GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur Une Antiracisme

Vérité et justice pour Nahel

Nahel Merzouk est mort le 27 juin 2023. Cet adolescent, âgé de 17 ans, a été tué par un policier à la suite d’un refus d’obtempérer, à Nanterre. Une mort qui en rappelle d’autres, de Villiers-le-Bel à Béziers, de Nantes à Beaumont-sur-Oise, en passant par Marseille.

Cette fois, le président de la République et le ministre de l’Intérieur, piégés par les vidéos qui crient une vérité éloignée de la version des policiers sur place, l’affirment : la mort de Nahel est inacceptable et inexcusable, évoquant l’émotion toute entière de la nation. La seule question qui vaille, c’est : combien de vies pour que ça change vraiment ?

Une doctrine policière assouplie

En 2016, à Viry-Châtillon, des policiers sont violemment agressés et brûlés alors qu’ils étaient postés à un carrefour routier. S’en suit une mobilisation des « policiers en colère » qui réclament un assouplissement des règles leur permettant de faire usage de leur arme. Une année plus tard, est votée la loi Sécurité publique. Les policiers obtiennent gain de cause et les règles d’usage de leur arme est alignée sur celle des gendarmes. Cet assouplissement permet de tirer sur un véhicule « dont les occupants sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d’autrui ». La différence est mince mais elle change tout. Alors qu’il leur fallait, jusqu’alors, être en situation de légitime défense, strictement encadrée par la loi, est introduit une notion qui confère au policier une part de subjectivité dans l’évaluation de la situation. Le terme « susceptible » permet aux policiers d’agir avant l’accomplissement d’un délit.

Concrètement, l’évolution de la règle, sans formation nouvelle des policiers, s’est accompagnée d’une augmentation de cas de tirs mortels de policiers sur des conducteurs, ou passagers, lors de refus d’obtempérer, dans le cadre de contrôles routiers. Les chiffres de l’IGPN le démontrent : si le nombre de tirs constatés est resté constant, les tirs mortels sur les véhicules ont été multipliés par cinq. Le sociologue Sébastian Roché (1), s’appuie sur les 2 675 refus d’obtempérer « graves » dénombrés par les autorités policières pour conclure à un chiffre : 5,9 % des cas de refus d’obtempérer finissent en tir mortel. Plus d’un sur vingt ! On est bien loin du chiffre assené par le ministre Darmanin qui n’évoque que 0,5 % de cas. La comparaison avec l’Allemagne est désastreuse : un seul tir mortel à la suite d’un refus d’obtempérer a été recensé en dix ans chez nos voisins.

Tué parce que tuable

L’écrivaine Kaoutar Harchi (2), a écrit sur la mort de Nahel une évidence, résumée en une phrase : « Avant que Nahel ne soit tué, il était tuable. Il pesait sur lui l’histoire française de la dépréciation des existences masculines arabes. Il pesait sur Nahel le racisme. Il était exposé à ce risque. La domination raciale tient toute entière à ce risque ». Des contrôles au faciès aux méthodes de profilages ethniques, les pratiques discriminatoires sont permanentes. L’ONG Human Rights Watch avait documenté comment, même pendant le Covid-19, persistaient des inégalités de traitement et la stigmatisation de certaines populations, majoritairement dans les quartiers populaires, notamment quand elle est immigrée ou issue de l’immigration.

En l’absence de statistiques ethniques, en France, chacun peut se cacher derrière son petit doigt, faire semblant de ne pas comprendre et de ne pas voir. Notre pays est pourtant l’un de ceux les plus décriés. En 2011 déjà, une étude de l’UE établissait que « parmi les personnes issues de minorités résidant en France, 25 % signalaient avoir subi un contrôle policier au cours des deux années écoulées, contre seulement 10 % des individus appartenant à la population majoritaire ». Les alertes se succèdent mais rien ne change. Lors de sa campagne présidentielle, l’alors candidat François Hollande avait promis, dans son 30e engagement, de « lutter contre le délit de faciès dans les contrôles d’identité par une procédure respectueuse des citoyens ». Il aura suffi d’un Manuel Valls Premier ministre, préférant s’en remettre à la « confiance » envers les policiers, pour que la promesse soit enterrée. Avec elle, la reconnaissance d’une pratique discriminatoire, injuste pour les populations concernées, dangereuse pour la société entière.

