Au tout petit matin du nouvel an : le nouveau décret du 4 janvier 2007 sur la durée du travail
Au petit matin du début de l'an, le
gouvernement Villepin a frappé
durement les moyens (déjà trop
faibles) qui permettaient aux salariés
de contrôler leur durée du travail
réelle et de se la faire payer
selon la loi. Il a tout simplement
réduit les obligations des employeurs
prévues à l'article D 212-
21 du Code du travail.
Jusqu'ici le Code du travail prévoyait,dans son article D.212-21, que
lorsque tous les salariés n'étaient pas
occupés selon le même horaire collectif
de travail, la durée du travail de
ceux-ci devait être décomptée tous les
jours en fonction des heures effectuées,
et une fois par semaine par récapitulation
du nombre d'heures effectivement
travaillées.
Dans les entreprises, c'est cet article
qui fonde et justifie le pointage. Le
décompte des horaires doit être effectué
de façon fiable et transparente.
Bien sûr ce document est différent du
“planning”, qui n'est qu'indicatif et
qui est un “pré-compte”.
Le réalisé doit figurer sur le document
de décompte, et permet seul de mesurer
la durée réelle du travail effectué.
En février 2004, la branche professionnelle
de la distribution directe
instituait une convention collective,
nouveauté dans ce secteur jusque-là
délaissé.
Une spécificité atteignait néanmoins
les plus précaires de cette branche :
les distributeurs, ceux qui portent
dans nos boîtes aux lettres les liasses
de tracts publicitaires, souvent à pied
ou à vélo, par n'importe quel temps.
Le point 2.2 de l'article 2 du chapitre
IV de cette convention disposait que
le calcul de la durée du travail procède,
pour les activités de distribution,
d'une « quantification
préalable ».
L'article précisait que cette procédure
répondait aux exigences de l'article
D.212-21 du Code du travail (exigence
de décompte). Malgré le paradoxe
de cet article, il a été étendu par
décret, entérinant de fait que la « préquantification
» remplace valablement
le « décompte » (a posteriori
donc) du temps de travail.
Alors que cette convention l'anticipait
de façon illicite, le Ministère
l'avalise !
Cela met à mal les recours de distributeurs
devant les Prud'hommes qui
se sont naturellement multipliés : car
ce “pré-comptage” tend à allonger la
durée du travail des salariés et alourdir
leurs tâches sans que soient rémunérées
ces heures nouvelles.
"La mention, sur le bulletin de paye,
d'un nombre d'heures inférieur à celui
effectivement réalisé est qualifié de
travail dissimulé" prévoit pourtant
l'article L.324-10 du Code du travail.
Sur cette base, des entreprises de distribution
directe ont été récemment
condamnées à plusieurs reprises.
L'Inspection du travail s'est donc saisie
du problème dans toute la France
et a demandé la mise en place de “relevés
d'heures a posteriori”, conformément
au Code du travail, ce que refusent
la plupart des grosses entreprises
concernées, obligeant les inspecteurs
et contrôleurs du travail à recommander
des poursuites judiciaires
aux parquets pour obstacle (refus de
mettre en place les documents demandés
par les agents de contrôle). La
cour de Cassation donnait d'ailleurs
raison aux agents de contrôle dans
une décision récente.
Qu'à cela ne tienne : face à cet état de
fait, la réponse du Ministère du travail
ne s'est pas fait attendre...
En conseil des ministres du 3 janvier
2007, le Ministre délégué à l'emploi
Gérard Larcher a présenté un décret
pour modifier l'article D. 212-21 du
Code du travail afin d'autoriser les
partenaires sociaux à substituer à
l'obligation d'enregistrement un "dispositif
mieux adapté, fondé sur une
quantification préalable du temps de
travail reposant sur des critères objectifs".
Le ministre justifie sa décision
: "Le contrôle du respect de la
durée du travail est effectué a posteriori
par l'Inspection du travail qui
vérifie le temps de travail des salariés
à partir des données enregistrées sur
un relevé fourni par l'employeur.
Cette modalité de comptabilisation du
temps de travail n'est pas aisément
praticable pour les secteurs d'activités,
comme celui de la distribution directe
où les salariés ne sont pas présents
dans l'entreprise et disposent
d'une autonomie dans l'organisation
de leur temps de travail".
