GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur Syndicats

Le syndicalisme au tournant de l'unité

Dans un double contexte de crise économique et sociale et d’une réforme profonde

de la représentativité syndicale, plusieurs organisations tiennent dans cette période

leur congrès. Après l’UNSA en novembre, c’est la CGT en décembre, puis la FSU début

février. L’ordre du jour de ces congrès voient en filigrane se poser une alternative entre

repli identitaire et dynamique de rassemblement.

L’unité syndicale qui avait prévalu depuis l’automne 2008

au niveau interprofessionnel, donnant lieu à plusieurs

journées de mobilisation d’ampleur sur une plate-forme

de remise en cause des politiques libérales, n’aura pas atteint le

cap d’une année. Depuis la fin août, l’intersyndicale nationale

se tient sans FO, et aucune de ses réunions n’a pu aboutir à une

décision d’action sous quelque forme que ce soit.

Certes, l’impuissance de la mobilisation interprofessionnelle à

créer le rapport de force pour imposer d’autres choix politiques,

a pu conduire à des dissensions au sein des forces syndicales.

Mais, en même temps, chacune des organisations se pose plus

ou moins la question de sa survie ou de son avenir dans un

contexte de refonte complète des règles de représentativité,

dont on peut considérer qu’au-delà d’un cadre législatif et

réglementaire, elles avaient été réellement structurantes du paysage

syndical français depuis l’après-guerre.

LA FIN DE LA REPRÉSENTATIVITÉ ACQUISE

La loi de juin 2008 pour le secteur privé et les « accords de

Bercy », non encore transposés en droit, pour le public, la représentativité

n’est plus accordée d’office aux organisations syndicales

figurant sur une liste « nationale » (en l’occurrence CGT,

CFTC, CGC, FO, CFDT), mais en fonction de leur représentativité

réelle mesurée par leurs résultats aux élections professionnelles.

De même, les conditions sont créées pour aller vers

le principe de l’accord majoritaire, c’est-à-dire de la nécessité

d’obtenir l’accord (pour l’instant au moins « l’abstention »)

d’organisations représentant la majorité des salariés concernés

pour valider un accord.

Cette révolution complète dans les modalités de la négociation

n’intervient pas à froid. Elle s’est faite alors que la répartition

des rôles au sein du syndicalisme entre d’une part des organisations

qui menaient les mobilisations et les actions, et d’autre

part celles qui négociaient et signaient, était remise en cause par

une réorientation de la CGT.

Elle n’est cependant pas sans effet sur les forces syndicales

elles-mêmes. Certaines, spécialisées comme « entrepreneurs de

mobilisation » vont être contraintes de se poser la question de

leur participation au processus de négociation, tandis que

d’autres, qui bénéficiaient d’une rente de situation par la signature

des accords, se posent la question de leur avenir à court ou

moyen terme.

Peu ou prou, cette question n’a pas été sans effet sur l’atonie

syndicale depuis le printemps dernier.

DES MÉCANISMES DE SURVIE

AU BROUILLAGE DES CARTES

Depuis début 2009, en effet, on a vu des initiatives relevant du

mécanisme de survie se faire jour. La plus flagrante a été le projet,

pas complètement enterré mais sérieusement écorné,

d’union entre l’UNSA, dont l’essentiel des troupes, issues de la

FEN, est de tradition « réformiste », et la CGC, historiquement

liée à la droite politique, et notamment au RPR.

En-dehors des deux grandes confédérations, CGT et CFDT,

quasiment assurées de conserver au niveau interprofessionnel et

des branches, leur représentativité, toutes les autres semblent

incapables d’élaborer un projet syndical cohérent pour l’avenir,

laissant à leurs fédérations, à leurs syndicats, la bride sur le cou

pour des rapprochements parfois totalement improbables,

comme celui entre la très laïque FO et la CFTC sociale-chrétienne

à la SNCF...

Le paysage syndical se retrouve ainsi totalement brouillé, sans

qu’aucune perspective de recomposition générale ne semble se

dessiner.

PÔLE RÉFORMISTE

CONTRE PÔLE CONTESTATAIRE

OU UNIFICATION SYNDICALE ?

L’UNSA, a été la première organisation à tenir son congrès en

novembre dernier. Elle a clairement indiqué son objectif : reprenant

les thématiques historiques de la direction de la FEN, qui

avait entraînée la fédération enseignante dans la scission, et

conduit à la création de l’UNSA, elle propose le rassemblement

des forces syndicales « réformistes », sans pour autant abandonner

son idée de rassemblement des syndicats autonomes en

son sein.

