GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur Au Parti socialiste

Sur le « compte personnel d’activité »

Au BN du 12 octobre, un rapport très fouillé sur « le compte personnel d’activité » a été défendu par Pascale Gérard (secrétaire nationale du PS au Travail, à l'emploi, et à la formation professionnelle). Une synthèse avait été envoyée à tous les membres du BN quelques jours auparavant en même temps que la convocation. Cette synthèse et le document de travail sont d’ailleurs annoncés sur son compte face book par la camarade rapporteure. Il a bien été répété, comme ne cesse de le dire le Premier ministre, qu’il s’agit du « projet phare du gouvernement pour la dernière année du quinquennat ». Ce point a été discuté au BN en deuxième partie d’ordre du jour. Je suis intervenu alors qu’il ne restait plus que 15 à 20 % de ses membres et celui-ci s’est terminé exceptionnellement à 21h 15. Les principaux dirigeants comme J-C Cambadelis avaient été obligés de partir avant. Si je suis resté jusqu’au bout et ait fait une intervention longue c’est parce que ce sujet est en effet décisif. Voilà, reconstituée et complétée, mon intervention (pour la mieux comprendre il est utile aussi de lire sur mon blog l’analyse détaillée des 44 mesures Jean-Denis Combrexelle, des 36 « préconisations » de Bruno Mettling, et de revenir sur la critique détaillée la loi Macron du 8 août en 308 articles).

Chers camarades,

J’ai bien écouté et bien lu le « document de synthèse » que vous nous présentez en faveur d’un « compte personnel d’activité » et j’ai encore bien du mal à comprendre ou alors ce que je comprends m’effraie.

Vous reprenez au départ une idée qui me semble fausse : « les droits et protections jusqu’alors attachés au travail s’affaiblissent aujourd’hui en raison des nouvelles formes d’emploi et de la montée des précarités. »

NON ! Le CDI s’allonge au contraire, il est passé de 9 ans et demi a 11 ans et demi ces vingt dernières années car les entreprises les plus qualifiées et novatrices, comme les salariés, ont besoin de travail stable, durable et qualifié ! Le patronat voudrait faire croire le contraire, et n’aime pas cette vérité car il lutte pour baisser le coût du travail et pour augmenter ses profits, mais ça n’est pas moins une évidence : ce ne sont pas les flexibles qui produisent le plus, mais les salariés bien formés, bien traités et bien payés. Si on veut plus de compétitivité, il faut plus de statuts, de droits, de garanties, de bons salaires, pas l’inverse.

Vous écrivez aussi, comme le patronat voudrait le faire croire : « l’insécurité sociale est la conséquence de la reconfiguration profonde du monde du travail et des évolutions technologiques (notamment révolution numérique)… »

NON ! La révolution numérique devrait pouvoir permettre de mieux imposer et contrôler des droits du travail renforcés. Il devient beaucoup plus facile de contrôler les horaires, les missions exactes et donc les salaires correspondants.

Le patronat veut adapter les humains qui travaillent à la machinerie numérique, nous voulons l’inverse ! Nous voulons soumettre la machinerie numérique aux besoins et droits des humains. C’est une bataille collective pas une adaptation « personnelle ».

Le « Compte personnel d’activité », ça sonne drôlement.

En vérité, notre grande tradition en France, depuis un siècle, c’est plutôt « droits collectifs du travail », « conventions collectives » et code du travail. Pendant un siècle, depuis 1906 et 1910, nous avons, à travers les luttes et les lois, bâti un ordre public social basé sur des droits collectifs visant à garantir la protection des salariés dans le cadre de ce contrat déséquilibré, caractérisé par la subordination, l’inégalité des deux parties contractantes qu’est le contrat de travail.

C’est aussi dans ce cadre que nous développé la belle idée de la « Sécurité sociale professionnelle », afin de garantir les salariés contre les licenciements abusifs ou sans cause réelle et sérieuse, contre les pertes d’avantages salariaux, de stabilité et de déroulement de carrières, contre les périodes de chômage prolongées avec retour obligé à l’emploi dans des conditions dégradées.