Révoltes dans les quartiers

Incendies et bris de glace ont suivi la mort de Nahel. Partout en France, des voitures, des services publics ou des commerces brûlent. À la radio, les spécialistes se succèdent et y vont de leurs commentaires. Parmi eux, Renaud Epstein (3), refuse d’entrer dans l’interprétation des faits. Pour lui, si les dégradations ont lieu dans le quartier, c’est parce que ceux qui les commettent y vivent, le connaissent et s’y sentent en sécurité. Si les équipements touchés le sont, c’est avant tout, parce qu’ils sont situés là, pas parce qu’ils revêtent des dimensions symboliques ou politiques particulières.

La population qui vit dans les quartiers embrasés est inquiète et résignée. Une part de compréhension des modes d’action s’installe. Comme au printemps, lors de le contestation sociale des retraites, la frontière se fait plus mince entre ceux qui détériorent, cassent et ceux qui, autour, ont l’habitude de faire montre de détermination pacifique. La réalité, c’est que moins le gouvernement agit, plus il légitime une forme de montée en puissance des modes de revendiquer, de se faire entendre, d’afficher son existence. Moins le gouvernement tempère la police et la laisse aller elle-même à la violence, plus il légitime la violence comme mode de résolution des conflits. Loin de l’apaisement, du dialogue social et de la construction de réponse politique, le gouvernement choisit les blindés et les brigades antigangs et antiterroristes, héroïsant des jeunes en mal de reconnaissance, marginalisés et discriminés par une société où les écarts, les inégalités ne cessent de se creuser.

Il faut une réponse politique !

La réponse ne peut ni être policière, ni judiciaire. S’il faut la vérité et la justice autour de la mort de Nahel Merzouk, elle ne suffira pas. Le problème est systémique, comme résumé en ces termes par le Syndicat de la magistrature : la mort d’un adolescent d’un quartier populaire sous les balles de la police. La réponse à ce problème ne peut être que politique. L’exécutif doit réformer la police : conditions de recrutement et

formation des forces de l’ordre ; conditions de travail et représentations syndicales ; contrôle des pratiques professionnelles par un organisme indépendant. Sans cela, il y aura encore d’autres morts.

Outre la colère face à la mort de Nahel, les révoltes des derniers jours sont aussi une réaction aux inégalités et aux discriminations qui pèsent sur des quartiers auxquels une part de la jeunesse est assignée dès sa prime enfance. Des quartiers où, alors que notre pays atteint quasiment le « plein-emploi » à en croire le pouvoir macroniste, les taux de chômage y oscillent entre 20 et 50 %. Des quartiers où des marchés criminels se sont installés et font vivre des familles. Mais la grande majorité des dirigeants hexagonaux ne se posent aucune question sur les évolutions législatives nécessaires pour encadrer la production et la vente des drogues, s’enferrant dans la législation la plus dure d’Europe, alors que tous nos voisins évoluent, et alors même que la population française est celle qui consomme le plus.

Rien ne changera en matant l’émotion vive produite par la mort d’un adolescent, en interdisant les événements populaires ou en mettant sur pied des couvres-feu. C’est de considération et de compréhension dont a besoin la population, pas de la haine ni de la peur de ses propres dirigeants.

Cet article de notre camarade Marlène Collineau est à retrouver dans le numéro 306 de Démocratie&Socialisme, la revue papier de la Gauche démocratique et sociale (GDS).

(1) Spécialiste des questions de délinquance, d’insécurité, des politiques judiciaires et policières comparées.

(2) Écrivaine et sociologue de la littérature française.

(3) Maître de conférences en sciences politiques.

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