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L’Iran en révolution : jusqu’où ira la contestation ?

Voilà plus 4 mois jours que les femmes iraniennes d’abord, la masse de la population ensuite, bravent le régime des ayatollahs. On peut d’ores et déjà affirmer que le mouvement actuel va plus loin que les mobilisations de 2009, de 2015, de 2017 ou encore de 2019-2020, toutes été réprimées dans le sang. Mais jusqu’où ira-t-il ?

À l’instar du « printemps arabe » qui a fleuri après l’immolation du jeune vendeur ambulant Mohammed Bouazizi, le 17 décembre 2010, le mouvement de contestation qui ébranle actuellement l’Iran à un visage : celui de la jeune Mahsa Amini, morte tragiquement le 16 septembre 2022 des suites des violences qui lui ont été infligées par les sbires de la Police des mœurs, trois jours après avoir été arrêtée à Téhéran pour « port de vêtements inappropriés ». On connaît la suite : l’intense émotion qui a saisi tout le pays, au point de toucher l’opinion publique mondiale, la protestation de ces milliers de femmes admirables brûlant leur voile et exhortant leurs sœurs à ne pas avoir peur, la belle mobilisation populaire, mais aussi l’affligeant immobilisme du régime et la sinistre répression qu’il déploie comme seule réponse aux dizaines de milliers des manifestantes et manifestants qui le défient…

Montée et généralisation

Le mouvement de protestation a eu pour premiers foyers le Kurdistan iranien, dont était originaire Mahsa Amini, ainsi que Téhéran, où elle a été suppliciée par ses pervers bourreaux. C’est dans la capitale, où les tendances féministes sont anciennes et puissantes, que le mouvement anti-voile a commencé. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il a essaimé depuis, puisque la totalité du territoire iranien a été rapidement touché, du centre perse au Kurdistan iranien (où la lutte contre l’oppression faite aux femmes rejoint la défense de l’identité nationale), en passant par les marges azerbaïdjanaises et baloutches, où les affrontements sont quotidiens. Parallèlement, la mobilisation s’est généralisée au point de toucher l’écrasante majorité de la population qui sympathise avec le mouvement de protestation et le soutient à défaut de le rejoindre activement. Plus de trois mois après l’étincelle, le mouvement ne semble pas faiblir.

Pendant des semaines, c’étaient les jeunes qui étaient en pointe. Depuis septembre, on assiste, dans les villes iraniennes, à des manifestations « sauvages » et très mobiles généralement lancées par les jeunes de tel ou tel quartier. Le mouvement étudiant a pris une place prépondérante dans la mobilisation populaire et, dans la quasi-totalité des grandes villes et même dans nombre de petites agglomérations, les universités et les facs sont en grève et en manifestation journalière. En général, les manifestants se regroupent à l’extérieur des locaux, puis se répandent en petits comités dans les différents quartiers. À noter que le régime a bien essayé de créer des endroits pour « discuter » avec les protestataires, mais il a prestement reculé après avoir constaté que ses représentants étaient immanquablement humiliés et insultés lors des « débats » qu’il a bien voulu organiser.

La classe ouvrière a très vite rejoint le mouvement à sa façon. Des villes comme Karadj, située à 40 km de Téhéran, ou encore Foulad Shahr (nom qui signifie « Ville d’acier »), construite à proximité d’Ispahan pour loger les ouvriers de l’énorme complexe sidérurgique installé dans la troisième ville iranienne, ont toutes deux vu de grands rassemblements qui se sont terminés par des violentes échauffourées avec les forces de l’ordre. Malgré des grèves sporadiques, on a toutefois pu constater, surtout au début du mouvement, une forme de retenue de la part des ouvriers de l’industrie, qui s’explique notamment par les nombreuses arrestations préventives qui ont touché leurs leaders. Leurs protestations en restaient à un niveau revendicatif et évitaient très souvent de mentionner la situation politique générale, comme s’ils ne voulaient pas donner un prétexte à l’État pour déclencher une répression massive à leur égard. Mais cette attitude de soutien passif est peut-être déjà dernière nous.