Ces mots sont beaux, « sécurité sociale professionnelle ». Sécurité, c’est une protection collective. Sociale, c’est le rejet de l’insécurité dans la vie. « Professionnelle » c’est la garantie des qualifications.

Et puis il ne peut pas y avoir de « Sécurité sociale professionnelle » en facilitant les licenciements, comme cela vient d’être fait. Ni même en permettant 3 CDD de suite à la place d’un CDI pour les jeunes.

Je préfère nettement « Sécurité sociale professionnelle » : on sait mieux où l’on va.

Alors votre proposition :

1°) me semble confuse théoriquement et pratiquement

2°) m’inquiète terriblement (carte ad vitae) car elle serait très dangereuse si elle existait

3°) remet en cause le CDI pour un « CDI de transition et d’évolution professionnelle »(sic).

4°) me rend dubitatif car je ne pense une seule seconde que ça fonctionnera.

1°) Dans « Compte personnel d’activité »

… chaque mot sonne le doute : « compte » ça sent les aléas, pas le droit, « personnel » sent l’individualisation, pas le collectif, « activité » ne sonne ni comme emploi, ni comme qualification.

Le document de synthèse qui nous est soumis ne fait pas une seule fois référence aux conventions collectives ni au code du travail, mais il développe quand même 14 à 18 « comptes » et « droits », 12 censés exister déjà et 5 droits « nouveaux » dans le cadre d’un nouveau « CDI de transition et d’évolution professionnelle ».

Je crains tout de suite que l’énumération de ces droits incertains, dont vous ne dites jamais comment ils seront financés, jamais comment ils seront contrôlés, jamais comment ils seront sanctionnés, ne soit la « précarité généralisée sur toute la vie » en lieu et place de la sécurité sociale et de la formation professionnelle.

Les 10 droits, selon vous, seraient :

1°) le droit à l’assurance chômage pour les actifs salariés qui ont cotisé (heureusement ça existe, mais les fameux droits « rechargeables » ne se sont-ils pas, au fil de l’eau, avec des ajustements comptables « ex post » transformés en « droits déchargeables » au détriment des chômeurs eux-mêmes ?

2°) le compte personnel de formation dont les heures acquises sont financées par les partenaires sociaux (contribution de 0,2% de la masse salariale brute à la charge des entreprises). Mais la part patronale n’a-t-elle pas été abaissée lors de l’ANI et de la loi Sapin selon les tailles des entreprises ? Le passage d’un plafond de 20 h par an pendant 6 ans, à 150 h étalées sur la vie et du DIF (droit) au CPF (compte) s’est-il si heureusement passé ? Les bilans sont très controversés. Les 32 milliards de la formation professionnelle permettraient pourtant d’avoir un grand service public national, doté d’un ministère qui garantirait les statuts des stagiaires de la formation professionnelle, leurs droits, leurs revenus, leurs reclassements avec validation de leurs diplômes, leur reconnaissance automatique, légale, dans les grilles conventionnelles des métiers, qualifications, niveaux et coefficients.

3°) Le droit de retour en formation en initiale différée pour les moins de 26 ans n’ayant pas obtenu un premier niveau de certification professionnelle. C’est typiquement quelque chose qui n’est pas un compte « personnel », mais dépend de subventions, d’indemnités, de salaires, d’établissements, qui n’existent pas en nombre et en qualité suffisantes.

4°) Le droit d’accès à un premier niveau de qualification via le service public régional de la formation. C’est confusément redondant avec le point précédent.

5°) Le droit au Conseil en évolution professionnelle (CEP) pour tous les actifs : on a du mal à dégager cette notion du contrôle par Pôle emploi et de l’orientation forcée en cas de refus d’emploi à plus bas niveau. Y compris l’idée d’un contrôle examen vers 50 ans, ressemble à une étrange étape, quand on sait que le patronat licencie ou rompt massivement les contrats vers 50 et 55 ans pour des motifs peu avouables.