Cette lecture du syndicalisme organisé en deux pôles, d’une

part un pôle dit « réformiste » regroupant autour de la CFDT les

organisations négociant et signant, et d’autre part un pôle

contestataire, qui se contenterait de mobiliser, répond en fait à

une lecture anachronique du système syndical depuis que les

principales forces « contestataires », d’abord la FSU et ensuite

la CGT, se sont inscrites dans une démarche qui refuse d’opposer

les deux logiques. Au sein même de l’Union syndicale

Solidaires, les positions de ceux qui défendent un syndicalisme

« révolutionnaire » fermé à toute négociation sont assez fragiles.

Face à ce projet datant des années 80, la FSU semble être en

pointe dans la définition d’une alternative, l’unification syndicale.

Son congrès, qui se tiendra en février, aura à débattre

d’une proposition formulée par son principal syndicat, le SNES

(qui représente environ 40 % des adhérents de la fédération), de

s’engager dans une dynamique d’unification du syndicalisme,

dans une nouvelle organisation nationale dont la CGT, notamment,

serait forcément partie prenante. Ce projet, non encore

ficelé, a fait l’accord sans enthousiasme de Solidaires, qui a

estimé qu’il ne lui serait pas possible de rester sur la touche s’il

se concrétisait.

Le congrès fédéral sera cependant sans doute partagé entre les

tenants d’un maintien de l’identité « éducation nationale » de la

FSU, qui n’a pas vraiment réussi sa transformation en fédération

des services publics, ceux de la sauvegarde de l’appareil et

donc de l’autonomie, et les partisans de cette dynamique d’unification.

LE RÔLE DÉCISIF DE LA CGT

Nul doute que, dans ce contexte, la position de la CGT sera

décisive. Pourtant, elle ne semble pas avoir totalement pris la

mesure de l’occasion historique qui se présente. Dépasser l’opposition

entre syndicalisme dit « réformiste » et syndicalisme

contestataire, abandonner une pratique syndicale refusant

toute négociation sans pour autant sombrer dans une dérive

d’accompagnement à la mode CFDT.

De fait, la principale confédération française semble

refermée sur elle-même, et paralysée par trois questions :

la première, c’est sa disparition progressive du monde

ouvrier. C’est d’abord et avant tout le mythe d’une confédération

«ouvrière» qui est fondateur de la CGT, et,

quelles que soient les évolutions du monde du travail, elle

ne peut se défaire de cette image de ce qu’elle n’est plus...

quitte à refuser de faire ce qu’il faudrait pour le redevenir,

comme en témoignent les réactions très hostiles aux

propositions de modifications des pratiques faites par la

direction (syndicats de site, rôle des UL, etc.)

La seconde, c’est l’incroyable bataille interne qui voit se

confronter d’une part, une direction convertie à un syndicalisme

qui n’oppose pas mobilisation et négociation, et

d’autre part des nostalgiques d’un passé révolu dans

lequel la CGT pouvait se contenter d’être le «bras armé»

d’une alternative politique qui se construirait à côté d’elle

; et dans ce cadre, un rapprochement avec la FSU qui

est fondamentalement construite sur le concept de syndicalisme

de transformation sociale, donc de proposition,

d’action et de négociation, bouleverserait des équilibres

internes qui ne sont pas stabilisés.

Enfin, il est possible que la confédération mise sur les nouvelles

règles de représentativité pour « faire le vide » autour d’elle,

dans un paysage syndical où ne survivraient plus comme organisations

réellement nationales que la CGT et la CFDT, et donc

qu’elle compte, après ce temps de table rase, sur des ralliements

« pieds et poings liés » sans avoir à discuter du fond, des orientations

et des méthodes.

Quoi qu’il en soit, le congrès confédéral de décembre engage

bien plus que l’avenir de la direction actuelle de la CGT ou de

la confédération elle-même : c’est l’ensemble du syndicalisme

français qui est en attente d’un signe mobilisateur, celui de l’ouverture

vers une nouvelle confédération unitaire. Le moment est

propice, il est venu.

On ne peut qu’espérer que la CGT comprendra à temps quelle

est sa responsabilité historique dans l’évolution d’un syndicalisme

français qui vit un des tournants les plus importants de

son histoire.

Daniel Marceau

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