Une répression qui n’a rien d’aveugle

Vu l’ampleur de la contestation, il est difficile d’être surpris de la débauche de violence dont fait preuve le régime pour perpétuer sa domination. Dès la fin du mois de septembre, Amnesty International accusait les forces de sécurité iraniennes d’avoir « délibérément tiré des balles réelles, des grenailles et d’autres plombs pour interrompre violemment des manifestations majoritairement pacifiques ». Dans la ville baloutche de Zahedan, où 66 personnes ont été tuées le 30 septembre, la police a ouvert le feu à balles réelles sur les manifestants. Nous reviendrons un peu plus loin sur cet effroyable massacre. Ailleurs, ce sont des armes « non-létales » qui sont généralement utilisées sans discernement par des bassidjis mal formés, et de toute façon couverts par leur hiérarchie : bombes lacrymogènes, lance-grenades et tasers, voire chevrotines. Le jeune manifestant Reza Shahparnia, mort le 20 septembre à Kermanshah, a ainsi succombé, selon sa famille, à des blessures causées par les quelque 70 chevrotines qu’il a reçues dans le corps.

Le bilan macabre de cette répression ne cesse de s’allonger jour après jour. Au moment où ces lignes sont écrites, il s’établissait à plus de 500 morts et à 18 000 arrestations. Ces derniers temps, c’est la répression judiciaire qui défraye le plus la chronique. Autour de la mi-décembre, une quinzaine de jeunes hommes ont été condamnés à mort, selon Amnesty International. Plusieurs ont déjà été exécutés, dont Majidreza Rahnavard, âgé de 23 ans, que le régime a décidé, pour terroriser les opposants, de pendre publiquement le 12 décembre, à l’issue d’une parodie de justice. Lors de son « procès » – qui a consisté en une seule audience devant un tribunal révolutionnaire –, il a été accusé d’avoir poignardé mortellement deux miliciens volontaires à Meched, le 17 novembre. Avant sa comparution, les médias officiels ont diffusé des vidéos dans lesquelles il livrait des « aveux » forcés, le bras gauche lourdement bandé, ce qui laisse clairement entendre qu’il a été torturé. Une bonne dizaine de jeunes gens peuplent encore les couloirs de la mort d’un régime moralement déchu.

Autre point décisif : la violence sexuellement asymétrique des forces de sécurité, qui peut aller jusqu’au viol. Malgré les risques qu’ils encourent, une dizaine de professionnels de santé iraniens ont témoigné en ce sens dans les colonnes du Guardian du 8 décembre dernier. Un médecin de la province d’Ispahan a ainsi rapporté avoir constaté que les forces de l’ordre ciblaient les hommes et les femmes de manière différente. Un de ses confrères de Karadj confirme qu’elles « tirent avec des petits plombs, visant le visage, la poitrine et les parties intimes des femmes », autant de blessures que l’on ne retrouve pas chez les hommes. Les soignants constituent l’autre catégorie tout particulièrement ciblée par les forces du régime. Les manifestantes et manifestants blessés ne vont en effet que rarement dans les hôpitaux où ils craignent d’être arrêtés ou torturés par les pasdarans, et ils ont recours à des médecins solidaires qui les soignent illégalement, au grand dam d’un régime qui ne s’en laisse pas compter. Le 12 décembre, Aida Rostami, une médecin de 36 ans, a ainsi disparu après avoir quitté le domicile d’un manifestant blessé. Sa dépouille a été rendue à sa famille quelques jours plus tard par des autorités qui ont conclu à un accident de voiture, alors que des traces de torture sont manifestes. Sur Instagram fleurissent les appels à une grève de plusieurs jours pour protester contre la mort de la jeune femme.

Généralisation et radicalisation

La contestation contre le régime désormais universellement honni ne s’exprime pas que par des manifestations, loin s’en faut ! Il faut citer par ailleurs les sit-in, les actes symboliques de la part de personnalités, ainsi que l’activisme de tant de citoyennes et de citoyens anonymes sur les réseaux sociaux, mais aussi – et peut-être surtout – les puissants rassemblements à l’occasion des funérailles des victimes de la répression. Dans l’islam chiite, on célèbre les défunts au troisième, au septième, puis au 40e jour de leur mort. L’actuelle mobilisation est nourrie de ces cérémonies religieuses, théoriquement privées, qui deviennent de véritables manifestations contre le régime, se dirigeant vers les cimetières, à l’extérieur des centres-villes contrôlés par les forces de sécurité. Ainsi, le 40e jour du massacre de Zahedan a été célébré, le 11 novembre dernier, par des rassemblements, appelés par la jeunesse, dans toutes les villes du pays. Incontestablement, des pratiques de ce genre unifient le mouvement et lui permettent de toucher de nouvelles couches de la population.

