de la convention 158 de l’OIT) a été mis à bas, notamment lorsque les soignants ayant refusé de se faire vacciner ont été suspendus» sans procédure, sans condition ni indemnités. Les droits des institutions représentatives du personnel (IRP) ont été massivement bafoués : on est passé de 425 000 salariés mandatés à moins de 200 000. Il ne reste que 4 600 médecins du travail en poste, 1 600 inspecteurs du travail, et les procédures prud’homales sont réduites à 40 % de ce qu’elles étaient encore il y a quinze ans. C’est bel et bien le statut de salarié dans son ensemble qui est visé.

Attaque contre le principe même des salaires

Dans la Macronie, il n’est jamais question de salaire net et de salaire brut, encore moins super brut. Il n’est question que de pouvoir d’achat, de primes, d’indemnités, de chèques compensatoires, d’aides… Quand il y a un problème, l’État envoie un chèque de 100 euros individualisé pour payer l’essence à la place des patrons. Quand il y a inflation, Macron dénonce volontiers les « forces de la spéculation », mais n’agit en rien contre elles : il suggère des compensations, des « paniers de la ménagère », des « primes Macron » éphémères et aléatoires, mais jamais des hausses de salaire. Le but est clairement de supprimer progressivement les cotisations sociales sur les salaires.

Le projet de loi portant transposition de l’Accord national interprofessionnel (ANI) relatif au partage de la valeur au sein de l’entreprise a ainsi été présenté en Conseil des ministres le 24 mai. C’est l’un des premiers textes annoncé de la séquence post-retraites, censé à la fois « apaiser les relations avec les syndicats, et donner des gages aux Français en matière de pouvoir d’achat dans un contexte chamboulé par l’inflation ». En vérité, il s’agit de remplacer des éléments de salaires par un système d’intéressement aux bénéfices qui n’implique aucune cotisation sociale.

Toute la propagande gouvernementale vise à détruire le salaire brut, sa fonction, son existence. Et par là même à casser la Sécurité sociale, telle que nous la connaissons encore. C’est là le cœur de la politique de « baisse du coût du travail » : selon Macron et les siens, ce n’est plus aux patrons de payer la protection sociale, mais à l’État, via l’impôt.

La façon dont Gabriel Attal a mené son éphémère campagne contre les fraudes fiscales et sociales a donné le ton : il a placé les cotisations sociales sur le même plan que les impôts, alors qu’ils sont totalement distincts. L’impôt n’est pas pré-affecté, tandis que les cotisations le sont. L’impôt va au budget de l’État, tandis que les cotisations sociales vont aux budgets séparés de la protection sociale (Sécu, Assedic, retraites complémentaires…). L’impôt, collecté par le fisc, va à la puissance publique, la cotisation sociale, collectée par Urssaf, va à l’organisme privé qu’est la Sécurité sociale (gérée initialement, de 1945 à 1967 par des représentants élus des ayants droit). Le but d’Attal était en réalité de mettre sur le même plan, quantitativement comme qualitativement, la fraude sociale et la fraude fiscale, occultant le prélèvement et la gestion séparés de la cotisation. Le ministre des Comptes publics n’est-il pas allé jusqu’à envisager une seule carte d’identité, nationale et « vitale » ?

Dussopt maître-fraudeur

Des révélations qu’on peut qualifier de scandaleuses ont été faites : le ministère du Travail formerait des employeurs… à déjouer ses propres contrôles ! Des cadres de l’administration animent des formations payantes (845 euros) dispensées par un organisme privé. Le but de ces formations est d’indiquer aux employeurs les façons de parer aux actions des 1 600 inspecteurs du travail...

Selon la description du stage, il s’agit de « se défendre en cas de contentieux ou de procès-verbal dressé par l’inspection du travail ». Une publication de la société Lamy-Liaisons les organise et une responsable d’Unité de contrôle pour le compte de la DRIEETS Île-de-France, les anime. Ce qui effraie, c’est que le directeur régional, interpellé, répond « qu’il ne voit pas de problème ». Le seul souci, selon lui, est l’intitulé de la formation, qu’il a demandé à la société organisatrice de modifier. Mais cette formation ne se résume pas dans son titre : « Contrôler les temps de travail et de repos des collaborateurs, pour éviter les sanctions et prouver le nombre d’heures effectuées… voilà un véritable casse-tête ! […] Dès lors quels dispositifs mettre en place ? Quelles précautions prendre ? Comment se défendre en cas de contentieux ou de procès-verbal dressé par l’inspection du travail ? » Il n’y a rien qui ne soit pas scandaleux dans cette présentation.

« Que des avocats dispensent à leurs clients employeurs une telle formation pour éviter les contrôles de l’inspection du travail, c’est logique », affirme Simon Picou, inspecteur et responsable CGT. « Mais là, il s’agit d’un agent du ministère du Travail. L’image renvoyée est celle d’une administration qui se range au côté des employeurs. Imagine-t-on des policiers expliquer les recours ou les astuces pour faire sauter des contraventions à des chauffards ? Ou des agents de l’administration fiscale expliquer à des employeurs comment éviter les contrôles ? ». Non, en effet.

La fausse semaine de quatre jours 

Le ministre des Comptes publics, Gabriel Attal, vient d’annoncer le lancement d’une expérimentation de la semaine de quatre jours dans la Fonction publique. Pendant un an, les agents de l’Urssaf de Picardie pourront travailler 36 heures en quatre jours plutôt qu’en cinq. « Je crois que beaucoup de Français aspirent aujourd’hui à travailler différemment. La semaine de 35 heures en quatre jours, que 10 000 Français expérimentent déjà dans des secteurs économiques très variés comme le recyclage industriel ou l’informatique, cela peut être moins de temps passé dans les transports, moins de stress, et au final, plus de bien-être au travail », a affirmé le ministre dans L’Opinion.