Le comble : cela semble vouloir faire
croire que c'est pour faciliter le travail
des agents de contrôle qu'on va permettre
de supprimer les décomptes de
la durée du travail. Alors que c'est en
supprimant les décomptes de la durée
du travail, que le gouvernement réussit
à supprimer totalement le contrôle
de la durée du travail par l'Inspection
du travail.
On sait bien que des dirigeants des entreprises
concernées sont des proches
du Ministère du travail, voire des anciens
membres de celui-ci. On sait
aussi l'aversion du gouvernement
pour l'Inspection du travail : Sarkozy
ne fustigeait-il pas, le 10 décembre, à
“Ripostes”, en direct à la télévision,
Gérard Filoche, inspecteur du travail,
alors qu'il rappelait le nombre impressionnant
d'infractions au Code du travail
: "Je n'ai pas votre détestation des
employeurs, Monsieur Filoche !"
Le gouvernement veut arriver à faire
croire que les inspecteurs et contrôleurs
du travail font appliquer le Code
du travail parce qu'ils détestent les
employeurs. Cette dénonciation détestable
et calomnieuse est inacceptable
pour des fonctionnaires responsables
et indépendants dans leur action
pour faire appliquer les textes.
A partir du 4 janvier, connaître la
durée réelle du travail des salariés deviendra
encore plus difficile. Ceux
qui clament : "Laisser ceux qui veulent
travailler plus pour gagner plus"
agissent en fait pour que tous ceux là
«travaillent plus pour gagner moins ».
On espère seulement deux choses en
cette période préélectorale : que
toutes ces soit-disant réformes ne
tromperont pas les salariés du secteur
privé et qu'ils sauront faire entendre
leur voix.
Car une certaine convention internationale,
portant le N°81, précise bien
que « Le système d'inspection du travail
sera chargé :
légales relatives aux conditions
de travail et à la protection des travailleurs
dans l'exercice de leur profession,
telles que les dispositions relatives
à la durée du travail, aux salaires,
à la sécurité, à l'hygiène et au
bien-être, à l'emploi des enfants et des
adolescents [...]
conseils techniques aux employeurs et
aux travailleurs sur les moyens les
plus efficaces d'observer les dispositions
légales;
compétente les déficiences ou les
abus qui ne sont pas spécifiquement
couverts par les dispositions légales
existantes.»
On saura le 6 mai 2007 si ce texte
s'applique encore ou non à notre République...
(Merci à B L-C inspecteur du travail
Cftc auquel nous empruntons
la base de cet article).
Le texte du décret
Les dérogations aux obligations de
contrôle quotidien et hebdomadaire
de la durée du travail.
L'article D 212-21 du Code du travail
impose que lorsque les salariés d'un
atelier, d'un service ou d'une équipe
ne sont pas occupés selon le même
horaire collectif de travail affiché, la
durée du travail de chaque salarié
concerné doit être décomptée selon
les modalités suivantes :
quotidiennement, par enregistrement, selon tous moyens, des heures
de début et de fin de chaque période
de travail ou par le relevé du nombre
d'heures de travail effectuées ;
chaque semaine, par récapitulation selon tous moyens du nombre
d'heures de travail effectuées par
chaque salarié.
Cet article prévoyait toutefois jusqu'alors
que ces obligations n'étaient
pas applicables aux salariés concernés
par les conventions ou accords
collectifs prévoyant des conventions
de forfait en heures lorsque ces
conventions ou accords fixent les modalités
de contrôle de la durée du travail.
Cette dérogation aux obligations de
contrôle quotidien et hebdomadaire
de la durée du travail vient d'être
complétée par une nouvelle dérogation,
selon un décret n° 2007-12 du 4
janvier 2007 instituant une dérogation
au contrôle quotidien et hebdomadaire
de la durée du travail prescrit
par l'article D. 212-21 du code
du travail, décret qui a été publié au
journal officiel n° 4 du 5 janvier
2007.
Désormais, les obligations de
contrôle quotidien et hebdomadaire
de la durée du travail ne sont pas applicables
:
aux salariés concernés par les conventions ou accords collectifs prévoyant
des conventions de forfait en
heures lorsque ces conventions ou accords
fixent les modalités de contrôle
de la durée du travail ;
aux salariés concernés par les conventions ou accords collectifs de
branche étendus prévoyant une quantification
préalablement déterminée
du temps de travail reposant sur des
critères objectifs et fixant les modalités
de contrôle de la durée du travail.
Voir en ligne: Consultation, sur le site
légifrance, du décret.