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Bientôt la rentrée…Salauds de pauvres !

Il y a fort à parier que la rentrée sera difficile pour nombre des nôtres. Outre la flambée des prix et les listes sans fin de fournitures scolaires, elles et ils devront faire face à la vindicte de nos gouvernants, trop contents de pouvoir faire porter l’échec de leur politique « sociale » sur de si commodes boucs émissaires. Essai d’analyse – et d’anticipation – de notre camarade Marlène Collineau (écrit début juillet).

À peine l’été qu’il nous faut nous préparer à la rentrée scolaire et à sa litanie de reproches de la classe dirigeante faits aux moins bien nés. Dans un contexte inflationniste sans précédent, les familles auront de réelles difficultés à boucler le budget en septembre 2022. Les enfants en pâtiront concrètement, avec des conséquences qui pourront varier de la gêne aux moqueries, voire au harcèlement scolaire.

La question sociale est tout à la fois question de moyens financiers que de capacité à se fondre dans des habitudes, modes de vie propres à la société dans laquelle on évolue. C’est aussi la possibilité de rattraper, par les modes de vie, celles des plus aisés que soi. De ça, on ne parle que très peu.

L’allocation de rentrée scolaire

Tous les ans, c’est la même rengaine. La rentrée scolaire sonnera la fin de la trêve. La rentrée scolaire sera le retour d’un marronnier médiatique : les pauvres dépensent en téléviseurs l’allocation de rentrée scolaire. Avec des variantes, puisqu’on est maintenant passé aux écrans plats. Demain, assurément, on évoquera les vidéo-projecteurs ou tout autre mode de transmission populaire de nos émissions préférées.

Chaque année, les réponses ministérielles sont affligeantes autant que méprisantes. L’an passé, le gouvernement s’était allégrement engouffré dans la brèche, reprenant l’argumentation des dominants, qui annuellement prennent le parti de juger les pauvres. Puisque que c’est de cela dont il s’agit. Le ministre de l’éducation d’alors, Jean-Michel Blanquer, avait déclaré : « On sait bien, si on regarde les choses en face, que parfois, il y a des achats d’écrans plats plus importants au mois de septembre qu’à d’autres moments ». Le président Macron avait soutenu cette assertion, quelques jours après : « Nous serions aveugles ou naïfs de penser que la totalité de ce que chaque ménage touche en allocation de rentrée scolaire est reversée pour acheter des fournitures ou des livres d’enfants ».

Les réponses des associations de défense du pouvoir d’achat des familles n’avaient pas tardé, reprenant notamment les données de la CAF qui contredisent un mensonge pourtant véhiculé chaque année : les pauvres n’achètent pas massivement des télés avec l’allocation de rentrée scolaire. Même les chiffres des ventes de télés dans les magasins corroborent cette réalité. Aucun pic de pauvres-se-ruant-au-rayon-télés n’existe en août et septembre. Bref, il s’agit bien là d’une invention politique de gens bien nés qui tentent, à longueur d’année, d’expliquer à celles et ceux qui gagnent moins bien leur vie qu’eux combien ils ne savent pas dépenser leur argent.

Et alors, pour aller au bout du raisonnement, combien il n’est pas anormal qu’ils ne parviennent pas à se sortir de leur condition de pauvres. On serait dans la difficulté ou la misère parce qu’on ne saurait pas gérer. Mépris de classe. Justification des inégalités.

La télévision

Au-delà du sujet strictement financier, ou « comment gérer son budget pour les Nuls », il existe dans cette assertion, une pensée profonde, complexe qui se moque ouvertement du mode de vie de ce qu’on peut qualifier rapidement de peuple. La télé, c’est un outil puissant et populaire.

Quoiqu’en pense une certaine élite, la télévision relaie des connaissances, est un vecteur d’émancipation et de construction personnelle. La télé, pour beaucoup, reste le lieu de l’information, des journaux télés aux émissions de reconstitution historique, des programmes jeunesse de vulgarisation scientifique aux retransmissions sportives et cinématographiques. Allumer une télé, c’est souvent s’ouvrir sur un monde qu’on ne connaît pas, qu’on ne touchera jamais qu’à travers l’écran. Il suffit de discuter avec n’importe quelle personne plus âgée, qui à l’envi répète : « Quand j’étais jeune, je ne connaissais pas tout ça. Je n’avais jamais entendu parler de cela. On n’avait pas la télé ».

