Violences sexuelles : la honte doit changer de camp
Il livrait sa femme droguée et inconsciente à des dizaines de violeurs anonymes assouvissant leur penchant sordide contre de l’argent… Abject ! Puisse le procès de Mazan, malgré toute l’horreur qu’il dévoile, marquer d’une pierre blanche le long combat des femmes contre le patriarcat.
Oui, ce qui est en train de se passer lors de ce procès, aura des retentissements, grâce, il faut bien le dire, à la détermination de Gisèle Pelicot de refuser le huis clos afin que ce ne soit pas le procès de « sa » honte, mais celle de ses violeurs.
Violence systémique
Il y a là comme un voile qui se déchire enfin, une vérité qui se découvre à la lumière du jour comme une scène de théâtre qui aurait été éclairée par petits spots successifs, de plus en plus nombreux (du procès à Aix-en-Provence, en 1978, à #Metoo et une parole qui se libère comme celle de Judith Godrèche) et que ce dernier coup de projecteur révélerait de manière encore plus crue.
Ce procès, parce que les accusés sont des « monsieur tout le monde », montre ce que les féministes expliquent depuis longtemps : le viol n’est pas le fait de quelques « détraqués », mais la conséquence du fait que notre société entière baigne dans une culture du viol. Une culture qui légitime la supériorité d’un genre sur l’autre, la soumission de l’un à l’autre et qui, en banalisant la grande majorité de l’expression de cette oppression, ouvre le passage à ses formes les plus destructrices.
Tous les hommes ?
À travers la publication de nombreuses tribunes, il semble que ce procès ait – enfin ! – ouvert un nouvel espace pour la prise de conscience de l’enracinement du système patriarcal. « Celui-ci repose sur la définition immémoriale de l’existence féminine au prisme des seules fonctions sexuelle et maternelle, lequel socle fonde la domination masculine comme entreprise d’assignation des femmes à la disponibilité corporelle. Cette mécanique prend toute une série de formes qui se déclinent, de façon graduée, de la banale réflexion sexiste jusqu’au viol, qui en est l’expression paroxystique. Aucune différence de nature ici, mais une différence de degré renvoyant à une logique de continuum qui reste étrangère à la majorité des hommes »1, explique Camille Froidevaux-Metterie dans sa tribune parue dans Le Monde du 19 septembre.
Parue dans Libération deux jours plus tard, la tribune de deux cents hommes décline, elle, une feuille de route contre la domination masculine. « Dire “tous les hommes“, c’est parler de violences systémiques perpétrées par les hommes, parce que tous les hommes, sans exception, bénéficient d’un système qui domine les femmes. Et puisque nous sommes tous le problème, nous pouvons tous faire partie de la solution »2.
Les débats se multiplient : « Affaire Pelicot : où sont les hommes ? » (Le téléphone sonne, France Inter), « Mazan : est-ce le procès de “tous les hommes” ? » (28 minutes, Arte)…
Le continuum des violences
Il faut espérer que la multiplication de ces débats et controverses permette enfin une diffusion et un partage massifs de la compréhension de cette notion de continuum des violences sexuelles et sexistes. Depuis de nombreuses années les féministes ont démontré et expliquent que « toutes les formes de violence sexuelle sont graves et ont des effets »3. La représentation en pyramide allant de l’outrage sexiste au viol est parfois interprétée comme « du moins grave au plus grave », alors que la polarisation du continuum doit se comprendre aussi des faits les plus nombreux (au bas de la pyramide) à ceux qui le sont le moins (en haut) et se rapporte uniquement à leur fréquence.
L’important est donc de comprendre que le continuum n’est pas une sorte de ligne droite du « pas grave au grave », ce qui pourrait être interprété par certains hommes de la sorte : « De mon côté, pas de problème : je sais m’arrêter à temps ». Toutes ces formes de violence sont pourtant de même nature : pour chacune d’entre elles, c’est une même ligne rouge qui est franchie, celle du non-respect de l’autre et de l’absence de consentement, ligne rouge que le patriarcat rend invisible.
Les violences les plus communes sont les plus susceptibles d’être définies par les hommes comme des comportements acceptables, par exemple le fait de considérer le harcèlement sexuel comme « un petit jeu » ou « juste une blague », sans même se rendre compte qu’il s’agit de celles auxquelles les femmes risquent d’être confrontées le plus fréquemment et tout au long de leur vie.
Alors oui, les hommes, tous les hommes doivent se sentir concernés par ce procès de la honte. Et ensemble, peut-être pourrons nous faire bouger les lignes en commençant par introduire la notion de consentement dans la définition du viol, et enfin, au-delà des effets d’annonce déjà dénoncés dans nos lignes, exiger un grand plan global de luttes contre les violences patriarcales.
Cet article de notre camarade Claude Touchefeu, daté du 28 septembre 2024, a été publié dans le numéro 318(octobre 24) de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).
1.www.lemonde.fr, 19 septembre 2024.
2.www.liberation.fr, 21 septembre 2024.
3.Liz Kelly, « Le continuum de la violence sexuelle », Cahiers du Genre n° 66 (2019/1), traduit de l’anglais par Marion Tilous (consultable sur https://shs.cairn.info).