GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Extrême-droite

Le Rassemblement national, néo ou post-fasciste ?

Les formations d’extrême droite actuelles ne pourraient pas devenir des partis fascistes, parce que la base sociale nécessaire à leur existence fait défaut. Une crise économique systémique pourrait toutefois leur fournir une base de désespérés d’une toute autre ampleur que celle des années 1930.

Un tel afflux vers le RN ou d’autres mouvements populistes ailleurs en Europe aurait des répercussions sur le programme, les méthodes, l’organisation de ces partis. Voilà pourquoi il est nécessaire de s’y intéresser de près et ne pas considérer qu’ils sont de même nature que les formations de la droite classique, mêmes les plus ultra-libérales et les moins démocrates.

Ce qu’est le fascisme

Ce terme – omniprésent à gauche, mais rarement défini avec précision – renvoie aux mouvements d’extrême droite nés après la Première Guerre mondiale, notamment en Italie et en Allemagne, qui avaient en commun de prôner une régénération nationale permise par la mise au pas violente des ennemis intérieurs comme extérieurs. Ce qui différencie spécifiquement les organisations fascistes des autres formations de droite autoritaire, c’est l’importance conférée aux milices de ces partis, recrutant largement dans la petite bourgeoisie paupérisée (SA pour le NSDAP et fasci pour le Partito nazionale fascista).

L’existence, au sein des mouvements de type fasciste, d’« organisations de masse » implantées dans les couches moyennes a produit, à un moment donné, un rapport spécifique entre ceux-ci et la grande bourgeoisie, à commencer par le patronat industriel. À partir de 1920 et Italie et de 1932 en Allemagne, la fraction dominant le patronat national (ainsi que les milieux agrariens, notamment en Italie) qui considérait jusque-là avec méfiance la violence des milices du PNF et du NSDAP, s’est en effet résolue à utiliser les bandes fascistes, qui remettaient en cause les formes libérales-démocratiques de la société bourgeoise, mais non son existence en tant que telle, afin de sauver leur domination de classe menacée par la montée du mouvement ouvrier (grèves avec occupation d’usines ou de domaines agricoles et poids du PSI en Italie, effondrement économique, réveil du KPD et radicalisation de la base du SPD en Allemagne).

D’où l’interprétation marxiste traditionnelle du fascisme comme un mouvement réactionnaire dont la fonction principale consiste à mobiliser, au profit du grand capital, les classes intermédiaires paupérisées face aux couches populaires et à atomiser la classe ouvrière par la destruction de ses organisations traditionnelles (partis, syndicats et coopératives). Une fois le mouvement ouvrier et les organes de la démocratie représentative sur lesquels il s’appuyait (parlement, multipartisme, liberté de la presse...) brisés par la violence des bandes fascistes, la domination du parti unique exproprie la bourgeoisie du pouvoir politique. Mais l’économie dirigée mise en place fait la part belle aux grandes dynasties industrielles et financières, trop heureuses de voir les syndicats remplacés par les corporations louant les intérêts communs – et « nationaux » – des employeurs et des salariés.

Le fascisme aujourd’hui ?

Que la petite bourgeoisie ait fondu comme neige au soleil est une bonne nouvelle du point de vue de la formation d’un parti fasciste. De tels partis ne peuvent plus exister aujourd’hui, pour la simple et bonne raison qu’ils ne trouveraient plus de base sociale conforme à leur nature. La dernière apparition massive (et violente) de ces « classes moyennes » sur le terrain politique était l’UDCA des années 1950 dont le dirigeant était Pierre Poujade. Son principal lieutenant était d’ailleurs un certain Jean-Marie Le Pen…

D’un autre point de vue, cette « impossibilité du fascisme » est aussi une mauvaise nouvelle. La crise de 1929, quoiqu’extrêmement dévastatrice avait en effet eu une limite : le fait que le salariat n’ait alors constitué que 60 % de la population active aux États-Unis et en Allemagne et 41 % en France. La « petite production » jouait un rôle d’amortisseur de la crise qui s’éteignait lorsqu’elle atteignait les secteurs de la petite production. Si la crise des années 1930 a été moins forte en France qu’en Allemagne ou aux États-Unis c’est, en grande partie, dû au fait que le salariat était relativement moins important en France.

Dans les années 1930, la force des organisations de type fasciste, s’appuyant sur la petite bourgeoisie, était intimement liée à la relative faiblesse du salariat. Inversement, si des formations fascistes existaient aujourd’hui en Europe, leur influence serait quasi-nulle, puisque les rangs de leurs « groupes de choc » – leur seule composante qui intéresse réellement la classe dominante – seraient plus que clairsemés. Mais tout autre serait, en cas de crise systémique plongeant le monde capitaliste et le salariat dans l’abîme, l’influence des partis populistes d’extrême droite actuels, qui s’appuient sur des franges importantes du salariat et surfent depuis des années sur la crise du mouvement ouvrier organisé. Difficile aujourd’hui de ne pas évoquer sans effroi cette éventualité parfaitement envisageable…

La crise de 2007-2008, liée à la financiarisation et à la mondialisation de l’économie, n’a évité que de peu sa transformation en une crise systémique, pire que celle de 1929, du fait de l’extraordinaire extension du salariat. Aucune des conditions qui avaient conduit à la crise de 2007-2008 n’a été durablement modifiée. La finance n’a pas été régulée, malgré tous les G7, G8 ou G20 consacrés à cette question. Le poids des bilans des banques dans l’économie s’est encore accru, au même rythme que l’instabilité bancaire et le risque que cette dernière fait courir à toute la planète.