6°) Le droit au Conseil régional en évolution professionnelle (même redondance comme vu ci-dessus : pourquoi doubler ? pourquoi pas un grand service national de la FP, et d‘ailleurs en quoi est-ce lié à un « compte personnel d’activité puisque ça dépend d‘institutions différentes, pas du salarié, en fait on le voit, le « compte » n’est pas personnel » sauf lorsqu’il s’agira de « compter et de contrôler…le salarié).

7°) Le droit à l’orientation gratuit (n’est-ce pas les CSP, les « bilans » multiples existants, ou Pôle emploi ? mais avec des « portefeuilles » de 120 demandeurs d’emploi, les personnels de Pôle emploi ne peuvent pas)

8°) Les droits à formation découlant du C3P (compte pénibilité). La retraite par points de pénibilité ? Le « compte » pénibilité individualisé ? Quelle rotule, quel coude, quel poignet, quel TMS ? Quel degré de surdité ? Quel début de cancer ? C’est déjà choquant en soi depuis le début. Payer l’individu pour ce qu’il souffre, au lieu de lutter contre la souffrance pose question. Mais même de ça le patronat n’en veut pas. Alors au début il était prévu « 12 causes de pénibilités », c’est tombé à 8 causes, puis à 4 causes, et maintenant à 3 causes reconnues, les autres ont été écartées ! Mais pour faire bref : chez les éboueurs, l’espérance de vie moyenne est de 58 ans tellement il y a de cancers. Leur droit COLLECTIF à retraite était à 50 ans. Ce n’était pas un « régime spécial », c’était un DROIT COLLECTIF pour celui qui mourait à 55 ans ou à 95 ans. Là, il faut trier chaque humain individuellement selon le degré avancé de la mauvaise santé ?

La retraite ne doit pas dépendre d’un état de santé individuel de chacun dans chaque métier, mais bel et bien de conventions collectives liées à la pénibilité COLLECTIVE. Oui, il doit y avoir des régimes plus favorables selon les métiers, ce ne sont pas des privilèges, mais des droits collectifs, pas « personnels ». Le salariat a pour point commun de vendre sa force de travail et un ordre public social le protège, on n’en est pas encore, et ça n’arrivera pas, à son « ubérisation » avec le paiement individuel de ses « assurances »…

9°) Le droit à l’information sur la formation (sic ! un bon site de Pôle emploi, non ? pourquoi mettre cela sur le « compte personnel »… et sur la « carte à puce ad vitae » dont on va parler ensuite ?)

10°) Le compte épargne temps (je suis contre, les congés payés doivent être pris de façon OBLIGATOIRE chaque année, ne pas pouvoir être payés, ne pas pouvoir être « échangés » contre des « jours de formation » ou autres, les congés payés, c’est pour le repos annuel comme il y a un repos quotidien obligatoire. Vous vous rendez compte qu’on a dû déjà faire une loi pour que les héritiers puissent toucher les reliquats des CEP ? Si, si !)

Vous évoquez même :

- les comptes enfants malades

- les comptes congés parentaux

- les comptes portages de « complémentaires » santé ou de mutuelles

Vous envisagez un « principe de fongibilité » de ces droits, genre les « jours » de congé épargne temps deviendraient des jours de formation…

Vous évoquez aussi :

- 1°) « droit à l’accompagnement »

- 2°) droit au bilan professionnel

- 3°) droit à l’obtention de « briques de compétence » (VAE ?)

- 4°) droit à un bouquet de services autour du sur mesure et d’individualisation

- 5°) droit à une « deuxième chance »

Est-ce un hasard si vous avez oublié :

- le compte « heures supplémentaires », qui est sans aucun doute le plus important

- les comptes de niveau, de coefficient et d’échelons dans les progressions de carrières et les indices de salaires liés ?

- le compte points d’ancienneté et gains de salaires liés ?

Et vous envisagez de classer en droits individuels sur le « compte personnel d’activité » je cite « les droits à la retraite, le CET, la mutuelle complémentaire »…

Tous ces droits « mixés » de « sources de financement composées de droits capitalisables et de droits mutualisés » (quid des cotisations ? est-ce pour cela qu’on veut simplifier les bulletins de paie, en précisant les cotisations par « risques » et non plus ? « caisses » ?

