GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur

Le Chanoine-Président

Le titre de " chanoine honoraire de l’église romaine de Saint-Jean de Latran. " est l’un des nombreux titres que le Vatican garde dans les tiroirs pour huiler ses relations diplomatiques. Censé dater d’Henri IV, ce titre a été proposé à tous les présidents de la République française. Mitterrand et Pompidou l’avaient refusé. De Gaulle, Giscard et Chirac l’avaient accepté mais sans y prêter autrement attention. Nicolas Sarkozy l’a accepté avec enthousiasme et a tenu à l’occasion de son " intronisation ", le 20 décembre 2007, un discours emprunt d’une rare religiosité.

Le 14 janvier 2008, il récidivait à Ryad, la capitale de l’Arabie saoudite, l’une des dictatures religieuses les plus obscurantistes du monde, en prononçant un discours exaltant " Dieu qui n’asservit pas l’homme mais qui le libère ".

Le discours de Latran

Sarkozy, dans ce discours, étale ostensiblement ses sentiments religieux, ses croyances de catholique traditionaliste. Selon son habitude, il se met en scène, sans distinguer ce qui relève de la sphère privée et de la sphère publique. En agissant ainsi il hiérarchise les citoyens : d’abord les Catholiques, ensuite les autres Chrétiens, puis les croyants et, tout en bas, les non-croyants. Cette attitude est incompatible avec sa fonction de Président d’une république qui (selon l’article 2 de la Constitution) est une république laïque et qui se doit de représenter tous les citoyens, pas seulement ceux qui ont les mêmes croyances que lui.

Il affirme que " les racines de la France sont essentiellement chrétiennes ". Il fait ainsi passer à la trappe les humanistes incroyants ou sceptiques des 16ème et 17ème siècles, les adeptes des Lumières du 18ème siècle, les rédacteurs de la déclaration des droits de l’homme inspirée de la doctrine des droits naturels, venue tout droit des stoïciens sans passer par le christianisme, les agnostiques et les athées.

Il rappelle le vote de la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat de 1905 (dont il est censé être le garant en tant que président de la République) et compatit aux " souffrances que sa mise en œuvre a provoqué en France chez les catholiques, chez les prêtre, dans les congrégations, avant comme après 1905 ". Il ignore superbement, ainsi, ce qu’était la mainmise de l’Eglise sur l’Etat, tout particulièrement sur l’enseignement. Dans le même ordre d’idée, il faudrait sans doute aussi comprendre les " souffrances " de la noblesse lorsqu’au cours de la nuit du 4 août 1789, les privilèges avaient été abolis.

Oubliant les dégâts du néolibéralisme et son propre bilan, il n’hésite pas à affirmer : " La désaffection progressive des paroisses rurales, le désert spirituel des banlieues, la disparition des patronages, la pénurie des prêtres, n’ont pas rendu les Français plus heureux. C’est une évidence ".

Oubliant tout aussi radicalement l’histoire de la religion catholique, des croisades à l’inquisition en passant par le massacre des Juifs en Allemagne au 11ème siècle, celui des Cathares au 13ème siècle et celui des Protestants au 16ème siècle, Nicolas Sarkozy se permet d’affirmer que " la morale laïque risque toujours de s’épuiser ou de se changer en fanatisme quand elle n’est pas adossée à une espérance qui comble l’aspiration à l’infini ". Le président de la Ligue des Droits de L’Homme, Jean-Pierre Dubois ne se prive pas de lui retourner les termes mêmes qu’il emploie pour répondre à cette homélie : " Le monde est plein de " fous de Dieu " qui, portés par une " espérance " délirante, poussent leurs " engagements " jusqu’à " la radicalité du sacrifice de leur vie "… et des centaines d’autres vies innocentes. Le tout au nom de la " différence entre le bien et le mal " et de la purification des âmes ".

Point d’orgue de sa péroraison, Nicolas Sarkozy n’hésite pas à asséner : " Dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le pasteur ou le curé, même s’il est important qu’il s’en approche, parce qu’il lui manquera toujours la radicalité du sacrifice de sa vie et le charisme d’un engagement porté par l’espérance ". Difficile d’imaginer un mélange plus réussi de langue de bois dévote et de mépris pour les enseignants, particulièrement ceux des banlieues et des quartiers " difficiles " !

Le discours de Ryad

Le 14 janvier 2008, Sarkozy prononçait un nouveau discours tout aussi pétri de religiosité devant les 150 membres du Conseil consultatif du royaume saoudien.

Après avoir assuré sans rire que Dieu était " le rempart contre l’orgueil démesuré et la folie des hommes ", il affirmait : " La politique de civilisation, c’est ce que font tous ceux qui s’efforcent de concilier le progrès et la tradition, de faire la synthèse entre l’identité profonde de l’Islam et la modernité sans choquer la conscience des croyants. C’est ce que fait l’Arabie Saoudite sous l’impulsion de Sa Majesté le Roi Abdallah ".