L’autre facette de cette mobilisation inédite, c’est sa dimension internationale. Grâce à l’activisme courageux de milliers d’Iraniennes et d’Iraniens sur les réseaux sociaux, cette révolte, contrairement aux précédentes, est parvenue à s’incarner. Par des visages féminins dévoilés et par des corps en révolte. La tribune que pouvait constituer – malgré toutes les critiques ô combien légitimes que l’on pouvait formuler à son encontre – la Coupe du monde de football au Qatar a par exemple été saisie par nombre de militantes et militants qui ont pu dénoncer devant le monde entier, au grand dam des mollahs impuissants, la sanglante répression que subissait leur peuple. Des personnalités du monde du sport ou du cinéma ont également apporté leur soutien au mouvement de protestation en cours. Parfois à leurs risques et périls. La célèbre actrice Taraneh Alidoosti, par ailleurs ardente militante féministe, a par exemple été arrêtée, le 17 décembre, pour son soutien aux manifestations.

Ajoutons, pour finir sur ce point, que de nombreuses données confirment une forme de radicalisation de la protestation protéiforme qui a saisi l’Iran depuis l’annonce de la mort de Mahsa Amini. Le slogan initial « N’ayez pas peur ! », s’adressant aux femmes, a par exemple vite laissé la place, dans les manifestations, à un « Ayez peur ! » cette fois dirigé frontalement contre le régime des ayatollahs. Plus généralement, la revendication de la fin de l’obligation de porter le hidjab a été dépassée par des appels à la chute du régime. Les slogans « Mort au dictateur ! » et « À bas la République islamique ! » sont maintenant les plus repris dans les cortèges. Le 17 novembre, à Khomeyni Shahr, une ville à la population très pieuse qui n’avait jusque-là guère participé au soulèvement, la foule a mis le feu à la maison natale du fondateur de la République islamique, l’imam Khomeyni. Un tel acte était tout bonnement impensable avant le 16 septembre 2022. C’est à ce genre de bond en avant de la conscience collective que l’on reconnaît les révolutions.

Quelques extraits d’un tract collé sur les murs de Téhéran, en novembre dernier, par un collectif qui répond au nom poétique de « Ceux qui répandent du soleil » suffisent à appréhender ce qui se joue actuellement dans les villes iraniennes. Il y est écrit : « Que les gens puissent vraiment décider par eux-mêmes des questions qui les concernent. […] La répartition des richesses doit être équitable dans toutes les régions du pays. Les personnes non-persanes doivent pouvoir apprendre et enseigner dans leur propre langue. Personne ne devrait être exclu de la société en raison de son orientation ou de son identité sexuelle. Les universités devraient être dirigées par des étudiants, des professeurs et des employés ». On peut lire un peu plus loin, avec le sentiment que ces lignes pourraient être écrites partout ailleurs dans le monde : « L’éducation, la santé et un logement convenable et gratuit doivent être accessibles à tous. Les retraités doivent pouvoir vivre confortablement. […] Nous ne voulons pas être pauvres. Que les mains des 1 % de riches soient écartées de la vie des 90 % de pauvres ». Le tract se conclut par ces mots : « Le renversement de la République islamique est une condition nécessaire pour réaliser les souhaits de la majorité du peuple, mais ce n’est pas une condition suffisante. Pour cette raison, nous ne sommes pas des subversifs ; nous sommes des révolutionnaires, car la révolution signifie le renversement de l’ordre dominant oppressif et le changement radical au profit de la majorité des travailleurs ».

