GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

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Un legs précieux

Nous publions ci-dessous la chronique Palestine de notre ami Philippe Lewandowski, parue dans Démocratie&Socialisme n°227 de septembre 2015 à propos du livre d’Ilan Halevi, Islamophobie et judéophobie.

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L’ouvrage d’Ilan Halevi que publient les éditions Syllepse(1) est un livre posthume, bien plus développé que de simples notes ou fragments, mais néanmoins incomplètement achevé par son auteur. L’état d’avancement de la rédaction suffit pourtant pour découvrir une pensée audacieuse, qui n’hésite pas à sortir des sentiers battus pour tenter de comprendre et d’agir concrètement sur les problèmes du monde réel, tel qu’il est. Le parcours biographique d’Ilan Halevi illustre à merveille l’évolution d’une réflexion qu’il n’a jamais séparée de l’action, une attitude suffisamment rare pour qu’on la mette en relief et la porte à son impressionnant actif.

Qui était Ilan Halevi (1943-2013) ?

Pour faire court : né de parents résistants recherchés par la police nazie, Georges Alain porte plusieurs noms faux (par nécessité) puis vrais, avant de se faire connaître sous celui d’Ilan Halevi. Après plusieurs expériences aux États-Unis et en Afrique, il se rend en Israël à l’été 1967, non pas pour devenir sioniste, mais pour y défendre la cause palestinienne. Il intègre d’abord le Matzpen (auquel appartient également Michel Warschawski), un groupe socialiste révolutionnaire qui incarne l’extrême-gauche à l’époque, puis rejoint le Fatah de Yasser Arafat, dont il devient un des vice-ministres des affaires étrangères. De tradition internationaliste, sa démarche, dans le contexte palestinien, se veut avant tout citoyenne : « L’autoglorification communautaire, quelle que soit sa couleur, me déplaît profondément », écrit-il (p.52). Et c’est dans cet esprit qu’il s’avère non seulement un militant conséquent et un analyste remarquable, mais aussi un prodigieux producteur d’idées. Cet ultime ouvrage en présente quelques-unes.

Deux variantes du même mal absolu

Ilan Halevi désigne sans fioriture ce qu’il combat : « Depuis plus de trente ans, par expérience acquise, je retiens que le Mal absolu, le crime contre l’Esprit humain et contre l’humanité par excellence, c’est le racisme » (p.54). Si, dans sa première enfance, l’auteur a été poursuivi en tant que « juif »[[Ilan Halevi emploie des guillemets à dessein (p.52, 53). Il s’explique : « J’ai hérité de la judéité comme d’une catégorie imposée, au départ vide pour moi de tout contenu religieux ou culturel positif. Mais […] il serait inélégant de renier une appartenance, même imposée, tant qu’elle entraîne d’injustes et inacceptables persécutions. » Le « tant que » est à souligner. Ensuite, c’est par choix conscient qu’il se fait palestinien. Il rappelle bien entendu qu’il n’y a pas de race juive.]], c’est en tant que Palestinien qu’il a vu son appartement détruit par l’armée israélienne en 2002, lors de l’opération « Rempart ». Il n’est donc pas étonnant que son raisonnement établisse un lien entre le sort fait aux Juifs dans la première moitié du XXe siècle et celui que subissent les Palestiniens à partir de la seconde moitié du même siècle, sans pour autant se complaire dans une analogie simpliste : « Il ne s’agit pas ici de poser une équation d’égalité entre la situation des musulmans aujourd’hui et celle des juifs hier, mais entre deux délires racistes qui fonctionnent de façon identique en dépit des différences entre leurs objets » (p.173). La problématique ne se limite donc pas à tel ou tel conflit particulier.

Le sens des mots

Ilan Halevi s’interroge à diverses reprises sur la manière dont sont employés et perçus certains termes omniprésents dans le discours commun. Si le dernier chapitre de l’ouvrage est constitué par un utile « Glossaire de l’ignorance islamophobe », le corps du texte décortique cependant d’autres notions qui s’avèrent tout aussi piégées : « Antisémitisme » et « Islamisme » occupent ici une place de choix, et les explications avancées méritent la plus grande attention.

Une analyse sans œillères

C’est avec le même souci de précision d’analyse que l’auteur se penche sur les diverses forces que se réclament de l’Islam dans le monde actuel. Le survol est rapide, mais se focalise plus longuement sur deux d’entre elles : le Hezbollah libanais et le Hamas palestinien. Cette lecture devrait être obligatoire pour tous les journaleux qui se contentent d’ordinaire de reprendre les clichés soigneusement formatés de la propagande gouvernementale israélienne. Car quelles que soient les critiques qu’il est possible et nécessaire de leur faire (l’auteur ne les ménage d’ailleurs guère), les deux forces citées sont parfaitement incontournables pour toute solution allant dans le sens de l’apaisement des conflits. Il est donc indispensable de prendre en compte leurs réalités sur le terrain, et non les caricatures dont on les affuble.

Ni peste ni choléra

La dernière piste ouverte par Ilan Halevi sur laquelle il convient d’attirer l’attention est celle de la nécessité d’un nouveau non-alignement : « Tout d’abord parce que l’identification avec l’un ou l’autre des « camps » en présence est impossible. Il s’agirait de choisir entre la peste et le choléra. Ceux qui appellent à la guerre, d’un côté comme de l’autre, sont véritablement les ennemis de l’humanité, et on ne peut que se distancier des uns comme des autres. Ensuite, à cause de l’unilatéralisme en matière de relations internationales ; l’idée que l’on peut remplacer le droit par un corps expéditionnaire émanant d’une « coalition des consentants » ; l’idée selon laquelle il n’y a pas de partenaires avec lesquels négocier et faire la paix ; l’idée qu’il n’y a d’États-voyous, qu’il faut ostraciser, que parmi ceux qui s’opposent aux desseins impériaux ; et l’illusion et la prétention qu’on peut faire la paix et recomposer le grand Moyen-Orient sans l’Iran, sans la Syrie, sans le Hamas et sans le Hezbollah ; bref, l’idée que si l’on tue tous les méchants, le monde se portera mieux est à la fois imbécile et dangereuse pour l’avenir du monde » (p.169-170).

Il n’est pas nécessaire d’être en accord avec l’ensemble des analyses proposées par Ilan Halevi pour reconnaître le caractère positif et constructif de ses contributions. Ainsi, même si ce thème n’est pas abordé dans cet ouvrage, son appréciation des accords d’Oslo peut être notamment remise en question. Mais l’œuvre et la vie de cet homme demeurent des exemples de courage et d’intégrité. Avec leurs limites et leurs fulgurances, elles permettent de nourrir et d’enrichir toute vraie réflexion politique.

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(1): Ilan Halevi, Islamophobie et judéophobie : l’effet miroir. Paris : Syllepse, 2015. ISBN 978-2-84950-463-6. - 15 euros. (retour)

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