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Afghanistan : Le terrible enfermement des femmes se durcit encore

Afghanistan : « Ils ont détruit

le seul pont qui aurait pu me relier à mon avenir » (1)

Le terrible enfermement des femmes se durcit encore. Le 20 décembre, les talibans ont brutalement annoncé que l’université serait désormais interdite à ces dernières. La liste des lieux qui leur sont inaccessibles s’allonge, tandis que l’obligation du port du voile est réaffirmé par un régime tétanisé par la révolution iranienne.

Auparavant, les universités leur étaient toujours accessibles à la condition que femmes et hommes soient séparés dans les classes et que seules des personnes âgées enseignent aux étudiantes. Dès le lendemain de l’annonce, c’est manu militari que les portes leur ont été littéralement fermées, empêchant tout accès aux étudiantes. Des milliers de jeunes filles venaient pourtant de passer l’examen d’accès à l’université.

Après le collège et le lycée, l’université !

Les écoles secondaires étant interdites aux filles depuis la rentrée 2021, elles avaient étudié en secret, à la maison ou avaient pris le risque de fréquenter des écoles privées clandestines créées pour les filles. Mais les jeunes filles avaient persévéré, malgré le danger toujours présent. Et voilà que tous leurs espoirs s’effondrent.

Le désarroi et la colère sont très forts. Quelques manifestations ont eu lieu, par exemple le jeudi 22 décembre à Kaboul. Certaines manifestantes ont été arrêtées tandis que plusieurs enseignants masculins ont donné leur démission, appelant leurs confrères à travers le pays à faire de même.

Les maîtres du pays justifient cette décision en expliquant qu’ils sont en train de travailler sur un « plan global » et « islamique » pour que les filles au-delà de 12 ans puissent de nouveau avoir accès à l’éducation. Pour le moment, aucun signe ne laisse penser qu’un tel « plan » soit en cours de préparation.

Les ONG interdites d’employer des femmes

Quatre jours après cette décision, les talibans ont annoncé l’interdiction faite aux organisations non gouvernementales, qu’elles soient afghanes ou étrangères, d’employer des femmes.

Cette décision, dictée par un incroyable obscurantisme, ne va qu’accroître le chaos dans lequel est plongé le pays. Dès à présent, de nombreuses ONG internationales, mais aussi des associations afghanes dirigées par des femmes, ont dû annoncer l’arrêt de leurs activités. Parce qu’elles ne peuvent accepter ce diktat et qu’elles ne peuvent fonctionner sans les femmes. « Il est important […] de rappeler que 40 % de nos collègues sont des femmes. Que sans ces femmes qui travaillent avec nous, il est impossible de servir et d’aider plus de la moitié de la population dans le besoin », explique Samy Guessabi, directeur de Action contre la faim, cité par RFI.

Non seulement l’aide humanitaire ne pourra être délivrée, mais elle va renvoyer de nouvelles familles dans la misère car les ONG constituent l’un des rares secteurs qui compte un pourcentage élevé de femmes parmi leurs employés. Ces femmes sont souvent les seules à travailler au sein de leur foyer et à soutenir leur famille financièrement. Quelques ONG, qui interviennent notamment dans le secteur médical, en revanche ont décidé de poursuivre leurs activités. Jusqu’à quand ?

Instauration d’un apartheid de genre

Depuis leur nouvelle arrivée au pouvoir en août 2021, le niveau des restrictions imposées aux femmes par les talibans dans la vie quotidienne, comme dans la vie sociale, économique, politique, a pris chaque jour plus d’ampleur. Filles interdites d’enseignement après 12 ans, restriction de l’emploi des femmes, femmes fonctionnaires exclues de la plupart des emplois publics, ou payées une misère pour rester à la maison, obligation d’être accompagnées d’un marham (un accompagnateur masculin) dans les déplacements en dehors de leur ville, interdiction de jouer de la musique, de figurer dans des séries télévisées à moins qu’elles ne promeuvent une thématique islamique.

En novembre dernier, à Kaboul, les femmes ont été empêchées d’entrer dans des lieux publics tels que les parcs et les salles de sport. Pour « justifier » cette décision, le gouvernement invoque le non-respect des règles qu’il a lui-même édictées sur le port du voile, les talibans ayant imposé, dès leur retour au pouvoir, l’obligation du port d’un hijab, puis d’un voile intégral, « idéalement une burqa ». De l’aveu même du régime, il régnait encore dans les rues de la capitale un forme de « mixité », le port du hijab n’étant pas réellement respecté. « C’est pourquoi une telle décision a été prise pour le moment ».

En Afghanistan comme en Iran, les féministes ont théorisé la situation à laquelle elles sont confrontées comme un « apartheid de genre ». Le voile obligatoire en est le symbole. C’est en cela que l’obligation du port du voile est un pilier de la théocratie.

Enfermer les femmes, asservir un peuple 

En imposant leur contrôle sur le corps des femmes, c’est sur tout le peuple que les talibans veulent imposer leur pouvoir autoritaire et brutal. Ce qui se passe en Iran nous éclaire sur la place déterminante de l’enfermement des femmes dans l’affirmation d’un pouvoir autocratique liberticide.

Comme le dit, l’anthropologue franco-iranienne Chowra Makaremi à propos de l’Iran : « Le système dapartheid de genre est une architecture appliquée à d’autres populations que les femmes, qui définit la nature politique de la société iranienne toute entière. Une société à deux vitesses avec des inégalités fondamentales pour plus de la moitié de la population. Les inégalités et la domination qui touchent les femmes ont leur pendant à l’égard d’une foule de minorités invisibilisées, à commencer par les minorités ethnico-religieuses. Les mécanismes de domination ont été identifiés, nommés, et c’est contre eux que se soulève la population. Ils concernent aussi les hommes, qui réclament plus de libertés »(2).

C’est pour cela que la situation iranienne est suivie avec attention en Afghanistan. Une manifestation de femmes, vite réprimée, a eu lieu devant l’ambassade d’Iran à Kaboul. « De Kaboul à l’Iran, dites non à la dictature ! », disait la banderole.

Cet article de notre camarade Claude Touchefeu a été écrit le 28 décembre 2022. Il a été publié dans le numéro 301 (janvier 2023) de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).

(1) Une étudiante de l’université de Kaboul citée par la BBC.

(2) https://information.tv5monde.com/terriennes/le-voile-symbole-d-un-apartheid-de-genre-en-iran-selon-chowra-makaremi-474527.

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