GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

International – Europe

FSM 24 : quelle place pour l’internationalisme français ?

Réunissant plus de 20 000 personnes et 1 400 organisations issues de 90 pays, la seizième édition du Forum social mondial a eu lieu du 15 au 19 février, à Katmandou, au Népal. Ni les médias ni les acteurs les plus importants du mouvement social français ne se sont emparés de cet évènement.

Serait-ce la dernière édition ? Après l’échec du FSM à Mexico en 2022 qui avait réuni moins de 1 200 participants, dont très peu de Mexicain.es, les craintes étaient nombreuses de voir le processus altermondialiste définitivement interrompu. Avec davantage de mobilisation cette année, les participants de cette édition 2024 la considèrent comme un succès. À quoi cela tient-il ?

Un élargissement progressif

Janvier 2001 : dans un contexte de montée des luttes antimondialisation et de contestations des institutions internationales, notamment à Seattle en 1999, les Brésiliens appellent à un premier Forum social mondial. Cette initiative se positionne alors en contre-sommet de Davos et va contribuer à soulever de grandes espérances dans le monde entier. Voulu comme un espace de convergence des luttes et des alternatives, ce premier rendez-vous internationaliste se constitue comme un espace ouvert et accueille plus de 20 000 personnes venues du monde entier. Incontestablement considéré comme un succès, le mouvement se transforme pour prendre le nom d’altermondialiste et s’élargit progressivement.

Malgré une série de crises (11 septembre, crises économiques en Argentine, au Japon, guerre en Afghanistan), le FSM se reproduit avec le même succès au Brésil en 2002, puis en 2003, avant de se déporter en Inde en 2004 et de devenir polycentré en 2006 (Mali, Venezuela, Pakistan).

Ces Forums mondiaux s’accompagnent de forums continentaux ou nationaux qui remportent un certain écho au sein des territoires concernés. Le Forum social européen à Paris, en 2003, réunit par exemple plusieurs dizaines de milliers de personnes pendant une semaine. Apparaissent également des forums thématiques : migrations, éducation, eau, démocratie, logiciels libres…

Chaque édition possède alors la particularité de s’élargir à de nouveaux mouvements, comme les No-Vox, le Mouvement des sans-terre, la Marche mondiale des femmes. Le caractère populaire des Forums est alors incontestable. Ces rassemblements sont incontournables dans le champ internationaliste.

L’alliance du local et du global

Même s’ils ont un impact sur les mobilisations internationales, les Forums ne sont ni un mouvement ni une organisation, aucun appel n’est voté ni même rédigé à la fin des rencontres. Par exemple, la grande manifestation internationale et déconcentrée contre la guerre en Irak, le 15 février 2003, a été pensée par les militantes et militants d’organisations présentes lors du FSM de 2002, mais n’a pas été appelée par le Forum en tant que tel. Malgré des pressions de certains groupes politiques, les Forums refusent de jouer le rôle d’une avant-garde éclairée qui entraînerait de fait une certaine déconnexion. Au contraire, les Forums encouragent les mouvements en lutte à prendre directement la parole, sans intermédiaire. L’idée est de permettre aux actions de terrain de se trouver renforcées, d’avoir de la visibilité, d’être reconnues, y compris dans leurs propres camps.

Le processus altermondialiste est aussi construit sur la base d’alliances, parfois hétérogènes avec des mouvements religieux ou identitaires par exemple. La méthodologie du Forum permet en effet à chaque mouvement de s’approprier cet espace dès lors que la charte des principes est respectée. Ni représentatifs, ni décisionnaires, les Forums souhaitent articuler la diversité des engagements et le pluralisme des opinions.

La charte des principes adoptée dès 2001 à Porto Alegre déclare notamment que « les alternatives proposées au Forum social mondial s’opposent à un processus de mondialisation capitaliste commandé par les grandes entreprises multinationales et les gouvernements et institutions internationales au service de leurs intérêts ».

2009 : l’apogée du processus

La crise de 2008 renforce la pertinence de celles et ceux qui critiquent le système financier et réfléchissent aux alternatives. En cela, le Forum de Belém en 2009 est une réussite, il parvient à rassembler plus de 130 000 personnes ; c’est à la fois inédit et beaucoup plus que prévu. Le CADTM (Comité pour l’annulation de la dette du Tiers-monde, devenu Comité pour l’annulation des dette illégitimes) parle alors de « crise de croissance ». Situé en Amazonie, ce Forum s’empare très clairement de la thématique écologique et permet des alliances avec les peuples indigènes. Le besoin d’action se fait ressentir pour les participants qui ne veulent plus se contenter de débattre. Dans la foulée du FSM se tient également le congrès du Mouvement des sans-terre, ce qui montre l’ancrage territorial du processus international. Et à cette occasion, cinq présidents sud-américains participent à la rencontre ou la soutiennent : Lula, Hugo Chavez, Evo Morales, Rafael Correa et Fernando Lugo.