La filiation du RN

Après l’élection de Marine Le Pen à la tête du FN, en 2011, les médias dominants s’extasiaient sur la « dédiabolisation » de ce parti. Au même moment, sa nouvelle présidente consolidait ses positions à l’intérieur du RN naissant, en s’alignant sur l’orthodoxie frontiste : rôle central de la « préférence nationale », dénonciation du « remplacement pur et simple de la population française »1

La filiation du RN permet de comprendre pourquoi, malgré de nombreuses difficultés, ce dernier a pu tenir le choc pendant plus de quarante ans. Les fondateurs du FN, en 1972, incarnaient (au sens propre du terme) cette filiation : des vétérans du PPF de Doriot et de la Waffen-SS, aux militants d’Ordre nouveau, en passant par les anciens de l’OAS et l’Union et fraternité française de Pierre Poujade.

C’est cet héritage-ci, et pas un autre, qui a fourni au FN, pendant des décennies, son ossature idéologique et son encadrement militant : de Victor Barthélémy (ancien bras droit de Doriot) au GUD, en passant par le « néofasciste » François Duprat, l’ancien d’Occident et d’Ordre nouveau Carl Lang, le « révisionniste » Bruno Gollnish2… En catastrophe, avant le second tour de la présidentielle de 2017, le FN d’alors avait dû changer de « président par intérim », Jean-François Jalkh se retrouvant publiquement accusé d’avoir tenu des propos négationnistes.

Le Grand remplacement

Ces racines du RN actuels se sont nourries de deux terreaux. D’abord, les politiques néolibérales menées depuis trente ans, qui n’ont cessé (à l’exception notable de l’intermède Jospin) d’alimenter le chômage de masse. Ensuite, le terreau d’un imaginaire « sudiste » analogue à celui des « petits Blancs » aux États-Unis. Puisque nous analysons, dans un autre article de ce dossier, la démagogie sociale du RN, nous nous contenterons ici de traiter de l’imaginaire raciste et identitaire sur lequel il prospère.

Cet imaginaire imprègne toute la société française, du nord au sud. Il est le signe « d’un état d’esprit, d’une mentalité particulière apparue en France dans les combats désespérés pour la sauvegarde de l’Algérie française ». Une mémoire coloniale, reconstruite et embellie, va progressivement se muer en une mémoire de revanche et d’exigence d’un « retour » de tous les « Arabes », qu’ils soient ou non Français pour l’état-civil : « Puisque les Algériens ont voulu l’indépendance de l’Algérie, pourquoi sont-ils en France et comment osent-ils réclamer encore l’égalité citoyenne ? »3.

L’opposition virulente entre le « eux » et le « nous » a toujours été le fondement de la politique du FN, de son « identité nationale ». Il a rompu avec l’antisémitisme de ses débuts, mais c’est pour mieux opposer les « Français de souche » aux « Musulmans ».

Avec l’arrivée du RN au pouvoir, le danger serait grand de voir passer à l’action les adeptes de la théorie du « Grand remplacement »4 qui agitent le fantasme de la substitution d’une population d’origine maghrébine et sub-saharienne à une population d’origine européenne. Le « plan de désarmement des banlieues » du RN ne pourrait qu’encourager tous les nostalgiques de la « bataille d’Alger » à passer à l’action. Les menées de tous ces fanatiques, combinées à la politique discriminatoire prônée par le RN, risqueraient fort d’embraser les « banlieues » et les « quartiers ». La menace d’une véritable guerre civile serait omniprésente.

Scénario bleu marine

Le RN n’est pas l’UKIP britannique qui s’est effrayé de sa victoire au Brexit et n’a pas cherché à arracher le pouvoir aux conservateurs. Il n’est plus, non plus, le FN libéral et antisémite de Le Pen père qui ne voulait ni ne pouvait accéder au pouvoir. Le RN, lui, le veut. Si Marine Le Pen l’emportait à la présidentielle, son parti utiliserait la menace d’une « vague bleu Marine » aux élections législatives, pour recomposer la droite sous son hégémonie. Ce qu’il n’est pas parvenu à faire aux régionales 2021, notamment en PACA derrière Thierry Mariani, il pourrait le réaliser dans des conditions autrement plus favorables en mai-juin 2022.

Le principal objectif du RN est l’instauration d’un « État fort ». La Constitution de la Ve République a été élaborée et ratifiée sous la pression du coup d’État militaire de 1958 à Alger. Elle comporte de nombreux articles qui permettraient de remettre en cause les libertés publiques, bien au-delà de l’état d’urgence, notamment l’article 16, ou encore l’état de siège qui donne le pouvoir à l’armée et à son chef, le président de la République…

Cet article a été publié dans le dossier "Comprendre le RN pour mieux le combattre" du numéro de l'été 2021 de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).

(1) Voir Sylvain Crépon, Alexandre Dézé et Nonna Meyer, Les faux-semblants du Front national, Presses de Sciences Po, 2015.

(2) Voir Nicolas Lebourg et Joseph Beauregard, Dans l’ombre des Le Pen. Une histoire des numéros 2 du FN, Éditions Nouveau monde, 2012.

(3) Benjamin Stora, avec Alexis Jenni, Les mémoires dangereuses. De l’Algérie coloniale à la France d’aujourd’hui, Éditions Albin Michel, 2016.

(4) Voir Renaud Camus, Le Grand Remplacement, Éditions David Reinharc, 2011.

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