GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Extrême-droite

La zemmourisation du débat médiatique

Le RN fait maintenant sienne l’idéologie du « grand remplacement » de Renaud Camus. Cela faisait bien des années que cette idéologie servait de toile de fond à la politique de ce parti d’extrême droite, mais Marine Le Pen affirmait ne pas se reconnaître dans cette vision du monde qu’elle qualifiait de « complotiste ».

Jordan Bardella, président intérimaire du RN, a franchi le pas en publiant le 25 août 2021 un tweet sans ambiguïté : « L’immigration entraîne un changement de population, inédit dans l’histoire par sa rapidité et son ampleur ».

La main et le gant

L’arrivée d’Éric Zemmour sur la scène politique oblige le Rassemblement national à étaler toutes ses cartes. Zemmour n’était jusque-là qu’un pamphlétaire, avec « le venin dans la plume »1 comme dans la parole, même s’il occupait déjà une grande place dans l’espace médiatique avec ses diatribes racistes, sexistes, homophobes. Il se présente maintenant comme un concurrent de Marine Le Pen.

Cette dernière apparaît comme plus « convenable », même si le mot « diabolisation » est impropre lorsqu’il est appliqué au FN-RN puisqu’il supposerait que ce parti ait eu besoin d’être « diabolisé » alors que son programme et ses discours suffisaient amplement à le caractériser. La formule « main de fer dans un gant de velours » serait plus appropriée. C’est justement ce que reproche à Marine Le Pen le noyau dur de ceux qui se reconnaissent dans Zemmour : le gant de velours est de trop, il faut, au contraire, exhiber la « main de fer » pour faire peur et menacer.

Un révélateur

L’annonce de l’entrée de Zemmour dans la course à la présidentielle de 202 ne sera pas sans effets pour l’avenir de notre pays. Quel que soit le destin politique de Zemmour, cette annonce aura servi de brise-glace à la progression des pires idées de la droite extrême et à leur normalisation dans le débat public.

Cela ne sera évidemment pas sans répercussions sur les débats et les politiques à venir. D’autant que, comme l’a reconnu lui-même Zemmour, avec une lucidité plutôt rare chez ce personnage : « L’hypothèse de mon entrée fracassante en politique n’était que le symptôme – un de plus – de la désagrégation du système politique français »2

La Zemmour-mania

Une bonne partie des médias ont propulsé Zemmour à la rentrée 2021. Le polémiste était alors omniprésent, même si des médias comme Mediapart, Le Monde ou Libération se sont refusés à s’aventurer sur ce terrain.

BFM-TV, C8 (avec Touche pas à mon pote), CNews sont frappés de Zemmour-mania. Le personnage fait le tour des plateaux télé pour se plaindre de la « censure » qui le frapperait et, même absent, il est toujours là car les questions posées portent bien souvent sur ses déclarations, ses polémiques, ses outrances, ses propos ignominieux.

Selon Pauline Perrenot, « au 30 septembre, la plupart des hebdomadaires de ce pays peuvent par exemple se targuer de lui avoir consacré la Une »3. La journaliste d’Acrimed ajoutait « Point de complot là-dedans ! Suffisent (entre autres) : des pratiques journalistiques moutonnières ; un traitement de l’actualité politique et des élections présidentielles uniformisé dans l’ensemble des médias (sous la forme de match de catch et d’une course de petits chevaux)… »

Nul complot, en effet, mais le soutien actif, au moins au départ de la propulsion de Zemmour, d’une fraction, sans doute minoritaire, de la classe dominante4. Comme cela avait été le cas pour la propulsion de Macron en 2017, même si c’était alors une fraction très majoritaire de la classe dominante qui était aux manettes, grâce à l’exorbitante concentration des médias en France.

Zemmour et Macron

La montée de l’extrême droite ne doit pas forcément mécontenter Macron. L’actuel président de la République a tout fait pour que s’incruste l’idée d’un second tour de l’élection présidentielle de 2022 qui l’opposerait à l’extrême droite.

Si un second tour l’opposait à une ou un candidat d’extrême droite, cela ne serait toutefois pas aussi facile pour lui qu’en 2017. Macron a contribué (voir l’article « Comment en est-on arrivés là ? ») à l’extension des idées d’extrême droite dans le débat public. Mais gare à « l’effet boomerang » : cette invasion pourrait permettre à la candidate ou au candidat d’extrême droite de récupérer une part importante des voix des électeurs LR au 1er tour, largement gavés au grand remplacement, à l’immigration, à la « sécurité » pendant le débat des primaires de ce parti.

Ces deux facteurs sont importants, mais sont loin d’être suffisants pour expliquer la saturation de l’espace public par les obsessions de l’extrême droite. Savoir comment on en est arrivé là, comment le système politique s’est à ce point gangrené, comment les idées d’extrême droite ont pu à ce point envahir le débat politique, demande de mettre en évidence, au-delà de l’effervescence des médias et des manœuvres de Macron, un mouvement profond mettant en œuvre des facteurs plus fondamentaux.

1. Selon l’heureuse expression de Gérard Noiriel dans son livre Le venin dans la plume. Édouard Drumont, Éric Zemmour et la part sombre de la République, La Découverte, 2019.

2. Éric Zemmour, La France n’a pas dit son dernier mot, Rubempré, 2021.

3. Pauline Perrenot, « Zemmour : un artéfact médiatique à la Une », www.acrimed.org, 5 octobre 2021.

4. Lire, de ce point de vue, l’article de Raphaëlle Bacqué et Ariane Chemin, « Comment Vincent Bolloré utilise son empire médiatique pour peser sur la présidentielle », Le Monde, 16 novembre 2021.

Cet article est à retrouver dans le dossier "la vraie droite décomplexée" du numéro 289 (novembre 2021) de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).

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