Alors que la lutte contre les paradis fiscaux trouve dans le monde des points d’appui (provisoires et superficiels) y compris au G20, les pressions sur le capitalisme financier sont fortes. Le FSM poursuit son processus de politisation et l’altermondialisme ouvre des perspectives. Une année d’action globale est décidée en 2010 et de nombreuses initiatives prennent forme dans de nombreux pays.

Vers une nouvelle phase du mouvement altermondialiste

À partir de 2011, les FSM s’organisent tous les deux ans, notamment à Tunis en 2013, puis 2015. Pour Gus Massiah, ancien membre du Conseil international des FSM, une nouvelle tendance est apparue à partir de 2015, avec une perte de vitesse du processus altermondialiste. « Les nouveaux mouvements n’ont pas rejeté les Forums sociaux mondiaux, mais ils ne s’y sont pas reconnus et ne les ont pas rejoints », affirme-t-il en 2020. Il constate un décrochage culturel et une évolution des luttes, tant dans leurs objectifs que dans leur mode d’action.

Le FSM qui s’est tenu à Katmandou en février peut-il être considéré comme un sursaut ? D’une certaine manière, il a au moins permis de se reconnecter avec les parties de la population les plus défavorisées et notamment les Dalits (les intouchables en Inde et au Népal).

Les organisations syndicales népalaises et indiennes sont sorties satisfaites de la marche d’ouverture qui a rassemblé plus de 15 000 personnes le premier jour du FSM. Les jeunes ont également été nombreux à s’investir dans l’organisation de la rencontre.

Cependant, du côté européen, on ne peut que constater une faiblesse d’investissement, notamment chez les Français, particulièrement peu nombreux. Aucun syndicaliste revendiqué, aucun parti politique a priori. Attac et le réseau du CRID (Centre de recherche et d’information pour le développement), historiquement implantés dans cette mobilisation, restaient parmi les rares représentants français. Est-ce le FSM qui est abandonné, ou bien plus largement l’internationalisme français qui est en crise ?

La menace campiste

Il serait intéressant d’étudier les raisons de cette désaffection dans un contexte où l’internationalisme devrait au contraire nous préoccuper davantage. Depuis la guerre en Ukraine en particulier, le campisme retrouve en effet des couleurs à gauche en Amérique latine, dans un certain nombre de pays arabes et en Europe.

Dans les années 1960-1970, le campisme permettait à certains de soutenir l’URSS contre les États-Unis au nom de la lutte contre l’impérialisme. Le campisme invite à choisir un camp et notamment celui qui s’oppose à l’hégémonie américaine. Malgré la fin de la guerre froide, le campisme n’a pas disparu. Cette « vision binaire et idéologique » selon les mots de Bernard Dréano, président du CEDETIM (Centre d’études et d’initiatives de solidarité internationale) doit être combattue. Pour lui, elle est « le contraire de l’internationalisme, le contraire de la solidarité avec des luttes des peuples, la réalité d’un aveuglement ». Il y a donc un enjeu à renouer avec l’internationalisme aujourd’hui.

L’initiative québécoise

À rebours des Français, les Québécois misent toujours sur les FSM, notamment comme outil de formation politique. Cette année encore, les organisations québécoises comme Katalizo permettent à des délégations de jeunes de participer à cette rencontre. Récemment, les militantes et militants québécois ont décidé d’ouvrir une nouvelle phase de la lutte altermondialiste avec l’organisation à Montréal en 2025 d’un Forum social mondial des intersections (FSMI).

Parmi les objectifs, la « multiplication des intersections de savoirs, de générations, de cultures et d’actions pour aspirer à des changements systémiques du local au global ». Partir de sujets qui touchent au plus près les participants, notamment les discriminations raciales ou de genre, pour élargir les mobilisations dans une démarche d’éducation populaire.

Presque un quart de siècle après la première rencontre, les FSM ne doivent cesser de nous interroger. À quoi servent ces grandes rencontres internationales ? Comment intégrer les nouveaux mouvements, notamment ceux inscrits dans une lutte intersectionnelle ? Comment réagir face au campisme ? Comment s’assurer des pratiques décoloniales dans le cadre du futur FSM qui aura lieu au Bénin ? Et dans le cadre des évolutions politiques récentes sur le plan international, tant au Sahel qu’en Ukraine ou en Palestine, ne serait-il pas essentiel que les organisations politiques, syndicales, associatives françaises s’emparent à nouveau des enjeux internationalistes en jouant un rôle maîtrisé et adapté ?

Cet article de notre ami Mathieu Le Toullec est à retrouver dans le n°313 (mars 24) de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale.

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