Un soulèvement qui vient de loin

C’est naturellement l’assassinat barbare de Mahsa Amini qui a constitué l’étincelle mettant le feu aux poudres. Mais nombre d’observateurs estiment que les braises de la révolte avortée de 2019-2010 couvaient sous les cendres. En réalité, le régime était sur la sellette depuis l’arrivée de l’ultra-conservateur Ebrahim Raïssi à la tête de la République islamique. Il a certes été élu président en juillet 2021, dès le premier tour, avec 72 % des suffrages, mais le scrutin a été marqué par un nombre important de votes blancs (14 % des votants) et par une abstention atteignant 51 % des inscrits – un record pour une élection présidentielle depuis 1979 et la proclamation de la République islamique. Le quotidien El País a même parlé, à l’occasion de ce scrutin d’un véritable « exercice de désobéissance civile ». Après la « parenthèse » Rohani (2013-2021) dont l’apogée fut la signature de l’accord sur le nucléaire iranien avec les Occidentaux, les conservateurs, déjà largement majoritaires au Parlement, ont repris la totalité des rênes du pays entre leurs mains, en contradiction manifeste avec les aspirations profondes d’une société jeune et en pleine mutation. Ce hiatus entre l’État et la société s’explique par la gangue théocratique qui corsète le pays. Les candidatures au Parlement (Majlis) et à la présidence sont en effet examinées par le Conseil des Gardiens de la révolution qui peut « rejeter toutes celles qui ne sont pas considérées comme conformes » aux vues du régime et de son Guide suprême, comme le signale Jonathan Piron. Et l’historien d’ajouter : « C’est un verrou puissant à la disposition de la République islamique car cela écarte tous ceux qui pourraient être tentés de proposer des réformes politiques qui modifieraient le système en place ». Le divorce entre le régime, toujours plus conservateur, et la société, de plus en plus ouverte et tolérante, trouve là son origine.

L’économie de l’Iran est par ailleurs en panne, sinon exsangue. Le PIB a fortement diminué, avant même la pandémie, en 2018 et 2019, suite au retrait des États-Unis, décidé par Trump, de l’accord sur le nucléaire. En raison des destructions de la Guerre Iran-Irak et du maintien d’une forte natalité, le PIB réel par habitant est plus faible aujourd’hui qu’au moment de la Révolution. À cette situation économique déprimée, qui doit autant à l’incurie du régime et à sa corruption qu’aux sanctions américaines, s’ajoute une inflation galopante. Le président Raïssi, qui avait promis un dollar à 5 000 tomans quand il était effectivement à 8 000, sous Rohani, doit actuellement faire face à un rapport de 1 à 40 000 entre le « billet vert » et la monnaie nationale. La devise iranienne est en chute libre depuis l’échec des négociations sur le dossier du nucléaire, et la contestation actuelle n’arrange pas les choses. La fuite des capitaux, qui s’explique par les incertitudes du moment présent et qui s’exprime notamment par l’effondrement des prix de vente des villas et des appartements de luxe de la haute société, est un fait avéré. La chute du pouvoir d’achat de la masse de la population causée par cette inflation record joue naturellement un rôle dans la mobilisation actuelle. À noter que la pauvreté est, sans surprise, sexuellement marquée en Iran, puisque près de deux tiers des pauvres sont des femmes. Ajoutons à cela que le taux de chômage des jeunes y est supérieur à la moyenne régionale, et on comprendra que la révolte actuelle n’est pas née de rien.

Le poids de la pauvreté permet notamment de comprendre les raisons profondes du soulèvement de Zahedan, fin septembre dernier. Les habitants (majoritairement sunnites) de cette région frontalière du Pakistan, et bordée par le Golfe arabo-persique, sont en effet très pauvres. Oubliée des subventions d’État, elle subsistait jusqu’à récemment de la pêche, de l’élevage, de l’agriculture et, marginalement, de la contrebande. Mais depuis que la République islamique a accordé le droit de pêche aux bateaux-usines chinois qui raclent le fond du Golfe, les pêcheurs traditionnels voient leurs revenus s’amoindrir jour après jour. Pour ce qui est de l’agriculture et de l’élevage, la crise de l’eau, résultat de l’absence de toute politique environnementale cohérente, a mis fin à toute activité. La masse de la population s’est donc vu acculée à la contrebande du pétrole et est régulièrement prise pour cible par les pasdarans, désireux de garder l’exclusivité de ce juteux marché transfrontalier qui permet, comme tous les autres trafics, d’enrichir des zélateurs du régime décidément pas si désintéressés qu’ils ne le prétendent. La misère ambiante et la haine du régime corrompu : nous voilà aux sources de la révolte baloutche.

Un dernier fait semble prouver que, même au sein de l’appareil d’État habituellement tenu par les nombreuses prébendes dont ses agents sont gratifiés, des fissures apparaissent. Un nombre assez important des victimes de la répression, à hauteur de 15 à 20 %, sont en effet des descendants de soldats tombés au champ d’honneur pendant la Guerre Iran-Irak, qui sont reconnus comme tels par l’État et ont de ce fait accès à des droits et des privilèges (pensions, quota d’inscriptions à l’université ou de postes dans les administrations…). Cette donnée intéressante suggère une baisse, relative, mais bien réelle, du soutien à la République islamique au sein même de sa base clientélaire.

