GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

À Gauche

« En finir avec l’excès de pouvoir présidentiel » (R.Garrido)

Notre amie Raquel Garrido, ancienne députée de Seine-Saint-Denis, est une des principales animatrices de L’Après (Association pour une République écologique et sociale), avec Clémentine Autain, Danielle Simonnet, Alexis Corbière, Hendrick Davi et Guillaume Ancelet. Elle est surtout avocate et juriste de formation. C’est notamment à ce titre que nous avons voulu l’interroger sur la crise institutionnelle et démocratique dans laquelle la France est plongée, suite aux législatives de juin-juillet derniers et au refus présidentiel de nommer Lucie Castets à Matignon.

Démocratie &?Socialisme : « Coup de force » ? « Déni de démocratie » ? Jeu dangereux ? Comment apprécies-tu la crise politique dans laquelle Macron a plongé le pays depuis juin-juillet ?

Raquel Garrido : Je perçois les grands évènements politiques des années 2022, 2023 et 2024 comme des moments d’un grand mouvement de balancier, où le sort des Françaises et des Français oscille entre l’expression démocratique du peuple et l’affirmation du pouvoir personnel du président de la République. En juin 2022, le président Macron devient minoritaire à l’Assemblée nationale : le balancier est du côté du peuple. Début 2023, il décide de porter l’âge légal de la retraite à 64 ans : le balancier revient à l’Élysée. Pendant tout l’hiver, des millions de salariés s’organisent en grèves et manifestations, le tout dans l’unité sans faille du mouvement syndical. Le mouvement est si puissant, enraciné, et diffus sur le territoire, que des députés de droite envisagent de voter contre la loi. C’est le fruit de l’expression démocratique du peuple. Le 16 mars 2023, le président de la République impose l’adoption de la loi sans vote, par 49.3. Encore le pouvoir personnel. En juin 2024, le Nouveau Front populaire rassemble 9,3 millions de voix, soit presque trois millions de voix de plus que la NUPES en 2022. Le scrutin législatif rassemble 33 millions d’électrices et d’électeurs. Le peuple est là. En juillet 2024, le président de la République refuse de nommer Lucie Castets, la candidate à Matignon choisie par le NFP, pourtant arrivé en tête des élections, au bénéfice de Michel Barnier, dont le parti est arrivé en cinquième place. Le président de la République aura-t-il le dernier mot ?

D&S : Comment expliques-tu la fuite en avant du pouvoir macroniste sur le plan institutionnel ?

RG : Dans la tradition républicaine antique, l’élection est sacrée. Ne pas la respecter est un sacrilège. Dans la tradition républicaine française, la souveraineté du peuple est la source de tout gouvernement légitime. Et pourtant, est-ce que cette succession de décisions clairement anti-démocratiques d’Emmanuel Macron est illégale ou inconstitutionnelle ? Non. L’article 49 alinéa 3 de la Constitution existe bel et bien. Tout comme l’article 12 qui permet au Président de dissoudre l’Assemblée nationale sans devoir se justifier, tout comme l’article 8 qui lui donne le pouvoir personnel de désigner qui bon lui semble à Matignon. Bien sûr, on trouvera quelques torsion à la Constitution, comme le choix de faire passer la loi retraites pour un PLFSSR (ce qui permettait de limiter le temps de débat et de passer par 49.3), ou comme l’idée farfelue selon laquelle le Président aurait un temps indéfini et donc infini pour désigner un Premier ministre, ce qui confine à l’absurde lorsqu’on imagine qu’il pourrait dès lors mettre des années à le faire. Mais grâce à l’onction du Conseil constitutionnel, ce qui semble inconstitutionnel devient constitutionnel, car c’est la logique générale de la Constitution que de ne pas donner de limites (ou si peu) au pouvoir présidentiel. Nous ne sommes donc pas face à un abus de pouvoir, mais face à l’exercice zélé d’un pouvoir, en contradiction avec la légitimité que le peuple français accorde à la démocratie.

D&S : Quelle est la prochaine étape ?

