GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Écologie

A69 Castres-Toulouse : une lutte en tout point exemplaire

Depuis de nombreuses années désormais, des citoyen.nes sont engagé.es dans l’action contre la réalisation d’une portion d’autoroute entre Castres (81) et Toulouse (31). Lancé il y a près de trente ans, ce projet est désormais totalement anachronique et est dénoncé par de multiples acteurs et actrices de la société, et une part importante des habitant.es des deux départements concernés.

Malgré une opposition de plus en plus forte et large, l’État, par la voix du ministre des Transports Clément Beaune, et la présidente de la Région Occitanie Carole Delga, s’obstinent dans le soutien à cette réalisation, avec une partie des élus locaux et des entreprises.

Une lutte qui monte en puissance

Le collectif local La Voie est libre (LVEL) organise depuis des années des actions remarquables : chaîne humaine d’un km de long, marches le long du tracé, campements et fêtes originales sur des sites touchés (moissons, match de foot sans fin…), grimpe dans les arbres menacés, sans compter les vidéos, chansons, interpellation de candidats aux élections et autres pétitions… L’implication des Soulèvements de la Terre dans l’action après le retentissement de Sainte-Soline, a amené un élargissement important de la mobilisation, particulièrement chez les jeunes. En avril 2023, une manifestation importante, lors d’un week-end d’actions « Sortie de route » coorganisé avec les Soulèvements et soutenu par une soixantaine d’organisations, a rassemblé plus de 8 200 personnes lors d’une longue marche sur une portion du tracé de la future autoroute.

Par la suite, lorsque le chantier a menacé des alignements d’arbres, l’engagement plus fort du Groupe national de surveillance des arbres et de Thomas Brail, son animateur, a marqué une nouvelle étape. L’installation de militant.es dans des platanes centenaires qui devaient être abattus, et l’entrée en grève de la faim de Thomas Brail et une douzaine d’entre eux ont élargi la visibilité nationale de cette mobilisation. Durant plusieurs semaines, des rassemblements de soutien ont regroupé quasi quotidiennement des centaines de personnes à Toulouse.

Désormais, cette mobilisation contre l’A69 se fait en lien avec celles contre d’autres projets de routes en France à travers le réseau La Déroute des routes.

Le « Ramdam sur le macadam » du week-end des 21 et 22 octobre a eu un fort écho national. Plus de 10 000 personnes cette fois se sont retrouvées dans les champs à Saïx, près de Castres, pour une nouvelle marche, des débats et conférences… montrant l’ampleur et la détermination de la mobilisation.

Une tentative d’installation d’une ZAD sur une ferme désaffectée a immédiatement fait l’objet d’une intervention massive et musclée des forces de l’ordre, entraînant des blessures chez plusieurs personnes, allant jusqu’à arroser de lacrymos le campement officiel où des scientifiques du GIEC et de l’Atelier d’écologie politique (ATECOPOL) donnaient une conférence et où de nombreuses familles étaient encore présentes. Une nouvelle preuve de l’obstination du gouvernement à soutenir envers et contre tout un modèle dépassé. Mais cette lutte ancrée désormais profondément et en réseau avec d’autres prépare déjà les prochaines initiatives…

Un projet d’un autre temps

Ce projet d’autoroute parallèle à la route actuelle a été élaboré il y a près de trente ans, visant prétendument à désenclaver le sud du Tarn. Il privatiserait 9 km de deux fois deux voies aujourd’hui gratuites et payées par nos impôts, artificialiserait 400 hectares de terres agricoles, forêts et zones humides, imposerait l’abattage de milliers d’arbres, impacterait 32 cours d’eau et la circulation de l’eau des bassins versants, toucherait les biotopes de nombreuses espèces protégées et couperait les corridors de passage, nécessiterait la construction de trois usines à bitume très polluantes... le tout pour un coût total de 450 millions d’euros ! Chaque passage coûterait 17 euros l’aller-retour pour 53 km de trajet, ce qui en ferait la deuxième autoroute la plus chère et, redoutent nombre d’observateurs, l’une des moins fréquentées du pays (8 000 véhicules/jour attendus). Ceux qui ne pourraient l’emprunter subiraient un allongement de leur temps de trajet de l’ordre de 15 minutes, et imposeraient de nouvelles nuisances aux habitants des villages à nouveau traversés.

Ce projet porte une idée du « développement » dépassée, continue à favoriser le tout voiture au détriment des transports en commun, l’artificialisation des sols, la destruction de terres agricoles et de milieux vivants dans un moment où l’urgence d’un changement de modèle n’a jamais été aussi forte face aux enjeux climatiques, sociaux, et démocratiques.

L’impasse démocratique

« À qui appartient la légitimité ? », titrait Libération le 26 octobre. Clément Beaune a beau s’abriter derrière une « légitimité démocratique », jour après jour, les éléments s’accumulent pour ébranler cet argument.

Lors de l’enquête publique environnementale, réalisée du 28 novembre 2022 au 11 janvier dernier, plus de 5 700 contributions sur les 6 266 ont exprimé leur opposition argumentée au projet de liaison autoroutière. Deux autorités officielles ont désavoué le projet. Une pétition rassemble à ce jour près de 90 000 signatures contre l’A69, une autre plus de 32 000. 2000 scientifiques ont signé une tribune dénonçant cette réalisation. Près de 800 personnalités politiques et autres également. Selon une étude IFOP réalisée pour l’association Agir pour l’environnement et LVEL en octobre, 61 % des sondés dans le Tarn et la Haute-Garonne sont favorables à l’abandon du projet, 82 % à un référendum local.

Au-delà de ces chiffres, il apparaît indispensable et légitime de demander d’étayer la décision politique au regard des nouvelles données de la situation – bien différente d’il y a trente ans –, notamment climatiques et sociales. Malgré cela, malgré les mobilisations de plus en plus fortes, l’État et la Région s’entêtent à soutenir l’A69, dans une avancée à marche forcée pour rendre les choses irréversibles. Pourtant d’autres solutions existent. Le collectif LVEL a élaboré un projet alternatif global crédible avec l’aide d’un urbaniste.

Deux visions de l’aménagement du territoire

Alors qu’il faudrait aujourd’hui repenser les logiques d’aménagement des territoires pour éviter les phénomènes d’aspiration des grandes métropoles et les déplacements quotidiens de milliers de personnes vers celles-ci, mieux mailler et améliorer les transports collectifs et doux pour faire reculer la voiture, relocaliser des entreprises et activités dans les villes moyennes et les territoires ruraux, revivifier les services publics sur ces zones, miser sur une agriculture paysanne de qualité et de proximité, tourner le dos à l’artificialisation des sols et considérer la place du vivant... en bref repenser le « développement » à l’aune de l’indispensable bifurcation écologique et de l’urgence sociale.

Ce type de projet va à contresens des impératifs posés par la crise climatique que nous vivons. Il est fondé sur la vitesse à tout prix, la poursuite du développement de la métropole, d’un modèle de croissance productiviste et extractiviste néfastes, l’oubli de la place du vivant et de l’environnement dès la genèse des projets, comme facteurs positifs et porteurs de potentialités. C’est ce que tente à sa mesure le projet alternatif « Une autre voie », une approche globale et cohérente d’un projet territorial sans A69 intégrant toutes les dimensions à prendre en compte.

Nous publions ici la version longue de l'article de notre camarade Christian Bélinguier, article paru dans le numéro de novembre (309) de Démocratie&Socialisme, la revue de la gauche démocratique et sociale (GDS).

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