Que l’on puisse discuter autour des programmes proposés, notamment par le service public de la télévision française, que l’on puisse détester certaines émissions et boycotter des chaînes privées, rien de nouveau. Que l’on puisse émettre des doutes sur la qualité des propositions faites n’a aucun rapport, et n’en aura jamais, avec le sujet qui nous intéresse : la télé fait entrer savoir et culture dans les foyers, apporte réconfort après la dure journée de travail ou crée des discussions autour de la table de la cuisine ou sur le canapé dans le salon.

La télé est un lieu du divertissement les soirées de week-end, présente dans le quotidien d’une très grande majorité de nous, riches compris. Elle est un objet social utile, dont l’usage peut varier, parfois futile, souvent précieux. Bref, à l’opposé des propos dédaigneux de ceux qui, sous prétexte de rationalité et de bonne utilisation des deniers publics, trouvent là prétexte à dénoncer les modes de vie populaires.

La redevance audiovisuelle

En réduisant la télévision à un objet d’abrutissement non essentiel à la vie, on affaiblit au bout du bout le service public. On participe à la pensée globalisante d’outils télévisuels et radiophoniques qui ne présenteraient pas   un intérêt si signifiant. Comme si leur indépendance et la pérennité de leur financement devenaient alors accessoires. Finalement, que le service public puisse proposer au plus grand nombre des émissions de valeur, puissantes, est un combat populaire ! Que le service public entraîne dans son sillon la plupart des chaînes privées, qui adossées à un concurrent sérieux, le secteur public, se voient poussées à niveler vers le haut leurs émissions est un combat salutaire.

À France Télévisions, un salarié sur deux a cessé le travail le 28 juin. À Radio France, trois quarts des salariés étaient en grève, selon le Syndicat national des journalistes (SNJ). La volonté présidentielle de supprimer la redevance dès cet automne ne passe pas. Le risque ? Un budget revu annuellement, dépendant des pouvoirs en place et du regard que ce dernier porterait sur les contenus des programmes*.

Le cynisme gouvernemental

Le gouvernement est perfide. Il promet à celles et ceux qui ont déjà du mal à joindre les deux bouts la suppression d’une taxe. Vous allez payer moins, voilà le message. La fin de la redevance audiovisuelle est justement inscrite dans le paquet de mesures sur le pouvoir d’achat présentée en juillet en Conseil des ministres. Efficace et… terriblement mesquin.

Les reproches à l’égard des vies populaires ne sont pas près de se tarir. La manière dont le gouvernement répond à l’inflation, par la distribution de ces chèques, qu’ils soient alimentaires ou énergétiques, alimente le discours autour de l’usage de ses chèques. Si le chèque est distribué par l’État, alors la société dans son ensemble a un droit de regard sur ce que les bénéficiaires en font. Bien sûr, jamais nous n’aurions idée d’analyser les paniers de course des ménages les plus aisés. Ce sont pourtant dans ceux-ci que nous trouverions, à coup sûr, le plus d’achats compulsifs et inutiles.

Augmenter les salaires

Une fois encore, la manière de couper court à ces critiques, c’est de lutter à la racine des inégalités. Pour ce faire, la réponse est simple. En France, il n’y jamais eu autant de richesses produites, mais elles n’ont jamais été aussi mal distribuées. Il faut augmenter les salaires. En contexte inflationniste, il faut augmenter significativement les salaires, sans quoi les petits salaires tombent rapidement sous le seuil de pauvreté.

Distribuer autrement les richesses est une chaîne vertueuse. Elle permet tout à la fois de bien se nourrir quand les prix agricoles s’affolent, de partir en vacances l’été arrivant, d’imaginer une rentrée scolaire sereine où l’on pourra accéder à la demande d’un enfant afin que, simplement, il possède le même objet à la mode que l’ensemble des petits camarades de sa classe. Augmenter les salaires, c’est aussi la seule manière de réintroduire dans le débat public la notion de consentement à l’impôt, sans quoi tout est vécu comme spoliation, comme privation. Ici, ce serait même accepter d’être taxé pour que la télé et la radio publiques continuent à accompagner notre quotidien.

Cet article de notre camarade Marlène Collineau a été publié dans le numéro 296 de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).

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