Il me semble que le mouvement de balancier est trop extrême pour continuer longtemps. La logique voudrait que l’une des deux forces antinomiques cède. Les modalités pacifiques d’expression démocratique (suffrage universel, actions syndicales et associatives..) seraient directement affaiblies, voire attaquées dans leur légitimité même : c’est le sens que je donne à l’expression de Bruno Retailleau, nouveau ministre de l’Intérieur, qui minore l’importance de l’État de droit. Sinon, c’est le pouvoir présidentiel qui cède.

D&S : Le pouvoir présidentiel ou celui d’Emmanuel Macron ?

Il ne suffit pas de dénoncer Emmanuel Macron : il faut correctement cibler le problème du pouvoir présidentiel quel qu’en soit le titulaire. Si le problème n’était que la personne, alors le problème pourrait être résolu par une nouvelle personne. Or, si la gauche et les écologistes se contentent d’avoir comme seule stratégie d’être « calife à la place du calife », ce sera, in fine, la victoire du pouvoir personnel présidentiel contre le peuple. Les conditions de vie de plus en plus difficiles des habitant-e-s de notre pays appellent une grande transformation sociale et écologique. Si ces deux objectifs paraissent clairs, pourquoi y a-t-il des réticences à propos d’une grande transformation démocratique ? Il faut être lucides. Nous n’obtiendrons les modifications profondes des modes de production que si elles sont portées par le plus grand nombre. Seule la démocratie permet l’engagement du nombre, fruit d’une délibération de qualité et d’un consentement sincère. Il serait naïf et vain de faire reposer la conquête d’une vie meilleure sur l’arrivée au pouvoir d’un président-sauveur-suprême.

D&S : L’extrême droite ne s’embarrasse pas de telles considérations…

Le césarisme, le bonapartisme, qui sont les figures antérieures de la monarchie présidentielle, sont dans l’ADN de l’extrême droite. Même si le RN a son propre agenda constitutionnel, il n’a pas besoin de modifier la Constitution de 1958 pour exercer le pouvoir de façon autoritaire. C’est la raison pour laquelle il ne faut pas compter sur la déconfiture de la Ve République pour qu’un idéal démocratique commun surgisse du désastre. Pire, plus la situation sera chaotique, plus Marine Le Pen pourra se présenter comme une solution apportant de l’ordre. Il faut donc sans attendre construire le chemin concret vers une Ve République. Dans le mouvement social, syndicats, partis et associations doivent converger et mener ensemble le combat pour que se tienne une Assemblée constituante. Par exemple, les parlementaires du Nouveau Front populaire pourraient appuyer une pétition en vue d’un référendum d’initiative populaire (RIP) dont l’objet serait de créer un mécanisme de convocation d’une Assemblée constituante.

D&S : Faut-il pour autant que le Nouveau Front populaire fasse l’impasse sur l’élection présidentielle ?

Surtout pas. L’élection présidentielle est un grand moment de participation civique. Le Nouveau Front populaire doit avoir une stratégie victorieuse pour la prochaine présidentielle. Cela passe d’abord par son maintien comme espace unitaire d’action politique et citoyenne. Le bond en avant de la gauche en juin-juillet 2024 est le fruit d’une mobilisation citoyenne exceptionnelle. L’unité du Nouveau Front populaire est un bien commun à chérir. La force du NFP, face à la monarchie présidentielle, c’est son caractère choral. Le NFP doit incarner une contre-culture démocratique. Il doit sortir des logiques – si pauvres – des simples écuries présidentielles, et devenir un espace mature, capable d’administrer des concurrences légitimes. L’écurie présidentielle aiguise la division. Or, la question du programme de la gauche a tranché par les élections de 2017 et 2022, au détriment du social-libéralisme. C’est ce qui a permis l’accord programmatique du NFP en 2024. Dès lors, la possibilité existe désormais de choisir, en commun, le nom de la personne qui portera le programme à l’Élysée, étant entendu que la première ligne du premier paragraphe du premier chapitre de ce programme, c’est d’en finir avec l’excès de pouvoir présidentiel.

Propos recueillis par notre camarade Jean-François Claudon, publiés dans le n°318 (octobre 24) de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).

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