Ce discours, Nicolas Sarkozy le prononçait bien à Ryad, capitale du wahhabisme, doctrine obscurantiste du " retour à l’islam des origines ". Un pays où n’existe ni parti politique, ni élection, ni Parlement autonome, ni magistrature indépendante, ni syndicat, ni organisation de défense des droits de l’être humain… Un pays où les femmes n’ont aucun droit et où la victime d’un viol collectif est condamnée à 200 coups de fouet par le Conseil suprême de la justice saoudienne. Un pays où la " loi islamique " prescrit la peine de mort pour l’homicide, le viol, le vol à main armée, le trafic de drogue, la sorcellerie, l’adultère, la sodomie, l’homosexualité, le vol sur autoroute, le sabotage et l’apostasie (le renoncement à l’Islam). Un pays où décapitation au sabre des condamnés est publique dans les cours ou aux abords des mosquées les plus fréquentées, après la prière du vendredi, au milieu des cris de la foule des croyants (ceux, sans doute, dont Sarkozy a peur de " choquer la conscience ") qui scande "Allah Akbar!" ("Dieu est grand !"). Un pays où des êtres humains sont condamnés à l’amputation d’un membre ou à l’énucléation. Un pays où les tribunaux continuent de prononcer régulièrement des peines de flagellations. En 2007, un jeune homme de 16 ans a ainsi été condamné à une peine de 14 ans de prison et de 4 000 coups de fouet (à raison de 50 par séance) parce qu’il aurait " tenu des propos contraires à la charia ", au droit musulman. Un pays où les travailleurs immigrés peuvent être détenus pendant des années sans jugement ni inculpation et ou ils sont beaucoup plus fréquemment que les Saoudiens condamnés à la décapitation, à l’amputation ou à la flagellation.

Pourquoi Sarkozy tient-il des discours aussi étrangers à la tradition républicaine française ?

Certainement, tout d’abord, parce que Nicolas Sarkozy est croyant et que comme il a l’habitude de mélanger politique et sentiments personnels, il continue. Il continue d’autant plus allégrement que cela lui permet de s’attacher une partie de l’électorat qui se reconnaît dans la religion catholique traditionnelle. La transgression de la limite entre le privé et le public lui avait d’ailleurs plutôt bien réussi jusqu’alors. Jusqu’à ce que l’annonce d’une augmentation de 1,1 % des retraites en 2008, conjuguée à un peu trop de strass, de paillettes et à l’escapade à Disneyland lui ait fait perdre la confiance de 11 % des plus de 65 ans auquel il devait pourtant son élection. En étalant sur la place publique ses sentiments chrétiens, il espère sans doute, aussi, regagner une partie du terrain perdu dans cette portion de l’opinion.

Sa conception, ensuite, de la " laïcité positive ", appelant à faire une place plus importante dans la sphère publique aux croyants de toutes obédiences, n’a rien à voir avec la laïcité qui ne peut, d’ailleurs, se voir accoler d’adjectif sans y perdre tout son sens. La laïcité, en effet, implique l’égalité de traitement par la République non seulement des croyants des différentes religions mais aussi des athées et des croyants. La " positivité " de la laïcité n’est, en réalité, que l’expression de l’admiration de Nicolas Sarkozy pour l’Amérique de Bush où prolifèrent les sectes religieuses mais où la juxtaposition de communautés est totalement étrangère à la laïcité.

En bon néolibéral, Sarkozy espère bien, également, que la religion lui permettra de faire l’économie d’une politique sociale, notamment dans les banlieues. Qu’importe la disparition des services publics, des politiques visant à instaurer l’égalité des droits dans les quartiers si la religion joue le rôle de " lien social " et parvient à remplacer l’ " espérance sociale " par l’ " espérance spirituelle ". Mieux vaut donc, dans cette perspective construire des lieux de culte que des centres socioculturels. C’est pourquoi le rapport Machelon, rédigé en 2006 à la demande de Sarkozy lorsqu’il était ministre de l’Intérieur, préconisait d’ouvrir aux communes la possibilité de subventionner directement la construction de nouveaux lieux ce cultes, remettant ainsi en question l’article 2 de la loi de 1905, selon lequel l’ " Etat ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte ". Ce rapport recommandait, également, de multiplier les points de passage entre la loi de 1901 (sur les associations) et la loi de 1905 afin de permettre aux associations non cultuelles d’apporter un soutien substantiel aux associations cultuelles.

Enfin, selon Henri Gaino (la " plume " de Sarkozy), le discours de Ryad " répondait à un impératif politique " lié au " rôle que joue aujourd’hui la monarchie saoudienne et l’Arabie saoudite dans la stabilité du monde, dans la paix du monde, dans les rapports entre l’occident et l’islam ". C’est à un résultat exactement contraire que risque fort d’aboutir la politique de Sarkozy. En premier lieu, s’appuyer sur une dictature pour faire barrage à l’intégrisme est non seulement odieux mais revient à faire le jeu des intégristes, si toutefois, il est possible de trouver plus intégriste que la théocratie saoudienne. En Iran, c’est la lutte menée par les intégristes chiites contre la dictature du Shah qui a rendu possible l’instauration de la république islamique de Khomeiny et d’Ahmadinejad. En second lieu, tout en s’en défendant, Nicolas Sarkozy reprend à son compte la théorie de Samuel P. Huntington. Il tend à réduire, en effet, les civilisations à leurs religions dominantes. C’est le chemin le plus sûr vers le " choc des civilisations ".

Jean-Jacques Chavigné

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