GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Féminisme

Accueil petite enfance : l'envers de la médaille

Malgré les fortes mobilisations des salariées du secteur de la petite enfance, depuis plus de deux ans et dans le contexte de l’actuelle crise sanitaire, le gouvernement veut imposer, par ordonnance, sa réforme des établissements d’accueil du jeune enfant.

La présentation de la réforme « Taquet » par le ministère pourrait devenir un modèle de communication politicienne. Chaque mesure est présentée sur son côté face, positif, sympathique, voire enthousiasmant : « La réforme permettra de créer, sans délai, des places de crèches supplémentaires... ». « La réforme lèvera par ailleurs des freins importants à l’accueil en horaires atypiques, c’est-à-dire tôt le matin ou tard le soir... ». Ou encore : « Elle introduira pour les établissements un référentiel bâtimentaire national et opposable, en introduisant des standards de surface, de décibels et de luminosité… ».

La com’ ...et le réel

Malheureusement, pour chacune de ces mesures, la mise en œuvre concrète, loin de constituer une amélioration de la situation, passe par une détérioration des conditions de travail et d’accueil.

Plus de places en crèche ? Oui, mais en portant de dix à douze enfants la capacité d’accueil maximale des micro-crèches, sans en augmenter les exigences en matière d’encadrement, qui sont moins importantes que pour des structures de multi-accueil.

Plus de places en crèche ? Oui, mais en augmentant les possibilités d’accueil en surnombre (possibilité de dépasser chaque jour de 15 % l’effectif de l’agrément), ou en incluant dans les taux d’encadrement les apprentis jusqu’à 15 % de l’effectif de l’établissement.

Lever les freins aux accueils atypiques ? Oui, mais en autorisant les établissements à ce qu’un seul professionnel puisse accueillir jusqu’à trois enfants dans ces plages horaires – alors qu’aujourd’hui deux professionnels sont exigés dès le premier enfant.

Définir des normes bâtimentaires ? Oui, mais en définissant un minimum de 5,5 m2 par enfant en zone dense, alors que les professionnels estiment le besoin à 7 m2.

Rapport non suivi d’effets

Le gouvernement prétend que « cette réforme constitue le volet modes d’accueil de la démarche des Mille premiers jours qui entend concentrer l’attention et les moyens sur cette période fondatrice pour l’enfant ».

Nous avons déjà parlé de ce rapport Les mille premiers jours, là où tout commence, remis au gouvernement par Boris Cyrulnik en septembre 20201. Il s’agit d’un document fort intéressant ; malheureusement sur ce sujet comme sur d’autres, le gouvernement reprend l’intitulé des têtes de chapitres sans en garder le contenu précis.

Le rapport constate : « L’encadrement pédagogique est un élément essentiel de la qualité éducative et des soins dans les modes d’accueil. Pour ce qui concerne les EAJE, on applique en France un ratio enfants/professionnel de cinq enfants non marcheurs/adulte et de huit enfants marcheurs/adulte. Ce taux est plus faible que la moyenne des pays de l’OCDE qui est de cinq enfants/adulte. Les données montrent que des taux d’encadrement plus élevés sont systématiquement associés à des relations de meilleure qualité entre le personnel et les enfants dans les EAJE » (p. 110).

Le rapport préconise donc «  le respect d’un ratio de cinq enfants par adulte tous âges confondus avec au moins 70 % de professionnels diplômés (IDE, Puer, EJE, AP auprès des enfants ». Pourtant la réforme introduit la possibilité pour les établissements d’avoir un taux d’encadrement d’un adulte pour six enfants, tous âges confondus, y compris donc les bébés.

Le rapport préconise également de « garantir une surface intérieure de 7 m2 minimum par enfant dans les modes d’accueil partout en France et un accès quotidien à un espace extérieur ». Là encore, la réforme ramène cette surface à 5 m2 en zone dense.

Pas de bébé à la consigne !

Les personnels de la petite enfance ne s’en laissent pas conter. Regroupés dans le mouvement « Pas de bébé à la consigne », syndicats et associations de professionnels se battent et dénoncent le fait que « les nouvelles dispositions se traduiraient par une augmentation du ratio d’enfants accueillis pour un taux plus réduit en personnel et de moins en moins qualifié, limitant parallèlement la disponibilité des adultes envers les besoins et le bien-être des enfants »2.

Le collectif dénonce l’hypocrisie de la réforme qui prétend apporter un gage de qualité pour le secteur à travers une « charte nationale de l’accueil du jeune enfant », mais en réalité dégrade les conditions de travail et d’accueil. Il condamne également l’intention non avouée du gouvernement : « Par la baisse des règles d’encadrement, il vise en réalité à satisfaire les gestionnaires du secteur privé lucratif ».

Et oui, ce gouvernement continue à tourner le dos à la création d’un véritable service public de la petite enfance, on est encore bien loin d’ailleurs « d’un droit opposable à l’accueil de l’enfant, comme dans les pays nordiques », à nouveau préconisé dans le rapport Cyrulnik.

Cet article de notre camarade Claude Touchefeu a été publié dans le numéro 286 de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).

1. Voir « Congé de paternité : un premier pas à confirmer », D&S278, octobre 2020, p. 18.

2. « Pas de bébé à la consigne » regroupe une cinquantaine d’organismes, syndicats et associations de professionnels dont la CGT, la CFDT, la FSU, SUD, le SNPPE, le SNMPMI (médecins de PMI), la FNEJE (éducateurs de jeunes enfants), l’ANAPSY.p.e (psychologues petite enfance), l’ACEPP (crèches parentales), le CERPE (organisme de formation)…

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