Nouvelles formes de luttes

Face à la répression dont tout indique qu’elle s’intensifie, les contestataires cherchent à mettre en œuvre d’autres formes de mobilisation. La première est certainement l’appel au boycott de tous les produits des sociétés en rapport direct ou indirect avec l’État et avec les pasdarans, ce qui correspond à plus de 80 % des marques. La société Mihane (pour « patrie »), productrice de desserts glacés largement distribués dans les cantines publiques (écoles, lycées, universités, hôpitaux, administrations, forces de sécurité…), est par exemple impliquée dans le transport par camions des troupes et des prisonniers, raison pour laquelle les consommateurs sont invités à boycotter les produits de cette marque. Ces dernières semaines, la baisse des ventes de Mihane serait considérable, ce qui laisse entendre que les appels au boycott sont largement suivis.

« Il n’y a aucun signe positif des autorités. Plutôt que de manifester, les gens décident de faire la grève. Il y aura moins de tirs et donc moins de victimes. » C’est ainsi que s’exprimait une habitante de Téhéran au micro de France Télévisions, le 17 décembre. Le recours à la grève est de plus en plus débattu, maintenant que la mobilisation touche la majorité de la population. Les 15, 16 et 17 novembre dernier, les commerçants étaient appelés à fermer boutique pour dénoncer la répression et les difficultés économiques. Le mouvement a visiblement été massivement suivi, notamment à Téhéran où le Grand bazar a dû être fermé, alors que les commerçants y ayant échoppe sont considérés comme des soutiens du régime et qu’ils ne se sont pas mobilisés depuis 2009. Un nouvel appel à la grève générale a été lancé, entre le 5 et le 7 décembre, pour que les commerçants puissent exprimer leur soutien aux manifestants. L’avant-garde jeune et urbaine cherche par ailleurs le contact avec les bastions ouvriers de la sidérurgie et du pétrole, et plusieurs indices suggèrent que ces derniers ont failli basculer à plusieurs reprises (notamment fin octobre et à la mi-novembre), même s’ils se sont cantonnés à des mouvements ponctuels de protestation contre la répression. En la matière, les prochaines semaines seront certainement décisives.

Face à la répression qui les vise spécifiquement, les ouvriers sont obligés de trouver des voies détournées pour stopper le travail sans le proclamer de manière ouverte. On assiste par exemple à une recrudescence des actes de sabotage sur les machines, sur les camions ou encore sur les bus, ce qui permet de créer des blocages dans les chaînes de production ou d’arrêter effectivement le travail sans risquer de se faire arrêter pour fait de grève. Ce type d’arrêt de travail est manifestement devenu très fréquent en Iran, ces dernières semaines.

Quelles perspectives ?

Vu le poids de la censure et la faiblesse de notre information, il serait aventureux de se risquer au moindre pronostic. Il est toutefois clair que les jeunes, les femmes et, plus généralement, les salariés iraniens ne peuvent compter que sur leurs propres forces pour aller de l’avant et qu’ils doivent retrouver le chemin de l’auto-organisation que leurs prédécesseurs avaient emprunté avec tant de hardiesse en 1979 s’ils veulent obtenir la chute du régime.

Contrairement au Mouvement vert de 2009, où la contestation populaire s’appuyait sur la frange « libérale» de l’appareil d’État pour dénoncer la réélection frauduleuse du très conservateur Mahmoud Ahmadinejad, un point de non-retour semble en la matière avoir été franchi lors du soulèvement actuel. Selon Carole André-Dessornes, spécialiste du Moyen-Orient, « si le régime recule et décide de ne plus rendre obligatoire le voile, les manifestations ne s’arrêteront pas malgré tout. Il s’agit désormais d’une lutte contre le régime, le mouvement est allé trop loin. La parenthèse réformiste du pays s’est achevée, et plus personne ne croit désormais à une réforme du régime ».

Même si cela peut paraître dérisoire, vu la férocité de la répression que leur oppose la clique gouvernementale aux abois, que les manifestantes et manifestants iraniens soient sûrs, non seulement de notre soutien inconditionnel, mais aussi de notre sincère admiration.

Cet article de notre camarade Jean-François Claudon a été écrit fin décembre 22. Il a été publié dans le numéro 301 de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).

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