GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur Syndicats

Vers la démocratie sociale ?

Si la nécessité d’une réflexion sur la représentativité des organisations syndicales, quasi-figée depuis les années 60, progresse dans l’opinion, la façon dont il est mené par la droite et le patronat montre bien que les véritables intentions de Sarkozy et Parisot ne sont pas de refonder la démocratie sociale, mais bel et bien de domestiquer les syndicats les plus combatifs.

Alors que le paysage syndical a beaucoup évolué dans les vingt dernières années, les critères de représentativité sont restés figés par la circulaire de 1966 dans le privé, qui accorde une " représentativité irréfragable " à cinq confédérations dans le privé (CGT, CFDT, FO, CFTC et CGC pour les cadres), et ont été restreints dans le public par la Loi Perben de 1996 qui réserve le droit de présenter des listes aux élections professionnelles aux syndicats considérés comme " représentatifs ", appréciation mal définie qui a conduit à de nombreux contentieux.

En clair, la législation actuelle est la négation des évolutions importantes depuis les années 1990 du paysage syndical, puisqu’on a vu apparaître de nouvelles forces syndicales, plus ou moins interprofessionnelles, comme l’UNSA ou l’union syndicale Solidaires (plus connu par le sigle de ses syndicats : SUD), ou sectorielles, comme la FSU.

Inversement, elle maintient artificiellement la représentativité, tant au niveau national que sectorielle, d’organisations syndicales en perte de vitesse, voire totalement marginalisées (c’est ainsi le cas de la CFTC dans le secteur public qui " pèse " par exemple dans les instances de concertation de la fonction publique d’Etat, avec ses 2,23% plus que la FSU, qui y est la première organisation syndicale avec 19% des voix).

Enfin, elle limite l’effet des choix démocratiques des travailleurs, puisque si des élections sont bel et bien organisées à différents niveaux, outre que la liberté de présentation des listes est restreinte, la " représentativité " légale de certaines organisations syndicales leur permet de signer des accords ou de représenter les salariés alors même qu’elles sont minoritaires ou marginales.

En gros, on demande aux salariés de voter pour désigner leurs représentants, tout considérant que l’employeur peut se passer de prendre en compte les résultats du vote pour choisir ses interlocuteurs et passer des accords qui s’imposent ensuite à tous les travailleurs.

Cet état de fait, longtemps défendu par les confédérations " réformistes " comme FO et la CFDT, qui y voyaient la garantie de mise en œuvre de la politique contractuelle sur laquelle elles fondent leur pratique, et ignoré par la CGT, qui ne se préoccupait guère, justement, de la signature des accords, est désormais largement contesté.

Deux principes démocratiques sont ainsi mis en avant : d’une part la liberté de présentation des candidatures syndicales, notamment dans la fonction publique, et son corollaire, la représentativité mesurée par le seul résultat des votes des salariés, et d’autre part le principe de l’accord majoritaire, concernant uniquement le privé, qui consiste à dire qu’un accord n’est valable que s’il est signé par des organisations syndicales représentant la majorité des salariés du niveau concerné.

Rien que de bien simple, donc, pour faire avancer la démocratie sociale. On en est, cependant, assez loin. Comme c’est souvent le cas dans le discours de la coalition droite-patronat, on utilise le prétexte d’une injustice pour en créer une nouvelle, et bien pire.

Ainsi, on a vu apparaître l’idée d’une mise sous tutelle des finances des organisations syndicales. L’arrogance du patronat n’a ainsi aucune limite : pris la main dans le sac par la découverte d’une caisse noire au sein de la principale organisation patronale, l’UIMM, ses responsables, auxquels une quarantaine de députés de droite ont emboîté le pas en déposant une proposition de loin dans ce sens, ont immédiatement expliqué qu’il fallait " faire la clarté " sur les comptes des syndicats de salariés ! En gros : je vole, donc il faut contrôler mon voisin !

Derrière le rideau de fumée qui vise à masquer les pratiques crapuleuses des responsables patronaux, se trouve aussi l’idée d’une représentativité fondée sur le nombre d’adhérents des organisations. Cette façon de tourner le dos à une réalité syndicale bien française, la démocratie sociale représentative, fondée sur l’élection directe de représentants des salariés, est aussi une façon de légitimer le discours de la droite qui explique que les syndicats ne représentent " que " 8% des salariés, ce qui est le chiffre du nombre d’adhérents.

