GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Migrants

Encore une nouvelle "crise migratoire"

Depuis la mi-novembre, une nouvelle « crise migratoire » aurait éclaté aux frontières de l’Union européenne (UE). Cette fois, c’est entre la Biélorussie et la Pologne. Marie-Christine Vergiat (députée européenne GUE de 2009 à 2019, vice-présidente de la Ligue des Droits de l'Homme) nous a fait l’amitié de nous livre quelques éléments d’analyse pour comprendre ce nouveau drame.

La dernière fois, c’était en 2015-2016 : 1,5 million personnes avaient traversé la Méditerranée et surtout la mer Égée ; l’Allemagne en avait accueilli un million. Et heureusement car, si quelques pays européens ont refusé tout accueil, l’effort de tous les autres a été très en deçà de ce qu’il aurait dû être dans le cadre de la solidarité européenne.

Et c’est ce refus de solidarité qui a conduit à la signature de l’accord avec la Turquie qui, quoi que l’on pense de son dirigeant, est le pays du monde qui accueille le plus de réfugié.e.s1. Déjà à l’époque, ce n’était pas une « crise des migrants », mais un refus d’accueillir des réfugié.e.s dont le nombre résultait avant tout de la situation au Moyen-Orient, et particulièrement en Syrie.

Des drames humains très politiques

Qu’en est-il aujourd’hui de cette nouvelle « crise » ? D’abord, même si le nombre de celles et ceux qui ont rejoint la Biélorussie est sans doute plus important, ce ne sont qu’environ 2 500 personnes qui se sont retrouvées bloquées entre les deux frontières dans des conditions inhumaines2 et les moyens déployés par la Pologne pour les empêcher d’entrer sur son territoire ressemblaient à ceux que l’on peut développer en cas de conflit militaire.

Ensuite, il serait utile, pour bien comprendre ce qu’il se passe de se demander pourquoi quelques milliers d’exilé.e.s3 (ici surtout des Kurdes d’Irak) sont prêt.e.s à passer par la Biélorussie pour tenter d’arriver dans l’UE. La raison en est simple. Les frontières européennes sont de plus en plus fermées pour celles et ceux qui viennent de l’Afrique et du Moyen-Orient, que ce soit via le refus de délivrer des visas ou la construction de murs de barbelés, car la Pologne est loin d’être le premier pays à en construire (Espagne, Grèce, Bulgarie, Hongrie et sans doute bientôt les pays baltes). Les exilé.e.s n’ont pas d’autres choix que de prendre des routes de plus en plus longues, comme dans ce cas, ou dangereuses comme on le voit y compris aux frontières françaises notamment avec l’Italie.

En l’espèce, on parle beaucoup d’instrumentalisation, mais il est difficile de savoir lequel des deux pays en fait le plus.

Responsabilités partagées

Alexandre Loukachenko dirige la Biélorussie d’une main de fer depuis 1994 grâce à des élections présidentielles dépourvues de toute légitimité. C’est un despote et les sanctions européennes prises en mai dernier après le détournement4 d’un vol Ryanair par un avion militaire biélorusse sont totalement justifiées.

La Pologne, elle, s’éloigne de plus en plus des normes de l’État de droit, mais c’est aussi l’un des pays de l’UE qui accepte le moins de demandes d’asile : moins de 2 000 en 2020, essentiellement Russes (Tchétchènes) et Biélorusses, alors que c’est celui qui délivre le plus de titres de séjour pour motifs économiques (plus de 500 000 en 20205, soit environ 20 % des titres pour motifs économiques délivrés dans la totalité des pays de l’UE). Drôle de chiffres pour un pays qui refuse les « migrants ».

Solidarité internationale

Au lieu de surenchérir, il vaudrait mieux se contenter de porter secours à ces personnes et de les laisser demander l’asile dans un pays européen en respectant le droit international et notamment la Convention de Genève, comme vient de le rappeler la Cour européenne des droits de l’Homme. Sur ces questions, les gauches en France sont malheureusement, à de rares exceptions près, loin d’être à la hauteur de leur histoire !

Cet article de Marie-Christine Vergiat a été publié dans le numéro 289 (novembre 2021) de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).

1. 3,7 millions selon les derniers chiffres du Haut-commissariat aux réfugiés (HCR).

2. La Pologne a même interdit aux ONG d’accéder à la zone concernée.

3. Les associations qui travaillent sur la question des migrations préfèrent de plus en plus ce terme d’« exilé », car il est moins « chargé » que celui de « migrant » dont on oublie qu’au sens premier du terme, il définit simplement quelqu’un qui part s’installer dans un autre pays pour une durée supérieure à un an. Avec le terme « exilé », on désigne toutes celles et tous ceux qui fuient leur pays de manière contrainte quels qu’en soient les motifs (guerres, conflits, internes, persécutions, événements climatiques ou misère économique).

4. L’avion a été contraint d’atterrir à Minsk afin de permettre l’arrestation du journaliste Roman Protassevitch, et de quatre autres opposants politiques au régime biélorusse.

5. Des chiffres en régression en 2020 pour cause de pandémie et qui concernent essentiellement des travailleurs ukrainiens.

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