Un, deux, trois, quatre candidats...
Après des mois de travail politique
en commun, les différents
partenaires des collectifs
antilibéraux se séparent
dans la douleur. La raison
apparente du divorce - l'incapacité
de se mettre d'accord
sur une candidature commune
raisons plus profondes à cet
échec qui aura des répercussions
sur toute la gauche.
Née après le rejet du projet de TraitéConstitutionnel Européen, la dynamique
des collectifs unitaires antilibéraux
reposait sur deux moteurs : la
volonté de passer d'un rejet d'options
politiques libérales à un projet
politique de gauche cohérent d'une
part, et celle de poursuivre le rapprochement
de militants aux parcours
et histoires fort différentes
d'autre part.
C'est ainsi qu'on a pu retrouver côte
à côte la minorité de la Lcr, dont la
présence a contraint la direction de
la Ligue à participer, au moins dans
un premier temps, aux collectifs, le
Parti Communiste Français, plusieurs
petites organisations dans la
mouvance de l'extrême-gauche, depuis
les Alternatifs jusqu'aux
“Mars”, le courant alter-mondialiste
des Verts, des socialistes militants
du “non”, et une foule de militants
associatifs, syndicalistes, sans engagement
partisan.
Ils semblaient s'être mis d'accord
sur l'essentiel : déposer des candidatures
communes à l'élection présidentielle
et aux législatives, élaborer
un programme en 125 propositions,
une orientation stratégique consistant
à marquer une différence avec
les options sociales-libérales de la
majorité du Parti Socialiste tout en
se donnant comme objectif premier
de battre la droite...
Mais, c'était oublier que, dans la vie
politique telle qu'elle est structurée
sous la Vème République, l'élection
présidentielle joue un rôle de révélateur
à la fois des clivages politiques
de fond et des aspirations des citoyens.
En faisant mine de croire
que la question de la désignation de
leur candidat se limitait à décider
“quel nom figurerait sur le bulletin”,
les collectifs ont manqué à la fois de
réalisme et d'analyse politique.
Comme toujours, dans ces cas-là, la
réalité leur est revenu comme un
boomerang, et les a mené à leur
perte.
Ainsi, au lieu de se trancher dans un
débat d'orientation politique, les différentes
options se sont concentrées
sur des personnes, empêchant de
facto que les arguments de fond
soient avancés, et donc qu'ils puissent
être dépassés.
Le premier problème était celui posé
par la Lcr. La présence dans les collectifs
des néo-trotskystes, habitués
à investir tout ce qui “bouge” ou
semble bouger dans la sphère publique,
avait pour but d'en faire des
instruments de leur lutte contre le
Parti Socialiste. Dans la logique qui
est la sienne, la majorité de la Ligue
a tenté de les réorienter dans ce sens,
puis, une fois révélée l'impossibilité
de gagner à sa ligne les militants
unitaires, convaincus dans leur
grande majorité de la nécessité absolue
de battre la droite, la Lcr a quitté
le navire.
Ce premier épisode montre qu'il y a
bien deux options fondamentales au
sein de la gauche anti-libérale : l'un
considère que le Parti Socialiste est
devenu un parti “libéral” (pour ne
pas dire “de droite”) et que ce qui le
sépare de la droite politique est plus
ténu que ce qui le rattache à la
gauche, et l'autre qui estime que,
malgré une dérive évidemment droitière
de la direction socialiste depuis
2004, le clivage essentiel se situe
bien entre lui et une droite acquise
par principe au libéralisme.
L'échec de José Bové aurait pu lever
une seconde hypothèque. Le caractère
providentiel de cette candidature
aurait participer à faire des collectifs
une machine à dénigrer le politique.
Qu'on le veuille ou non,
l'image de José Bové est très éloignée
de la réalité des options qu'il
défend. Son côté “petit paysan” luttant
contre les multinationales, son
apparition dans des campagnes
contre la “malbouffe”, brouillent
considérablement le message de
gauche des collectifs, et permet une
lecture “populiste” de son orientation.
Sa candidature aurait pu représenter
une sorte de rejet viscéral
d'un monde politique auquel il n'appartient
pas et aurait signifié une
personnalisation à l'excès de la campagne.