Vous parlez d’ « hybridation adaptée à la mixité des situations et à l’itération croissante entre emploi, activité non salariée, et non emploi rencontrée par une part croissante des actifs » ?

Tout cela devient une usine à gaz extrêmement complexe… et vaine… elle ne marchera pas,

… pas plus que le compte de pénibilité aujourd’hui, alors qu’encore une fois ce sont tous des droits COLLECTIFS. Même des secteurs du patronat se diront que c’est imbécile et qu’il vaut mieux en revenir à des corps intermédiaires (syndicats, IRP), des conventions collectives, des négociations, et des contrôles ( médecine du travail, inspection du travail, prud’hommes) que la division des droits individuels à l’infini.

Et s’il faut simplifier certaines choses, je vous donne une piste : stopper le « millefeuille » des assurances, complémentaires, prévoyance, mutuelles, etc.… « Une seule cotisation pour une seule caisse, la sécurité sociale » , ça sera encore mieux géré, plus clair, cela fera des économies, et vous n’aurez pas besoin d’une usine à gaz avec une carte personnelle d’activité…

2°) Car c’est là que tout devient inquiétant :

Vous proposez une « carte ad vitae qui retracerait toutes les étapes du parcours professionnel de chaque actif et ses droits à formation ». Cette carte, dites-vous, « sera l’équivalent inversé de la carte Vitale car, à la différence de la carte Vitale qui affiche les informations pour le professionnel de santé et non pour l’usager, il s’agit ici de rendre lisibles pour l’usager les informations capitalisées sur son parcours, ses formations, ses expériences, ses compétences et ses qualifications » . (La loi Macron prévoit aussi comme par hasard une « carte professionnelle » selon une autre directive européenne, pour « lutter contre le travail dissimulé dans le bâtiment ». Mais qui va la contrôler, pas l’inspection vu ses faibles moyens et pas la gendarmerie, seul le patron… Sera-ce la carte du chemineau européen détaché ? … !)

Mais n’est-ce pas une nouvelle variante du « livret ouvrier » qui a existé jusqu’à ce que les luttes ouvrières finissent par imposer à Napoléon III de le supprimer ? « Carte à puce = livret ouvrier » ? Ça vous fait soulever les épaules ? Mais est-ce si éloigné que ça ?

Car à QUI va servir cette carte à puce ad vitae ? Vous voilà obligés de préciser (c’est déjà en pointillé dans le code, lois Sapin et Macron) que l’employeur ne pourra exiger d’y avoir accès, (sic) puis que l’usager pourra la montrer à « qui il veut », il choisira, à qui ? QUI va se servir de cette carte ad vitae alors ? QUI y aura intérêt ? QUI aura assez de forces pour obtenir de la consulter ? Je ne parle même pas de la CNIL, des libertés, mais d’une carte concentrée où toute la carrière, comme vous dites, sera lisible, c’est le « Compte personnel d’activité » devenu grand projet de la fin du quinquennat, grand projet annoncé de façon médiatique à tout bout de champ en ce moment, par le Premier ministre pour le 1er janvier 2017 ?

QUI donne, derrière, une cohérence à tout cela, sinon le Medef, depuis la loi Fillon du 4 mai 2004, renversement de la hiérarchie des sources de droit, « recodification » de 2004-2008, les lois Bertrand (rupture conventionnelle individuelle… sans motif), ANI Medef du 11 janvier 2013, facilitation des licenciements, diminution des informations des IRP, (tiens, on a diminué drastiquement les informations des IRP sous prétexte que c’était « trop compliqué » pour les patrons, mais on invente une carte à puce pour les informations « personnelles » ? Inouï non ? ), suprématie du contrat sur la loi, du contrat d’entreprise sur le contrat de branche, jusqu’à la « personnalisation » du contrat de gré à gré, son individualisation, remise en cause de l’article 2064 du Code civil et du 8 février 1995 dans la loi Macron ouvrant à des « contrats civils ? La bataille idéologique concomitante de la droite et de Gattaz contre le Code du travail liée à l’encouragement à des « auto entrepreneurs » sous-traitants bidons ? Le rapport Bruno Mettling, commandé et vanté par Manuel Valls, prévoit des entreprises « étendues » avec peu de salariés et une nébuleuse d’indépendants autour. Attali le mentor de Macron prévoit « une société ubérisée ». Il explique que seule l’élite sera salariée. Macron prévoit une « société sans statuts, non statutaire ».

