GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Féminisme

Une réforme pour les femmes ? L’in-femme instrumentalisation

Le gouvernement tente de s’appuyer sur les injustices actuelles pour faire passer la pilule d’une réforme qui « protégerait mieux les femmes », mais la vérité est toute autre : cette réforme n’arrangera rien et aggravera la situation de la très grande majorité des femmes.

Au fur et à mesure que les différents ministres ont essayé d’utiliser cet argument, les analyses ont mis en évidence mensonges et contrevérités.

Maintien de l’âge de la décote : et alors ?

Premier argument avancé : « Le maintien de l’âge d’annulation de la décote à 67 ans est particulièrement favorable aux femmes qui sont deux fois plus nombreuses à devoir attendre cet âge en raison d’interruption de carrière »*. Mais en quoi donc est ce une bonne nouvelle ? Effectivement, les femmes sont plus nombreuses que les hommes à devoir attendre 67 ans, pour pouvoir bénéficier d’une retraite à taux plein (20 % du côté des femmes, 10 % pour les hommes). Non seulement le maintien de cette limite ne changera donc rien de ce point de vue, mais l’augmentation du nombre de trimestres nécessaires va générer une augmentation du nombre de personnes qui devront attendre 67 ans pour ne pas être pénalisées. Et cela concernera plus les femmes que les hommes. En outre, les femmes comme les hommes n’ayant pas tous leurs trimestres n’auront certes pas de décote, mais auront toujours une pension plus faible.

Et il faut le dire : ce sont bien souvent des femmes qui ont des professions pénibles et sous-payées qui sont dans cette situation ; c’est-à-dire des femmes pour qui travailler jusqu’à cet âge est une épreuve physique insupportable, parfois inatteignable. Protéger les femmes, cela aurait consisté à apporter une amélioration à cette situation et reconnaître réellement la pénibilité de nombreux métiers occupés majoritairement par celles-ci.

Revalorisation des petites pensions ?

Deuxième argument : « Le minimum des pensions sera revalorisé, ce qui aidera les plus petites pensions, donc notamment celles des femmes »*. C’est ne pas préciser que pour bénéficier de cette revalorisation de 100 euros, il faudra une carrière complète, ce qui, justement, est la « contre-caractéristique » des carrières des femmes qui ont des carrières hachées. Donc, pour beaucoup d’entre elles, cette revalorisation sera en fait minime ; leur pension n’atteindra pas, comme veut le faire croire le gouvernement, 1200 euros et en restera même bien loin.

La majoration pour maternité minimisée

Troisième argument « Les périodes validées au titre de l’assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF), souvent en raison de congé parental, seront désormais prises en compte dans le dispositif carrières longues »*. En réalité, les trimestres cotisés pendant le congé parental seront intégrés dans la limite de quatre trimestres, et uniquement pour celles qui ont commencé à travailler avant 20 ans. Cela bénéficierait à 3 000 femmes par an, selon les calculs du gouvernement, soit 0,8 % de celles qui sont parties à la retraite en 2019 !

En revanche, beaucoup plus nombreuses sont les femmes qui, ayant atteint le nombre de trimestres acquis pour ouvrir leurs droits grâce aux trimestres supplémentaires liés à la maternité et à l’éducation, verront l’âge auquel elles pourront partir reculer. Elles devront désormais travailler un an de plus, voire deux ans pour les générations nées après 1968.

Tout cela aboutit au fait que loin de rééquilibrer la situation entre les hommes et les femmes, les répercussions directes pour les années à venir conduisent à un décalage plus important pour les femmes que  pour les hommes.

« L’étude d’impact anticipe un relèvement de l’âge de départ lié à la réforme de sept mois en moyenne pour les femmes, contre cinq mois pour les hommes. Les femmes nées en 1972 verront leur âge moyen de départ augmenter de neuf mois en moyenne contre cinq pour les hommes de la même génération. Pour la génération 1980, l’effort est même deux fois plus important, puisqu’elles partiraient huit mois plus tard contre quatre mois pour les hommes »1.

Les femmes seront donc davantage touchées que les hommes par le recul de l’âge de départ à la retraite, sans pour autant bénéficier d’une meilleure pension qui, rappelons-le, est déjà en moyenne de 40 % inférieure à celle des hommes. Il y a aussi des sujets dont on parle moins.

La précarisation des femmes seniors

Décaler l’âge de départ ne fera que renforcer la précarité des femmes avant l’accès à la retraite. Les femmes seniors, à l’instar des plus jeunes, sont toujours plus concernées par le chômage que les hommes. Malgré l’intox permanente sur ce sujet, reculer l’âge de la retraite ne fera qu’accentuer le nombre de seniors au chômage… ou de ceux ou celles qui ne sont « ni au chômage ni à la retraite ».

En effet, si la moitié des 35 % de personnes de plus de 55 ans qui sont « hors emploi » sont au chômage, environ un quart d’entre elles ne sont ni en retraite ni au chômage, c’est-à-dire en situation de précarité (minima sociaux) ou sans revenu personnel, c’est-à-dire en situation de dépendance financière, ce qui est plus souvent le cas des femmes2. Ces situations précaires ne seront en rien résolues, mais au contraire prolongées par le recul de l’âge légal d’ouverture des droits.

Un poids de plus sur les épaules des aidants

« Une assurance vieillesse des aidants sera créée et permettra une validation de trimestres élargie à davantage d’aidants »*. Il s’agit là de prendre en compte des personnes ayant arrêté ou diminué leur temps de travail pour aider un proche, et c’est certainement une bonne chose. Le gouvernement estime à 20 000 le nombre de personnes qui seraient concernées. Il n’est déjà pas sûr que cette mesure compense pour les personnes concernées l’augmentation des trimestres requis par la réforme.

Mais ce nombre est bien loin du nombre de personnes et en particulier de femmes qui verront s’allonger le temps où elles devront concilier travail salarié et aide auprès de leurs parents âgés. En effet, aujourd’hui on estime à 3,4 millions les « aidants de seniors à domicile ». Les femmes en représente une forte majorité (60%). 31 % d’entre eux/elles ont entre 50 et 64 ans, 51 % sont actifs, 33 % retraité.e.s3. On peut par conséquent dire que le profil type d’un aidant est une femme arrivant à l’âge de la retraite ! Encore une fois, plutôt que de « protéger » ces femmes, la réforme alourdira le poids qu’elles ont sur les épaules.

Tous et toutes uni.e.s pour le retrait de cette réforme inique.

Cet article de notre camarade Claude Touchefeu (écrit le 5 février 2023) a été publié dans le numéro 203 de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS)

* Dossier de presse du gouvernement, 10 janvier 2023.

1. Les Échos, 23 janvier 2023.

2. Christiane Marty, « Retraites, saison 2022 », www.attac.org, sept.-oct. 2022, p. 3, repris dans « Une retraite plus juste pour les femmes, vraiment ? », www.egalite-professionnelle.cgt.fr, 5 janvier 2023.

3. https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2020-08/2019_infographie_aidants_des_personnes_agees_0.

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