Mais hormis le fait que c’est de l’affichage « expérimental » pour 2025… et que l’on est très loin d’une loi concernant la durée du travail de 30 millions de salariés, on observe tout de suite qu’il s’agit de 36h soit de 9h par jour, et donc d’une remise en cause des 35h. On est loin de l’avancée, pourtant si nécessaire, vers les 32h, telles que nous les revendiquons – avec la NUPES notamment. Quid de la durée de travail quotidienne ? Quid des heures supplémentaires, de leur majoration et de leur contrôle ? Le Monde alerte sur le fait que « les horaires journaliers doivent rester “supportables” ».

La mise en cause des CDI

Sans cesse, des voix issues de LREM, de LR et du RN s’expriment non seulement contre les 35h, mais aussi contre le CDI. Quant au Medef, il n’en a jamais assez, et sa raison d’être reste de détricoter ce qui reste du contrat de travail. Leur propagande actuelle vise à dénigrer ces « jeunes qui ne veulent pas de CDI » et qui « ne veulent pas bosser »

La vérité est qu’il y a treize demandes d’emplois pour une seule offre, et que les métiers dits « en tension » (restauration, hôtellerie, saisonniers, bâtiment, transports…), le sont d’abord en raison des salaires trop bas et des journées de travail trop longues qu’ils « offrent ». Quand ils le peuvent, 41 % des jeunes de 15 à 24 ans se salarient en emploi à durée indéterminée. Dans la pratique, 85 % des emplois salariés sont et restent en CDI entre 25 et 54 ans.

Les macronistes et le Medef sont en contradiction parce que leur volontarisme idéologique les pousse à promouvoir indépendants, stagiaires, alternants, apprentis, travailleurs détachés, immigrés vulnérables, intérimaires et CDD, tandis que les besoins réels de l’économie, ce sont des salariés formés, expérimentés, fiables, stables, compétents, polyvalents, et éduqués pour produire.

Pour eux, c’est insurmontable : ils réussissent à contraindre des salariés à se déclarer indépendants, ils grignotent les CDI, ils rognent les contrats de travail, mais ils ne parviennent pas à mettre en place des lois-cadres pour changer le système CDI. Ils les veulent depuis des années, le gouvernement les annonce pour la rentrée 2023 ; il faut se préparer, mais rien n’est joué. Aux syndicats et à la NUPES de défendre la reconstruction d’un droit du travail.

Supprimer l’eau chaude aux salariés

La Macronie est totalement hostile à l’idée de donner des pouvoirs aux salariés. Sa vision est identique à celle du chef d’entreprise qui ne veut pas d’entrave. Ni démocratie au Parlement, ni démocratie à l’usine. Conception et exécution viennent d’en haut. Voilà pourquoi il faut réclamer contre eux, le rétablissement des CHSCT qui furent la principale institution de prévention de la santé, de l’hygiène, et de la sécurité au travail.

Le pouvoir actuel, Dussopt en tête, se moque ouvertement des conditions de travail des 21 millions de salariés du privé (comme d’ailleurs des 5,7 millions d’agents travaillant dans l’une des trois Fonctions publiques). Jusque dans les détails les plus insignifiants en apparence, puisqu’en contravention des règles élémentaires de l’hygiène et de la santé publique, un décret issu des services du ministère du Travail, en date du 24 avril, permet aux employeurs – incroyable mais vrai – de couper l’eau chaude dans les locaux professionnels « pour des raisons de sobriété énergétique ». Il en faut du cynisme et de l’idéologie pro-business pour arriver à ce niveau de bassesse !

Quid de l’apprentissage ?

Macron, Borne et Dussopt ont raison d’être fiers du « million d’apprentis » actuels, puisqu’avec les 2,4 millions d’auto-entrepreneurs, ils contribuent à abaisser significativement les chiffres du chômage ! En s’attaquant aux lycées professionnels (voir page suivante), le gouvernement entend pousser des dizaines de milliers d’élèves vers l’apprentissage. Aliénés par une spécialisation précoce, privés de culture générale, ces jeunes seront plus tôt et davantage soumis aux patrons, et donc moins payés. Ils ne pourront être cultivés ni polyvalents, et ils revendiqueront moins.

Le gouvernement, fidèle à sa politique de transfert de l’argent public vers le privé, paie les patrons extrêmement cher pour « prendre » des jeunes en formation (6 000 euros par an et par apprenti). Il y a de surcroît un effet pervers à ces primes d’État : en dix ans, il y a en effet eu doublement du nombre d’apprentis en « diplôme ingénieur », triplement du nombre d’apprentis en « licence », mais seulement 15 000 apprentis au niveau CAP. Quand l’État paie la main d’œuvre, les employeurs recrutent des apprentis déjà formés !

En bas de l’échelle, l’apprentissage est vidé de son sens. Il n’y a plus de formation des maîtres. L’idéologie est celle du XIXe siècle : « J’en ai bavé dans mon jeune temps pour apprendre à bosser, à ton tour de trimer »… L’exploitation sur le tas remplace toute formation théorique et culturelle.

Les jeunes sont si mal payés (25% du Smic la première année, 55 % la deuxième année, 85 % la troisième année) qu’ils s’en vont : deux sur trois ne finissent jamais leur apprentissage. Cela ne débouche donc même pas sur des embauches durables, ni des salaires décents.

Nous continuerons, dans le numéro d’été de D&S, à faire découvrir à notre lectorat les méfaits présents et futurs de la Macronie contre les droits du salariat.

Cet article de notre camarade Gérard Filoche est à retrouver dans le n°305 de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).

Inscrivez-vous à l'infolettre de GDS




La revue papier

Les Vidéos

En voir plus…