Quand on écoute ce matin Nathalie Kosciusko Morizet déclarer chez Bourdin en une seule phrase : « Le débat sur les 39h est un débat de 2002, le sujet aujourd'hui c'est le travail indépendant », elle vous dit tout. Ils font campagne non plus seulement contre les droits du salariat, mais contre le salariat lui-même dans Les Échos, Le Figaro, L’Opinion.

Ne peut-on pas tout mettre bout à bout pour mieux comprendre ?

Dans un film, Queimada (de Gilles Pontecorvo), une révolte d’esclaves menace les grands propriétaires terriens. Ceux ci les massacrent à coups de fusils. Mais un propriétaire avisé, joué par Marlon Brandon, leur suggère « Libérez vos esclaves ! Ils vous coûtent cher, vous êtes obligés de les entretenir, eux, leurs familles, leurs vieillards, de la naissance à la mort, ils sont à votre charge, libérez-les, faites-en des salariés, vous ne les paierez que lorsque vous aurez besoin d’eux, ça vous coûtera moins cher, vous n’aurez plus de charges ». L’immédiat après-esclavage pour le salariat fut terrible, droits collectifs interdits et réprimés, des journées de 17 h, et pas droits, pas de protection pour la vie hors travail – hormis la compassion des hospices où on leur « comptait » les plats.

Il a fallu un siècle et demi de combats pour obtenir un Code du travail, des conventions collectives, des cotisations sociales, un salaire net pour le travail productif et un salaire brut pour reproduire la force de travail.

Maintenant et depuis longtemps, le Medef ne veut plus du salaire brut Il attaque chaque cotisation, les gèle (retraites, maladie, logement), les fait supprimer (allocations familiales), les rogne (handicapés, formation), les manipule (accident du travail), les conteste (cotisations chômage). Ils veulent revenir aux débuts du salariat : et certains œuvrent à détacher les cotisations sociales du travail pour leur complaire. Ils ne veulent plus de Code du travail ; Gattaz a déclaré « qu’il était l’ennemi n°1 des patrons » ! Il tentent d’organiser le retour au XIX° siècle sous prétexte de modernité : avec des loueurs de bras, des journaliers sans droits, ni lois, ni horaires, ni salaires. Des VTC partout : les pilotes de Ryanair auto-entrepreneurs et c’est le rêve de De Jugniac !

Ne met-on pas le doigt dans ce bel engrenage avec cette usine à gaz de « Compte personnel d’activité » ?

Toute cette histoire de « Compte personnel » semble d’autant plus confuse qu’il n’y a pas de financement, pas de contrôle, pas de sanction. La carte ad vitae semble un grand danger pour les droits et libertés, le patronat ne rêvant pas seulement de faciliter les licenciements mais aussi de trier les embauches !

Vous dites que ce serait un long et beau projet, votre « Compte personnel d’activité », bien au-delà de 2017 et qu’il faudra des années pour le mettre en pratique. (Si c’est la droite qui le met en pratique, elle ira plus loin, c’est sûr…)

3°) Tout cela est chapoté dans le texte par un « CDI de transition et d’évolution professionnelle » (sic)

Là, c’est le pompon à mes yeux, car au lieu d’instaurer une « Sécurité sociale professionnelle » vous tombez dans l’insécurité professionnelle, le patronat paiera chichement le travail et se débarrassera des obligations de reproduction de la force de travail, son rêve.

