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Il y a 40 ans : le massacre des communistes indonésiens

Nous reproduisons un premier article de notre camarade Jean-François Claudon, paru dans la revue Démocratie&Socialisme. La suite de cet article sur le massacre des communistes indonésiens de 1965 paraîtra dans les deux prochaines lettres électroniques de D&S.

Il est des horreurs du XXe siècle qui n’ont guère laissé de trace dans la mémoire humaine. Peu de gens savent en effet qu’en Indonésie, dans les derniers mois de l’année 1965, près d’un million d’individus ont été assassinés par l’armée au nom de la lutte contre la subversion. Et encore s’agit-il là d’estimations basses, la fourchette oscillant de 600 000 victimes à… plus de 3 millions ! Depuis 2012, la qualification de « crime contre l’humanité » a été retenue par la Commission indonésienne des droits de l’homme (Komnas-HAM) pour évoquer cet événement traumatique.

Bagatelles pour un massacre

Ces hommes et ces femmes ont été impitoyablement massacrés dans tout l’archipel au prétexte qu’ils avaient soutenu un coup d’État imaginaire orchestré par le Parti communiste indonésien. La fraction la plus droitière de l’appareil d’État a profité de ce casus belli tombant à pic pour déchaîner une terreur inouïe contre tous les opposants à la ligne dure de l’armée, incarnée par le général Soeharto, qui allait profiter du bain de sang pour s’installer au pouvoir sur les vestiges du régime de Sokarno. Les membres du PKI, qui constituait alors, avec ses 3 millions d’adhérents, le troisième parti communiste du monde, furent évidemment au premier rang des victimes.

Nur Kholis, le président de la Komnas-HAM, a toutefois rappelé, le 31 juillet 2012, au moment de rendre public le rapport dont il avait la charge, que « beaucoup de victimes n'étaient même pas affiliées au Parti communiste. Les militaires se sont arrangés pour les faire passer pour des membres du PKI ». Le correspondant du Monde en Indonésie d’ajouter que « durant ce carnage qui commença dans la capitale, Jakarta, avant de s'étendre au centre et à l'est de Java, puis à Bali, la minorité chinoise de l'Indonésie fit aussi les frais de pogroms locaux en raison de [s]a proximité »(1) supposée avec la mouvance communiste. Des athées, des hindouistes et des milliers de musulmans grossirent également la liste macabre de Soeharto.

Un parti communiste original

La préhistoire de cette effroyable boucherie remonte loin dans le temps. Déjà, en 1920, lors du deuxième Congrès de l’Internationale communiste, le Hollandais Sneevliet, le propagateur des idées révolutionnaires en Chine et en Indonésie – alors colonie batave –, avait mentionné le « développement du mouvement nationaliste Sarekat Islam qui, en partie sous l’influence de quelques militants marxistes néerlandais, [avait pris] un caractère révolutionnaire »(2). Dans une Comintern en voie de satellisation, la double originalité de ce parti, dirigé par Semaoun, puis par Tan Malaka, était de jouir d’une réelle influence chez les travailleurs indigènes par le biais de son syndicat « rouge », mais aussi d’entretenir des relations étroites avec l’organisation nationaliste de gauche, le Sarekat Rakjat, qui s’était détachée en 1923 du Sarekat Islam. Rapidement, les communistes s’assurent la direction de ce parti nationaliste de masse.

Après des progrès foudroyants réalisés en 1925, le PKI, sur les conseils d’une Internationale en train de négocier un de ces zigzags gauchistes dont elle commençait à avoir le secret, lance en novembre 1926 une insurrection armée réprimée dans le sang en quelques jours. On sait maintenant que le PKI était profondément divisé sur la question du soulèvement et qu’à Moscou, Zinoviev s’était évertué à court-circuiter Tan Malaka, alors installé aux Philippines. « La vérité est que Tan Malaka était « catégoriquement opposé à un projet qui […] ne p[ouvai]t être selon lui qu’un putsch dans lequel les communistes agi[raient] sans les masses »(3).

Là où se noue le drame

Interdit en 1927, au lendemain de l’insurrection ratée, le PKI ne refait surface aux yeux des travailleurs qu’après la défaite de l’Axe, voire de l’indépendance indonésienne, obtenue en 1948. En 1951, D.N. Aidit prend la tête du parti et fait le choix de soutenir Sokarno dont l’idéologie met en avant « l'unité de l'Indonésie, l'internationalisme, […] l'unanimité et la délibération […], la justice sociale et enfin la croyance en l'existence d'un dieu unique »(4). La progression du PKI, arrimé à la ligne anti-impérialiste de Sokarno, est spectaculaire. Le syndicat qu’il dirige devient rapidement le plus important du pays. Aux élections législatives de 1955, il obtient plus de 16 % des voix. Il passe de 150 000 adhérents en 1954 à 1,5 million quatre ans plus tard et ses associations de masse organisaient peut-être un cinquième de la population indonésienne.

En 1959, sous la pression de l'armée de terre, Sokarno dissout l'assemblée issue des élections de 1955 et forme une nouvelle assemblée dont il désigne les membres. Le PKI soutient cette expérience autoritaire connue sous le bel euphémisme de « démocratie dirigée »... Sans le savoir, il vient de mettre un pied dans la tombe.

Lire la suite de l'article :

Le massacre des communistes indonésiens (2)

Le massacre des communistes indonésiens (3)

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L’article en PDF

(1):  Bruno PHILIP, « L’Indonésie en passe de reconnaître les massacres anticommunistes de 1965 », Lemonde.fr, 6 août 2012. (retour)

(2):  Pierre BROUÉ, Histoire de l’Internationale communiste. 1919-1943, Fayard, 1997, p. 165. (retour)

(3):  Ibid., p. 402. (retour)

(4):  Béatrice ROMAN-AMAT, « 30 septembre 1965 : en Indonésie, une tragédie amène Suharto au pouvoir », Herodote.net.  (retour)

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