L'alternative était entre un rassemblement
s'inscrivant dans le politique,
en acceptant peu ou prou les
règles pour pouvoir peser dans le
cadre institutionnel, bref s'inscrivant
comme une gauche radicale
mais de gouvernement, et une logique
purement protestataire et tribunicienne.
La question, finalement,
se résumait à dépasser ou pas la logique
du “non” pour proposer une
alternative crédible.
Ces écueils étaient d'ailleurs assez
bien perçus par les militants des collectifs
qui, au grand dam de l'intéressé,
n'ont pas plebiscité la candidature
de Bové, précipitant sa décision
de se retirer tout en faisant porter
le chapeau au Pcf.
Il faut dire que l'attitude de la direction
communiste a elle aussi été très
ambiguë. Nostalgique d'un passé révolu
où il était le “grand parti de la
classe ouvrière”, le Pcf n'imaginait
pas que le rassemblement puisse se
faire avec lui, mais pas autour de lui.
Il est vite apparu que pour la direction
communiste, les collectifs
étaient un moyen d'élargir son audience
et son potentiel militant, de
“moderniser” son image, de recréer
le lien perdu avec le mouvement social,-
rien de plus. Le Pcf avait décidé
qu'il présenterait son candidat,
avec le soutien des collectifs, et ne
mesurait pas à quel point cette attitude
pouvait choquer tous ceux qui
n'entendaient pas devenir des “compagnons
de route”, sans pour autant
d'ailleurs faire preuve de l'anticommunisme
primaire qui avait pu
caractériser une certaine extrême
gauche des années 70 et 80.
Il est ainsi apparu que le Pcf était
toujours victime de ses représentations
traditionnelles, inscrites dans
une histoire révolue qu'il ne parvient
pas à dépasser au nom d'une
“identité communiste” qui s'apparente
de plus en plus à une simple
volonté de conserver un appareil.
L'article publié dans Le Monde du
27 décembre par le philosophe Michel
Onfray, très engagé dans la démarche
des collectifs unitaires, où il
indique hésiter entre le vote blanc et
le vote Ségolène Royal montre que
la rupture est désormais profonde
entre l'appareil communiste et les
militants anti-libéraux “sans parti”.
L'échec des collectifs est donc tout à
fait paradoxal. D'une part, comme
tout échec, il porte quelque chose de
profondément négatif : la répétition
de l'impossibilité depuis plus d'un
quart de siècle, depuis les ConvergencesCommunistes
de Fiszbin jusqu'à
Ramulaud, en passant par les
“rénovateurs” de Juquin, Refondation
et même le Mouvement des Citoyens,
du renouvellement structurel
de la gauche.
Des centaines, des milliers, de militants
ne se retrouvant pas dans les
organisations politiques actuelles,
ceux qui aspirent au dépassement de
celles auxquelles ils appartiennent,
sont de nouveau orphelins.
Mais, pour la première fois, ceux-ci
ont pu trouver un cadre, une voie et
exprimer leurs aspirations sans que
cela participe d'une logique de morcellement.
Celles-ci ne vont ni vers
un affrontement stérile entre les
forces de gauche, ni dans une logique
de refus du cadre institutionnel
de l'action politique, ni dans le
renforcement des organisations existantes,
qui ne sont toujours pas capables
de dépasser leur Histoire et
leurs petites histoires pour proposer
un cadre politique alternatif capacle
de peser dans le débat.
Pour autant, force est de constater
que nombre de militants et de citoyens
de gauche n'ont pas pour autant
rejoins le Parti Socialiste, et
qu'ils n'ont pas, dans l'immédiat,
l'intention de le faire. La faiblesse
organisationnelle et politique de la
gauche socialiste, elle aussi anti-libérale
et militante du “non” au referendum,
n'est sans doute pas pour
rien dans ce scepticisme.
Si, au regard de l'évolution indéniablement
droitière du parti, de la décision
majoritaire pour le “oui” au
Tce jusqu'à la désignation de Ségolène
Royal, va rendre la tâche difficile,
l'attente est toujours immense
vis-à-vis de ceux qui entendent travailler
à ancrer le Parti socialiste à
gauche.
Hervé Le Fiblec