Là voilà bien la remise en cause du CDI explicite au cœur de votre projet : un « CDI de transition et d’évolution professionnelle ». Plus rien à voir avec le prétexte de « la sécurité sociale professionnelle » avancée au début. C’est la flexibilité maxima, quand le patronat a besoin de vous, puis qu’ensuite il vous jette, (le droit du licenciement a été fortement attaqué par les lois Sapin et Macron), vous êtes « indépendants », prenez « vos charges » avec votre solde de tout compte, et il vous remet à la compassion de l’Etat… si celui-ci a les moyens de prendre « en charge » ce qui restera sur votre carte à puce… et il ne les aura pas.

Il n’existe pas de demandes dans le pays, aujourd’hui, pour un projet pareil parmi les salariés : personne ne revendique une carte à puce personnelle pour sa carrière, mais au contraire, ce que les salariés demandent, ce sont plus de droits sociaux, de salaires garantis, d’emplois solides. On rêve de mieux faire payer au patronat ce qu’il nous doit pour notre force de travail et pour la reconstituer. Pas d’être dans une nébuleuse de faux sous-traitants « ubérisés ».

Derrière la dite carte à puce ad vitae (on va la regarder pour soi seul dans son miroir ou son iPhone… ) vous engouffrez le nouveau « CDI de transition et d’évolution professionnelle » rêvé par le Medef…

Celui de l’insécurité de l’emploi où il veut virer les salariés sans motif et sans frais comme aux États-Unis, et où l’État est poussé à jouer un rôle compassionnel de substitution pour prendre en charge les salariés « en transition » selon ses ressources (impôts et non plus cotisations) du moment et selon la mesure de leur « compte personnel ».

Le Medef rêve d’une contre-révolution d’un siècle, et de revenir à l’immédiat après-esclavage selon Marlon Brando : « Libérez vous, prenez vos cotisations, on n’en veut pas, que les salariés se débrouillent tout seuls ! », m’avait crié une fois, il y a huit ans, dans un débat devant 500 personnes, Gautier Sauvagnac (sans savoir quel acteur il imitait). Et il ne restera à l’État qu’à éponger les besoins des cartes à puce !

4°) Mais en conclusion, je vais vous dire : cela ne se fera pas. Si le patronat rêve de remplacer le salariat par des auto-entrepreneurs, ça ne marchera pas. Même en Californie Uber a perdu, et Mac Donald se voit obligé de traiter ses franchisés comme dans la maison-mère. Ce qui va triompher, ce sera de reconnaître les sous-traitants dans les mêmes conventions collectives que leurs donneurs d’ordre. Je propose trois lois pour ça depuis des années (et elles avaient été adoptées par notre parti en 1996). Ce qui va triompher, ce qui est moderne, ça être de renforcer les droits collectifs, pas de les individualiser. Les VTC seront reconnus salariés contre Uber. Les pilotes de Ryanair ne seront plus forcés de s’humilier à se déclarer auto-entrepreneurs. De Jugniac ne réussira pas à imposer une carte à puce individuelle aux pilotes d’Air France, ils garderont des horaires collectifs.

Le salariat est trop puissant. Il représente 93 % des actifs. Les « indépendants » rêvés par Kosciusko Morizet ne sont pas l’avenir, ils sont le passé. De 1945 à aujourd’hui, les « indépendants » sont passés de 45 % à 7 %, leur RSI ne fonctionne plus et devrait rentrer dans la Sécu, pas l’inverse ! Le salariat est passé de 45 % a 93 % et c’est une tendance mondiale ! L’OIT dit qu’il y a un milliard de salariés de plus dans les dernières décennies : le travail informel recule partout. Des petits malins Uber ou Blablacar essaient quand même au passage, in extremis, de piquer des milliards sur ce qui existe encore de travail humain non marchand, d’échanges, de partages traditionnels, auto-stop, covoiturage, échanges d’appartements, ou repas cuisinés, profitant de la générosité humaine pour la taxer de façon privatisée. Mais ce n’est pas l’avenir non plus.

Le numérique devra et sera mis au service des droits et protections collectives, pas de leur morcellement individualisé.

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