Il ne vient évidemment à personne l’idée de préciser que, même dans l’élection des comités d’entreprise, où il est possible de présenter des listes de non-syndiquées, les listes syndicales obtiennent plus de 75 % des voix, et en premier lieu celles de la CGT, qui approchent le quart des exprimés, dépassant les listes de non-syndiqués.

Sans parler, bien sûr, du parallèle qu’on pourrait faire entre syndical et politique, domaine dans lequel il ne viendrait à l’idée de personne de mesurer l’audience autrement que par les résultats des élections, et certainement pas par le nombre d’adhérents des partis !

En fait, l’idée de cette droite patronale est de discréditer les syndicats pour imposer une logique plébiscitaire : puisque les syndicats ne sont pas représentatifs, on va faire voter directement les salariés. Les récents cas de " référendum " organisés par les employeurs, avec chantage à l’emploi à la clef, montre le sens des questions qui sont posées : ou bien accepter la dégradation des conditions de travail, la baisse du salaire horaire, le gel des rémunération, etc… ou bien perdre son emploi ! C’est l’ultra-libéralisme porté à son extrême, l’occultation de la situation de subordination du salarié à l’employeur que le cadre collectif de l’organisation syndicale permet de rééquilibrer, en ne mettant plus le travailleur seul face à son patron, mais la force de travail unie face au capital.

Le secteur public n’échappe pas à ces tentatives de dévoiement du débat sur la représentativité. Pourtant, c’est sans doute là que le problème de la démocratie sociale se pose le plus. D’une part parce que les confédérations " représentatives " d’après la circulaire de 1966 sont, pour deux d’entre elles, la CFTC et la CGC, complètement marginales, mais aussi parce que c’est dans ce secteur que les organisations syndicales nouvelles (FSU, UNSA, Solidaires) sont les plus implantées, et enfin parce que la logique du statut rend facultatif l’accord des organisations syndicales pour la définition des conditions d’emploi, de travail et de rémunération.

Ainsi, pour prendre un cas récent, la modification des obligations de services (i.e. du temps de travail) des 700 000 enseignants du second degré, décidée il y a un an par Gilles de Robien avait été rejeté par la totalité des syndicats, y compris les plus minoritaires. Cela n’avait pas empêché sa mise en place, jusqu’à ce que la mobilisation des intéressés conduise le nouveau gouvernement à revenir sur cette décision.

Le fondement de la démocratie sociale dans le secteur public, c’est la " gestion paritaire ". L’ensemble de la gestion des services et des personnels est examiné dans le cadre de commissions paritaires, ce qui ne donne pas, contrairement aux idées reçues, de pouvoir de décisions aux organisations syndicales, car ces commissions sont purement consultatives. Elles permettent néanmoins l’expression claire des salariées et la totale transparence dans les opérations de gestion.

Sous couvert de " modernisation ", et là encore dans le cadre d’un débat sur la représentativité, il est actuellement question de revenir, d’une part, sur le caractère paritaire de ces instances, et d’autre part sur l’examen des situations précises.

Revenir sur la parité signifie très concrètement qu’il n’y aura plus d’avis formulé par ces commissions : les votes qui y sont parfois organisés trouvent leur légitimité dans le fait que les votes se divisent en deux collèges égaux (représentants de l’employeur/représentants des salariés). Il s’agit donc de déposséder ces commissions du droit de donner un avis, qui est finalement le seul qui leur soit reconnu par la législation.

De même, abandonner l’examen des situations individuelles des salariés pour se concentrer sur " les grands objectifs et les grandes lignes " de la politique revient à vider de tout contenu les débats qui s’y mènent. En tout état de cause, s’il est parfois possible pour les élus syndicaux de faire apparaître des incohérences ou des injustices sur des cas précis, la logique statutaire donnera toute latitude à l’employeur pour décider de tout, sans avoir d’autre obligation que de faire part globalement et généralement des décisions qu’il aura prises.

On voit donc que ce qui est actuellement en jeu est bien plus important que de déterminer une hiérarchie entre organisations syndicales. Il s’agit bel et bien, pour la droite et le patronat, d’en finir avec le syndicalisme, et plus particulièrement celui qui ne s’accommode pas du rôle de " modérateur " social que le libéralisme voudrait lui faire jouer.

C’est en mettant en avant les principes d’une vraie démocratie sociale : liberté des salariés de choisir ceux qui les représentants, obligation des employeurs de reconnaître la légitimité des choix des travailleurs exprimés par leur vote, principe de l’accord majoritaire, qu’on pourra contrer ces attaques ultra-libérales.

Daniel MARCEAU

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