Dérive réactionnaire : la nostalgie de l’école de Jules Ferry
Le maître d’école écouté – sinon craint – dispensant son savoir, du haut de son estrade, à un public attentif et communiant autour de « valeurs communes » apprises par cœur : tel est rêve de ce « bon élève » que fut Macron. C’est aussi le fantasme d’un fieffé réactionnaire.
Le texte de la Marseillaise affiché dans les salles de classe, la laïcité brandie comme un mantra religieux, l’aspiration au « retour à l’ordre », l’obsession du dressage et du « savoir-être »… Autant d’indices qui prouvent la tentation réactionnaire caractérisant les politiques éducatives actuelles. Deux lubies du pouvoir macroniste sont en la matière particulièrement édifiantes.
Le SNU qui cache la forêt
Selon le ministère de l’Éducation nationale, le Service national universel (SNU), qui s’adresse à tous les garçons et toutes les filles entre 15 et 17 ans, comporte obligatoirement « un séjour de cohésion » de douze jours dans un internat, mêlant « projets collectifs, ateliers pratiques, sport, temps de démocratie interne, rites républicain (sic !) » et sensibilisation à divers « enjeux de société » (dont la défense), mais aussi, pour celles et ceux qui le souhaitent, un « temps de service à la Nation » permettant notamment de réaliser « une mission d’intérêt général » dans une association ou un service public.
Le candidat Macron a beau avoir défendu, dans son programme de 2017, un « projet républicain » permettant à la Nation « d’être plus unie et d’accroître [s]a résilience » , c’est finalement, après deux ans de cogitations, une copie aux forts accents réactionnaires qui a été rendue. Toute la panoplie militaire se retrouve en effet dans ce dispositif expérimenté depuis 2019 : uniforme, salut au drapeau, à l’aube et au garde-à-vous, défilé au pas, exercices physiques divers et variés… Rien ne manque !
Le SNU n’est en réalité qu’un produit d’appel – qui peine, il est vrai, à trouver son public1 – dissimulant la floraison de dispositifs militaristes, ces dernières années, au sein de l’institution scolaire. On pense notamment aux Classes de défense et de sécurité globale (CDSG) qui associent étroitement l’armée à la mise en œuvre des programmes scolaires. On en dénombre aujourd’hui plus de 500, qui accueillent 12 500 élèves – dont 20 % en éducation prioritaire. On assiste aussi, en parallèle, au développement de centres de « cadets de la défense ». Plus généralement se multiplient les partenariats sur les thématiques de la sécurité, souvent concentrées dans les établissements les plus défavorisés socialement. Les exemples récents, dans plusieurs académies, de dispositifs d’éducation au maintien de l’ordre, voire de « classe Police et sécurité », confirment le projet sécuritaire global qu’esquisse, par touches successives, le ministère macroniste de l’Éducation nationale2.
L’hypocrisie de l’uniforme
C’est dans ce contexte que Gabriel Attal, alors « simple » ministre de l’Éducation nationale, a annoncé, en décembre dernier, la possibilité, pour les établissements et les collectivités territoriales volontaires, d’expérimenter le port de l’uniforme dès la rentrée de septembre 2024, voire avant. La liste des collectivités prêtes à débourser cent euros par élève, pour doter chacune et chacun de cinq pulls, cinq polos et cinq pantalons, vaut le coup d’œil. On y retrouve, entre autres, les villes de Tourcoing, de Reims, de Perpignan et de Nice, les départements de l’Allier et des Alpes-Maritimes ainsi que la région Auvergne-Rhône-Alpes, présidée par Laurent Wauquiez. Quel beau tableau des forces du bloc bourgeois réactionnaire, du RN à la Macronie, en passant par LR ! Pour celles et ceux qui voulaient prouver que cette initiative pragmatique relevait du bon sens et dépassait largement les oppositions idéologiques et partisanes, l’échec est patent !
Les différents chiffrages de cette mesure qui fleure bon la nostalgie du temps jadis oscillent entre 2 et 2,5 milliards d’euros (ce qui correspond, au passage, au budget annuel estimé du SNU, en cas de généralisation). Impossible de ne pas faire le lien entre cette somme considérable et les 582 millions que Bercy a repris à l’Éducation nationale au titre des économies imposées aux différents ministères.
Difficile, également, de ne pas conclure sans avoir dénoncé l’hypocrisie de ce pouvoir qui développe un projet éducatif très cohérent d’assignation sociale par sa récente réforme du collège, les différentes réformes Blanquer (Parcoursup, bac et lycée) et la casse du lycée professionnel, sans oublier la défense inconditionnelle de l’école privée, et qui annonce, la main sur le cœur, lutter contre les inégalités par… l’obligation du port de l’uniforme ! Comme si ces dernières disparaissaient quand elles étaient pudiquement recouvertes d’un bout de tissu. Décidément, ce gouvernement aura tout tenté pour réduire les inégalités… sauf la redistribution des richesses !
Cet article de notre camarade Baptiste Chardon est à retrouver dans le n°313 de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).
1.Le nombre de participants est passé de 2 000 jeunes en 2019, à 18 000 en 2021, puis à 32 000 en 2022.
2.On emprunte ces informations au dossier que L’US Mag, la revue du SNES-FSU, a consacré en partie au SNU (n° 832, avril 2023).